Le Centre d’analyse stratégique (CAS) a publié hier une étude des secteurs créateurs d’emploi à moyen terme, une analyse des dynamiques -créatrices ou destructrices – d’emploi dans les différents secteurs de l’économie à l’horizon 2016. Les Echos l’ont illustré par plusieurs infographies et l’Express en a présenté les tendances majeures sur un diaporama soulignant le dynamisme des services à la personne, du conseil et de l’assistance aux entreprises, de l’hôtellerie-restauration ou de la pharmaceutique et des cosmétiques.
Les prévisions sont un exercice difficile : le CAS souligne que, depuis la fin de l’année 2010, les créations d’emplois se révèlent supérieures aux prévisions alors que la croissance, elle, ne l’a pas été. Or, si « la capacité des secteurs à tirer parti de la reprise de l’activité – du commerce international en particulier – intervenue en 2009 » est jugée positivement, il se pourrait aussi que ce décalage soit issu de « surcapacités productives » qui seraient une mauvaise nouvelle pour l’emploi.
La baisse de la productivité du travail, inquiétante ou transitoire ?
La cause de cette inquiétude? Une « inflexion marquée à la baisse de la productivité du travail » que le phénomène de préservation de la main-d’oeuvre (conservation de salariés en raison du coût du licenciement et en prévision de la reprise) ne suffit « vraisemblablement pas » à expliquer.
En somme, « la crise de 2008 pourrait avoir marqué une rupture dans la tendance de long terme de la productivité » –le graphique ci-contre est éloquent. De quoi s’inquiéter tant la productivité conditionne la croissance et l’emploi.
Une hypothèse alternative est envisagée : nous serions actuellement dans « une phase transitoire de productivité amortie, précédant un rebondi intervenant après 2012. »
783 000 emplois créés dans le secteur marchand d’ici 2016
Pour effectuer ses prévisions de créations d’emplois dans les différents secteurs d’activité, le CAS s’est livré à un travail d’actualisation des projections sectorielles d’emplois -sachant que les tendances globales des années 2000 ne paraissent pas avoir été profondément modifiées par la crise :
« elle n’a pas accéléré l’orientation à la baisse de l’emploi industriel, ni entamé la dynamique de la demande, les avantages comparatifs ou les capacités d’innovation, qui, à moyen terme, constituent autant de facteurs différenciant les potentiels de créations d’emplois des secteurs. »
L’extrapolation des tendances à l’oeuvre dans les secteurs d’activité permet ainsi au CAS d’estimer que, « au total, 783 000 emplois seraient créés dans le secteur marchand de 2011 à 2016. »
Une « transformation structurelle du tissu productif français » retardée par la pénurie de certaines qualifications et l’obsolescence des compétences
L’étude qu’un « mouvement de transformation structurelle du tissu productif français » est en cours et qu’il entraînera « des réallocations d’emplois importantes. » Néanmoins, certains obstacles au « renouvellement des secteurs d’activité » peuvent les freiner de manière persistantes -c’est le cas de la « pénurie de certaines qualifications et [de] l’obsolescence des compétences. »
Le CAS a identifié trois grands groupes de secteurs, plus ou moins porteurs en termes d’emploi, en recoupant les critères suivants :
- exposition à la concurrence internationale,
- positionnement technologique ou de gamme,
- recours à des compétences spécifiques,
- existence d’un réseau,
- proximité de la demande finale ou de celle des entreprises.
Les services, gisements de créations d’emplois
D’un point de vue global, sur la période 2011-2016, les secteurs les moins porteurs perdraient 161 000 emplois, tandis que les secteurs dynamiques totaliseraient 944 000 créations d’emplois. Selon l’étude du CAS, l’essentiel de ce dynamisme proviendra des activités de service : services aux entreprises, services personnels et d’utilité collective ainsi que services d’intermédiation.
– Les services à la personne, « une demande structurelle forte » : 18 % des créations brutes d’emplois de 2011 à 2016.
– L’industrie et les services qualifiés aux entreprises : « des capacités de création d’emplois variables selon leur compétitivité qualité. »
- « Les activités technologiques et de gamme permettant aux entreprises de se différencier de leurs concurrents internationaux » tireraient leur épingle du jeu et représenteraient 21 % des créations brutes d’emplois marchands de 2011 à 2016.
- « Les activités industrielles en renouvellement ou en déclin […] souffrent de la montée en gamme des émergents » et seraient à l’origine de 85 % des destructions brutes d’emplois.
- La « croissance des services opérationnels« traduirait le maintien des fonctions support par les entreprises : 30 % des créations brutes d’emplois de 2011 à 2016.
– Les bonnes performances des « secteurs abrités » (services d’intermédiation, industries de réseau et construction)
Avec 34 % des créations brutes d’emplois de 2011 à 2016, ces secteurs non soumis à la concurrence internationale se porteront bien. Sur ces 34%, 12 % correspondraient aux seuls secteurs de la construction et de l’immobilier.
En conclusion de son étude, le Centre d’analyse stratégique souligne l’importance de l’action publique dans les secteurs, industriels notamment, dont le renouvellement bute sur les pénuries de compétences et l’obsolescence de certaines qualifications. Parmi ses trois conseils pour une action efficace en la matière, le CAS prône une « gestion territoriale de l’emploi.«
Détails
Tout en bas de ce billet, le tableau récapitulatif des prévisions du CAS quant à l’évolution de l’emploi sur la période 2011-2016.
- Les services à la personne ou d’utilité collective du secteur marchand (hors santé, action sociale et éducation) resteront porteurs, soutenus par une demande en forte expansion malgré une baisse prévisible des interventions publiques. Ils créeraient 171 000 emplois d’ici 2016.
- Les secteurs technologiques et haut de gamme, positionnés sur des segments de très haute qualité, auront créé 195 000 emplois en 2016 selon le CAS.
- Les secteurs fortement technologiques (aéronautique et pharmacie dans l’industrie, R & D et ingénierie dans les services) sont portés par des entreprises françaises leaders mondiales de leur spécialité et « exercent un effet d’entraînement puissant sur leurs fournisseurs et sous-traitants ». Visant l’innovation-produit et la conquête de parts de marchés, les efforts d’innovation sont globalement favorables à l’emploi dans les secteurs industriels à fort contenu technologique : le secteur pharmaceutique et des cosmétiques créerait 4 000 emplois de 2010 à 2016, l’aéronautique ainsi que la construction navale et ferroviaire 3 000 emplois.
- Les secteurs hauts de gamme sont pourvoyeurs d’emplois mais leurs gains de productivité sont moindres que dans les secteurs technologiques. A titre d’exemple, les industries agro-alimentaires auront créé 6 000 emplois de 2010 à 2016 selon le CAS.
- Les services cognitifs (centres de R & D, design, ingénierie,architecture, marketing et publicité) sont plus faiblement externalisables et/ou délocalisables et les activité de conseil et d’assistance regroupant une grande partie des fonctions amont (informatique, architecture,ingénierie, stratégie, publicité, marketing) aujourd’hui porteuses de l’essentiel de la valeur ajoutée des produits. Ainsi, les services cognitifs aux entreprises sont « les principaux pourvoyeurs d’emplois des secteurs technologiques et haut de gamme », la demande adressée à ces services demeurant soutenue, surtout dans les secteurs tertiaires.
Au total, le secteur conseil et assistance créerait 153 000 emplois selon le CAS , tandis que les effectifs de R & D augmenteraient de 21 000.
- Les services opérationnels aux entreprises, essentiellement l’intérim, compteraient parmi les principaux pourvoyeurs d’emploi: 236 000 emplois créés en 2016 selon le CAS. Ce dernier précise : d’une part, « les services de sécurité, de nettoyage, quasiment totalement externalisés […], sont très ancrés nationalement par la relation de proximité qu’ils imposent, contrairement aux fonctionsadministratives (secrétariat, traduction, paie, etc.) et aux centres d’appel dont l’emploi stagne du fait des délocalisations et de la concurrence des pays à bas coûts. » Le CAS prévoit que les services de location progresseront fortement « en raison de l’augmentation des locations de véhicules de proximité et d’équipements professionnels ou domestiques. »
- Les secteurs abrités (services d’intermédiation, construction et hôtellerie-restauration), caractérisés par « un fort besoin de proximité aux marchés et/ou par des effets d’échelle » et pour lesquels« l’interface avec le client est impérative même si une partie de la gestionou de la production peut être externalisée », créeraient 319 000 emplois en 2016 et représenteraient toujours 51% de l’emploi marchand.
- Si les gains de productivité des services de transport sont plus faibles que par le passé, ils pourraient tout de même créer 37 000 emplois supplémentaires en 2016. Car ils restent « avantagés par la fragmentation de la chaîne de valeur des entreprises, qui implique une circulation toujours plus importante des composants et des produits finis », ainsi que par la demande croissante des ménages en matière de services de mobilité.
- Le secteur de la finance et des assurances, oùla proximité avec la clientèle reste déterminante et où « l’intermédiation devrait connaître une montée en gamme », devrait croître : 64 000 emplois supplémentaires prévus.
- Les activités commerciales devraient rester dynamiques. Elles sont aux prises avec deux tendances dont les effets sont contradictoires sur l’emploi : la dématérialisation de la vente est défavorable tandis que le développement de magasins spécialisés de plus petite taille implique un personnel plus nombreux. Au final, « la distribution resterait en 2016 le premier pourvoyeur d’emplois dans les services marchands, où elle créerait 70 000 emplois. »
- L’hôtellerie-restauration créerait 56000 emplois, notamment grâce aux gains de productivité liés au développement du e-sourcing dans l’hôtellerie.
- Le secteur de la construction et des activités immobilières (bâtiment, travaux publics, promotion et location immobilières) est soutenu par les prix élevés du foncier et de la location, la croissance de la population ainsi que de nouveaux besoins (« baisse de la taille des ménages impliquant une multiplication des logements », nouvelles exigences environnementales…). Au total, ce secteur créerait 117 000 emplois en 2016.