L’an dernier, la Mazars Academy se demandait : « Y a-t-il un pilote dans la relation-client 2.0 ? ». Au coeur des enjeux de transformation numérique, entendue comme un mouvement de « changements radicaux dans l’organisation des entreprises et leur approche du marché », se niche en effet une double bascule : celle de l’accélération du passage vers une entreprise dont la raison d’être, quelque soit son secteur, est avant tout de délivrer un service, et celle, corollaire, de la transformation de l’organisation de l’entreprise tout entière vers cet objectif.
Après la révolution numérique
En d’autres termes, comme le suggérait Bernard Duverneuil, Vice-Président du CIGREF, le réseau de grandes entreprises, et DSI du groupe Essilor, lors de l’Executive Digital Summit 2014 : on ne peut pas penser la transformation numérique via les seuls marketing et relation-client, si cruciale soit leur mutation. Ce à quoi l’on assiste, « ce n’est pas simplement du change management, c’est une transformation culturelle de l’entreprise. »
La transformation numérique ? « On connaît… mais on continue à apprendre », semblaient dire les différents intervenants – directeurs de l’innovation, marketing ou SI – à ce deuxième grand événement organisé par Les Echos sur le sujet. L’heure est davantage au chantier qu’aux incantations et aux concepts, que d’aucuns résument tout entier dans l’acronyme « SMAC » – pour social, mobile, analytics in the cloud, soit une entreprise :
- collaborative en interne et en externe,
- qui donne l’accès à ses services depuis n’importe où et n’importe quel device,
- qui sait traiter les grandes masses de données et créer de nouveaux services,
- aux systèmes d’information décentralisés, externalisés, agiles.
Plus d’incantations ? On parle même aujourd’hui de la « maturité numérique » qu’aurait dans une large mesure acquis les dirigeants… avec un bémol : une insuffisante valorisation du numérique en tant qu’actif de l’entreprise. L’heure n’est toutefois plus au pourquoi mais au comment. Ce qui est en fait assez nouveau pour tout grand groupe international, c’est qu’à la compréhension de l’impératif de bousculer sa proposition de valeur s’ajoute le besoin de répercuter la transformation dans toutes les « opérations internes », supply chain, finances, communication, engineering, RH.
Un salarié sur deux n’aurait pas d’idées
« Digitaliser, c’est rendre acteurs et autonomes ses collaborateurs » Antoine Perruchot @keycoopt #congreshr— Claude Harter (@ClaudeHarter) 8 Octobre 2014
Mais qui, dès lors, est le pilote de l’entreprise numérique ? Ou alors plutôt : y a-t-il un pilote dans l’entreprise numérique ? « Rattrapage », « retard », « besoin d’accélération » : un certain pessimisme s’est en effet récemment emparé des observateurs de la transformation numérique des entreprises françaises, pointant la résistance au changement et le manque de compétences comme deux des principaux obstacles à l’avènement d’une entreprise enfin new look. Un constat d’autant plus alarmant lorsqu’il se retrouve dans la bouche des salariés : selon le Conseil d’orientation de l’emploi, ceux-ci sont plus d’un tiers à observer que leur entreprise innove « rarement ». Pire, l’innovation est vue d’un oeil pour le moins dubitatif : d’un point de vue macroéconomique, plus d’une moitié des salariés pensent que « la révolution numérique crée moins d’emplois que les autres grandes innovations antérieures » et ils sont même 28% à penser qu’elle détruit plus d’emploi qu’elle n’en crée…
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Un ressenti à nuancer dès lors que ces mêmes salariés sont interrogés sur les mutations du travail : si la sur-sollicitation et la porosité de la barrière vie privée-vie professionnelle sont des inquiétudes clairement identifiées, l’impact de la révolution numérique est jugé majoritairement positif lorsqu’il s’agit d’efficacité, d’organisation, d’autonomie et d’intérêt du travail. Avec, là aussi, un bémol de taille :
« Seuls 60 % des salariés affirment avoir été formés aux innovations intervenues dans leur entreprise et seuls 52 % se disent encouragés en interne à proposer de nouvelles idées et à se montrer proactifs en matière d’innovation. »
La moitié des salariés qui ne sont pas appelés à innover : une épine dans le pied de la vaste promesse d’empowerment, censée faire du salarié la pierre angulaire de tout déplacement de l’organisation vers un modèle plus adapté à la société numérique ? Ce n’est pas que les RH, notamment, ne se sont pas emparées de la question de l’autonomie, ni que la formation, malgré des budgets rarement en hausse, ne soit pas « un sujet » : dans la banque/assurance, secteur qui métaphorise à lui seul la profondeur des mutations et certaines indécisions autour des stratégies de transformation numérique, l’objectif est, par exemple chez BPCE, de former « 80.000 salariés sur une période très courte », pour « développer des compétences digitales » mais aussi, « sur le comportemental, être agile, attentif et chaleureux ». Quand il ne s’agit pas, comme chez La Banque Postale, de former plusieurs dizaines de milliers de salariés à un « nouveau métier ».
Toujours est-il que, quel que soit le nom qu’on donne à ce défi – « embarquer », « évangéliser », « faire du participatif », « co-créer » -, la transformation numérique n’est jamais aussi perceptible et véritablement transformatrice que lorsque ses enjeux sont compris et partagés de tous…
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« Secouer l’organisation »
Vrai ! @VanessaVincentR #exec14 5 leçons pour une bonne transformation digitale @THEINFORMINE @henriruet @LesEchos pic.twitter.com/cwM6Ba1sLQ— frederic abella (@fabella) 1 Juillet 2014
Est-ce à dire que la RH, fonction transverse et garant de la culture d’entreprise, a là son rôle tout trouvé dans une entreprise numérique qui se cherche un pilote ? Elle a en tout cas indéniablement un rôle dans le pilotage des compétences et dans l’accompagnement des salariés. « Nous évoluons dans un climat de défiance », observe Philippe Lemoine, chargé par le gouvernement d’un rapport sur la transformation numérique. Il s’agit dès lors, maintenant que la conviction dans l’avenir numérique de l’entreprise est dessinée dans les directions, de se départir de l’idée reçue que les secteurs traditionnels sont inéluctablement en retard, et d' »embarquer » les organisations. C’était le sens de l’intervention de Françoise Mercadal-Delasalles, Directrice des ressources et de l’innovation de la Société Générale, invitée au Digital Executive Summit pour aborder « les difficultés et les bonheurs dans les chantiers de transformation numérique ».
« Jusqu’à il y a 18 mois, le discours majoritaire, dans la banque, était que les choses seraient toujours telles qu’elles ont toujours été. » Et pour que la préoccupation de l’évolution digitale, prise de conscience récente, prenne corps, « il a fallu secouer l’organisation » :
Ce qui a allumé la mèche, cela a été d’utiliser la force de la multitude interne, dans un débat ouvert, non régulé sur l’impact de la transition numérique : sur les clients, à l’interne, sur la technologie. Contre toute attente, cela a libéré une énergie extraordinaire, avec plus d’un millier d’idées émises, et des idées positives !
Ce Projet Expérimental Participatif et Stimulant, pris en main par la direction générale, et accolé à une gouvernance en réseau (un Comex bimestriel dédié à l’innovation, et un pari inclusif), correspondait à la volonté de ne pas « créer de nouveau monde à l’intérieur de la maison, l’idée est d’embarquer toute la maison ». Et, pour faire bouger l’ensemble de l’entreprise, il ne suffit pas de recruter « 50 geeks géniaux qui créent des projets d’enfer ». La SNCF a créé un lab pour ré-insuffler l’énergie d’innovation dans le groupe ? Elle a aussi équipé et formé ses contrôleurs au mobile… Dernier défi : « utiliser la force de l’interne en lui donnant les moyens de s’éveiller et de regarder ce qu’il passe dehors ». Concrètement : se donner les moyens d’une ouverture permanente sur l’extérieur, via la veille, mais aussi des liens étroits avec des start-up et PME innovantes et des collaborations inédites, comme avec l’Ecole Centrale et deux autres grandes entreprises pour la création d’un Institut pour l’open innovation.
Piloter la transversalité
Et si, pour Bernard Duverneuil, les défis sont multiples – redéfinition du business, transformation culturelle et agilit), innovation technologique -, ils forment en fait les différentes facettes d’une même mouvement. Laurent Kocher, Directeur exécutif, marketing, innovation et services chez Keolis, le définit comme un mouvement qui doit viser à combler les « fragilités stratégiques », à commencer par la concurrence frontale de nouveaux acteurs ou, à moindre niveau, la perturbation de la chaîne de valeur traditionnelle, et l’entrée dans une « économie de la surtraitance », dans laquelle les consommateurs créent de nouveaux modes de créations de valeur, qu’il s’agit de capter.
Pour y répondre, pas d’autre voie que la « transversalité dans une organisation distribuée », que de revisiter, au sein de chaque direction métier, la manière même dont on fait ce métier, et que de manager la transversalité. Faire en sorte, par exemple, que chaque salarié ait le même niveau d’informations qu’un usager, ce qui est loin d’être aujourd’hui toujours le cas à l’heure du consommateur sur-informé, et ait le même niveau d’information que les autres salariés.
> Prochaine analyse à suivre sur l’Atelier de l’emploi : SIRH – ces outils qui dessinent l’entreprise-tour de contrôle de demain
La DRH est-elle armée ?
« Je suis l’un des rares patrons pour lequel le collab. numéro 1 n’est pas le DAF mais le DRH » #christianstreiff #congreshr via @CONGRES_HR— Frédéric Mischler RH (@Fred_M) 8 Octobre 2014
Les défis, pour la RH, sont clairs : préparer en interne aux compétences nécessaires à la conception de nouveaux services, anticiper les évolutions business pour se donner la capacité d’adapter au mieux l’organisation, ouvrir son horizon de recrutement pour identifier et attirer les profils digital-friendly, harmoniser et standardiser les systèmes d’information au sein de l’entreprise, se rapprocher du management… et savoir fidéliser les collaborateurs.
Au-delà de l’anticipation-métier, de la transformation en tant que telle du métier RH – en termes de compétences comme d’outillage -, c’est en tout cas le défi numéro 1 pour 2014 tel qu’identifié par le DRH de la Société Générale, Edouard-Malo Henry. Car si, comme l’indique Mercadal-Delasalles, un des enjeux est « d’amener tous les collaborateurs à un niveau minimum d' »alphabétisation digitale » », le développement de l’engagement des collaborateurs est une absolue nécessité. Autant qu’un vaste chantier lorsqu’il s’accompagne d’un « changement de culture radical » dans les modes de pourvoi des postes et de recrutement via notamment 3 000 mobilités internes annoncées en 2014. Vaste mais nécessaire :
« Il n’y a pas d’entreprise qui s’adapte vite et bien à l’évolution de ses marchés si les collaborateurs ne sont pas fiers de faire leur métier, s’ils ne sont pas dans le match ».
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