Maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, Cécile Van de Velde travaille sur la problématique de l’entrée des jeunes dans la vie adulte au niveau européen.
Interviewée par La Tribune à la suite de la publication des études de l’OCDE sur l’éducation et les perspectives d’emploi, elle livre ses pistes pour améliorer l’insertion des jeunes dans l’emploi. Morceaux choisis.
« Le problème du chômage des jeunes n’est […] pas une spécificité française. Il est européen et même mondial. En période de crise, les entrants sur le marché du travail -qu’ils soient jeunes ou vieux- rencontrent davantage de difficultés que les autres actifs. Par contre, lorsque l’économie repart, ce sont souvent les plus favorisés. En bref, les jeunes sont une population partout très sensible aux aléas de la conjoncture économique. […]
Le taux de chômage des jeunes est un indicateur à manier avec prudence. Lorsque l’on annonce 23% comme pourcentage du chômage des jeunes en France, ce ne sont pas 23% de la population jeune, mais 23% des jeunes de 16 à 24 ans sur le marché du travail, les étudiants ne sont pas comptabilisés. Si on prend en compte ce taux de chômage ainsi que d’autres indicateurs d’insertion, on observe que plus on descend dans le sud de l’Europe et plus l’accès à l’emploi des jeunes est difficile. Les taux les plus faibles se rencontrent en Allemagne et en Scandinavie, dans des pays qui ont intégré l’accès au travail dans les parcours de formation. […]
On distingue en France, plus qu’ailleurs, trois temps bien distincts dans l’accès à l’emploi. Un long sas d’entrée a été institutionnalisé, avant l’accès à une stabilisation professionnelle.
- D’abord, on estime qu’entre 18 et 22-23 ans, les jeunes sont censés suivre des études à temps plein. Même si le travail étudiant se développe, à ces âges il n’est pas valorisé, étant perçu comme une possible nuisance pour les études.
- Après ce « temps des études » vient celui de l’insertion qui s’est fortement allongé depuis quelques années. La crise est venue accentuer ce phénomène, et risque de fragiliser encore les actuels entrants. Ceux qui sont arrivés sur le marché de l’emploi dernièrement et qui n’ont rien trouvé risqueront d’être rattrapés, une fois la croissance revenue, par les futurs entrants qui seront choisis prioritairement, les entreprises préférant les plus fraîchement diplômés. C’est ce qu’on nomme « l’effet cicatrice » : lorsqu’une cohorte rencontre des difficultés à l’entrée sur le marché du travail, elle risque de le payer tout au long de sa vie professionnelle, parfois même jusqu’à sa retraite, la carrière se révélant plus précaire et en dents de scies. […]
Ces cloisons entre études et emploi sont une des caractéristiques de la situation française et accentuent les difficultés d’accès à l’emploi. […] Cette adversité à l’entrée sur le marché du travail a une conséquence induite : le stress et l’anxiété des jeunes.
La France est avec le Japon le pays où le stress des élèves est le plus élevé. C’est un revers de notre système méritocratique : en cas de crise, la pression sur le diplôme et l’anxiété aux études augmentent, que ce soit auprès des jeunes ou de leurs parents. […] D’autant que l’on sait qu’aujourd’hui que la meilleure protection contre le chômage reste les études. D’ailleurs l’écart se creuse depuis quelques années entre ceux qui arrivent sur le marché du travail avec ou sans diplôme. Cela crée un véritable entonnoir vers les filières diplômantes avec l’anxiété en toile de fond.
Ce que j’observe, c’est un appétit sans bornes pour l’emploi de la part de la fameuse génération Y à laquelle on semble attribuer tous les maux. […]
Alors oui, certaines études statistiques montrent qu’ils ont moins de loyauté sur le long-terme vis-à-vis de l’entreprise, dans le sens où ils se projettent dans une vie mobile, qu’ils aspirent à l’autonomie et à un équilibre réel entre vie privée et vie professionnelle. Mais le rapport des Français au travail reste tout de même très affectif, beaucoup plus que chez leurs homologues anglo-saxons par exemple. C’est un des effets de notre course aux diplômes : les jeunes veulent une fois dans le monde du travail tenir le rang de leurs qualifications et démontrer leur savoir-faire. […]
La société française fige très précocement les destins sans laisser le temps de trouver sa place. Il faudrait faire de la jeunesse un temps moins cloisonné, envisager le temps des études avec plus de souplesse, en laissant un droit à l’erreur et en évitant de figer ainsi les hiérarchies de diplômes. De plus en plus d’adultes font des allers-retours entre la vie professionnelle et les études, pourquoi pas les plus jeunes ? Il faudrait […] mieux intégrer et valoriser le travail dans le temps des études pour ôter cette pression sur le diplôme et autoriser le droit à l’erreur.
Dernier élément et sans doute le plus préoccupant : le chômage des non diplômés. Même si la crise se résorbe, lui ne se résorbera pas. Car les moyens manquent à la fois au niveau de l’Etat mais aussi au niveau associatif pour les accompagner réellement vers l’emploi. L’entreprise a un rôle majeur à jouer dans ce domaine. »
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- A working group working on the case study, issu du flickrstream de Novartis – sous licence CC