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L’emploi en France en 2020 – McKinsey et la « Grande Inadéquation »

Le cabinet de conseil McKinsey vient de publier une étude importante du le marché du travail français. Sa première conclusion n’est pas très surprenante : même s’il a plutôt bien résisté à la crise, le marché du travail français souffre de « déséquilibres structurels » (dualisme au détriment des plus fragiles, forte dépendance aux emplois publics, faible réactivité), à l’origine de la dégradation des performances de notre pays en matière de croissance et d’emploi depuis des années. La deuxième est particulièrement inquiétante : le « skills mismatch » pourrait empêcher la création de 2,3 millions de postes qualifiés et détruire 2,2 millions d’emplois non qualifiés d’ici 2020. Lutter contre ce phénomène constitue donc « un impératif absolu et urgent pour traiter en profondeur la question de l’emploi ».

Le « skills mismatch » (« inadéquation des compétences ») décrit une situation où le niveau des compétences disponibles sur le marché du travail est trop faible ou inadapté aux besoins des employeurs. Plus la situation économique est tendue, plus ses conséquences sont dommageables. La dernière enquête « Besoins en main d’œuvre » de Pôle emploi montre par exemple que les employeurs, conscients des coûts d’un recrutement raté, préfèrent différer voire abandonner un projet de création de poste plutôt que d’embaucher une personne ne correspondant pas au profil qu’ils recherchent.

Le diplôme n’est plus un rempart face au chômage

Premières victimes, les moins qualifiés : la France est souvent décrite comme une Machine à trier, qui laisse de côté les non diplômésMais, depuis quelques temps, on assiste aussi à une multiplication du nombre de chômeurs diplômés : beaucoup de trop diplômes sont déconnectés des réalités du marché du travail et  préparent à des métiers sans grand avenir, sinon en voie de disparition ; dans d’autres cas, l’offre de diplômés excède la demande de compétences dans telle ou telle filière. Comme le relève Jean-Marc Vittori dans « Enjeux-Les Echos », le taux de chômage des diplômés en communication ou en sociologie est actuellement trois fois supérieur à celui des ingénieurs ou spécialistes de la santé

MGI-French-employment-2020_le chômage touche tous les niveaux de qualifications

Un « impératif absolu et urgent » : des formations transmettant les compétences du 21ème siècle

Selon McKinsey, cette « inadéquation » empirera et fera des millions de victimes supplémentaires d’ici 2020 si rien n’est fait. C’est pourquoi « réduire cet écart de compétences constitue un impératif absolu et urgent pour traiter en profondeur la question de l’emploi ».

MGI-France Employment 2020_Pénurie de diplômés-chômage des peu qualifiés

La priorité : délivrer des formations « efficaces » et utiles à l’économie du 21ème siècle. Pour ce faire, la France devrait viser surtout :

Numérique, tutorat, partenariats : lutter contre le décrochage scolaire

The Cost of Exclusion

Dans notre pays, 12,8% des jeunes sont sortis de l’école sans aucun diplôme en 2010. Le rapport insiste donc d’abord sur l’absolue nécessité d’une lutte résolue contre le décrochage scolaire. Au-delà des atouts du numérique pour une école mieux adaptée aux élèves du 21ème siècle, les auteurs soulignent l’intérêt du tutorat et saluent l’efficacité des partenariats public-privé du type de Junior Achievement ; à cet égard, ils évoquent notamment le programme Boston Connects qui associe écoles, collectivités locales et établissements d’enseignement supérieur de Boston pour œuvrer dès le plus jeune âge au développement des compétences interpersonnelles des jeunes.

Au-delà de la maîtrise de cet indispensable « socle » de compétences, la France devrait aussi impérativement augmenter le nombre de ses diplômés du supérieur. En effet, ceux-ci représentent  moins de la moitié (43%) des 24-35 ans, contre par exemple 56% au Canada et 63% en Corée du Sud.

Les perspectives d’emploi doivent clairement guider l’évolution des formations

Dans quelles filières développer l’enseignement supérieur ? Selon McKinsey, la priorité est claire : il faut d’urgence faire évoluer les formations en fonction des perspectives d’avenir : les diplômes doivent préparer à des métiers porteurs dans l’économie du 21ème siècle.

Perspectives d'avenirDans ce but, le rapport revient sur les transformations en cours pour souligner la dynamique des « emplois interactionnels » (« interaction jobs », qui reposent sur des connaissances, un savoir-faire et de la collaboration), de conseil notamment : entre 2001 et 2009, près de 5 millions d’emplois de ce type ont été créés aux Etats-Unis alors que, sur la même période, près de 3 millions de métiers de « production » et « transaction », nécessitant des compétences très spécifiques, ont disparu. Le rapport insiste aussi sur l’importance que prennent les activités liées aux statistiques, aux technologies (analyse informatique notamment), au marketing et à la publicité ou à la santé : des domaines dans lesquels les compétences seront de plus en plus demandées.

Il s’agit, en parallèle, de mieux guider les choix des étudiants en faisant la lumière sur les horizons qui s’ouvrent à eux. Concrètement, les experts de McKinsey conseillent aux acteurs de l’enseignement – écoles comme établissements d’enseignement supérieur – de publier des données chiffrées quant aux risques et opportunités (pré-requis, perspectives de croissance et d’emploi, taux d’insertion….) des filières. A ce titre, ils saluent le programme O*NET du ministère du Travail américain, une application web publique et gratuite qui permet de se forger une idée précise des compétences requises métier par métier.

Valoriser le travail dans les études : développer les stages à l’Université comme au lycée

Pour adapter les formations dans le bon sens, rapprocher enseignement et entreprise, une méthode qui a fait ses preuves dans certains territoires, paraît indispensable. Comme le préconise la spécialiste Cécile Van de Velde, il faudrait mieux valoriser le travail dans les études.

Travail-études

Ainsi, McKinsey préconise d’encourager les stages au lycée comme à l’université – alors qu’ils ne sont aujourd’hui obligatoires que dans les BTS, les IUT et les grande écoles.
Plus largement, il faudrait établir des passerelles, sur l’exemple du programme américain P-Tech qui  prépare les jeunes à intégrer le secteur IT via un partenariat entre IBM, le département d’éducation de la ville de New York et des universités new-yorkaises. Innovante, la méthode voit rassemblés les lycéens et étudiants de premières années pour « combiner les meilleurs éléments du lycée, de l’université et du monde professionnel » et permettre une insertion plus rapide et efficace sur le marché du travail.

Formation et travail, un tout indissociable : jeunes et seniors, même combat

Sans surprise, le rapport prend aussi l’exemple de l’Allemagne : contrairement à ce qu’on affirme parfois, ce pays n’a pas « de tous temps » vu l’enseignement être très « orienté métiers » ; c’est une loi de 1969 qui, pour éviter le chômage des jeunes, a établi une relation directe entre besoins des entreprises et contenus des formations en développant un « système dual » combinant théorie et pratique. Aujourd’hui, un quart des entreprises allemandes, et plus de la moitié des entreprises de plus de 50 salariés, dispensent des cours de formation continue.

Apprentissage

Le cas allemand n’est pas exemplaire que pour les jeunes : dans la mondialisation, la formation tout au long de la vie est au cœur d’une amélioration de la situation de tous, seniors compris. Il s’agirait donc de changer radicalement de vision et d’envisager la formation et le travail comme un tout indissociable. Or, avec seulement 6% des salariés qui en ont bénéficié en 2009, la France est particulièrement à la traîne (ce taux est de 22% en Suisse et 32% au Danemark) : des 15 pays de la zone euro, seule la Grèce connaît un ratio aussi bas. McKinsey dénonce tout particulièrement les inégalités d’accès à la formation continue, qui ne bénéficie quasiment qu’aux salariés les plus qualifiés – notamment les cadres.

Répartir clairement les rôles des acteurs de la formation : l’exemple suédois

Le rapport conseille donc à la France de suivre l’exemple suédois, qui repose sur des partenariats étroits avec une répartition claire des rôles : les municipalités ont l’obligation de faire bénéficier aux adultes de 20 ans de dispositifs de formation continue, mais celle-ci est dispensée par le secteur privé sous la supervision de l’Education nationale avec le concours des employeurs. De plus, des commissions publiques ont été créées pour améliorer l’accès à la formation des personnes les plus fragiles. Pour ces dernières (immigrés et personnes handicapées notamment), les formations sont efficaces car de courte durée et très opérationnelles.

Aussi précis dans l’analyse théorique que concret dans ses exemples, le rapport de McKinsey montre que le redressement est possible si l’objectif du développement des compétences et de l’employabilité de tous devient une priorité engageant tous les acteurs. Indispensable, cette nouvelle orientation risquerait toutefois d’être insuffisante si la France n’adopte pas des stratégies de croissance clairement ciblées sur les gisements d’emploi. Sur ce dernier point, l’étude insiste notamment sur le développement de l’entrepreneuriat, en soulignant la nécessité de lutter contre une très française « peur de l’échec ». Les auteurs préconisent aussi de maintenir l’esprit du « plan Borloo » de développement des services à la personne.

 

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