Le numérique est au cœur des dynamiques de d’emploi et moteur d’une révolution du paysage de l’enseignement supérieur. Tous les enfants sont aujourd’hui des digital natives, nés avec les nouvelles technologies. Cette nouvelle ère appelle un autre bouleversement, celui des méthodes pédagogiques. Les pionniers des technologies de l’éducation (TICE) se sont rassemblés, ces dernières semaines, autour du salon Educatice à Paris et lors de l’Online Education Forum à Berlin. En France, l’association Renaissance numérique a formulé des propositions, et les Assises du numérique se sont penchées sur le sujet. Une certitude est partagée : « la révolution éducative », c’est celle des programmes, des outils et des méthodes.
Les technologies, ce sont les emplois d’aujourd’hui et, a fortiori, de demain : Microsoft estime par exemple que, d’ici dix ans, 80% des emplois nécessiteront des compétences technologiques. Mais les systèmes d’enseignement et de formation ne sont pas préparés à cette rupture. Résultat : les compétences technologiques viennent à manquer, en France comme dans l’ensemble de l’Europe et aux Etats-Unis (où l’on estime que, en 2015, 60% des nouveaux emplois requerront des compétences détenues par…seulement 20% de la population).
Apprendre aux jeunes à parler
Pour le webentrepreneur Tariq Krim, il est urgent d’éradiquer « l’analphabétisme numérique » et enseigner la programmation, « le latin du 21ème siècle », à tous – les plus jeunes seraient d’ailleurs fortement demandeurs. Quant à l’association Renaissance Numérique, elle préconise que l’informatique et les sciences du numérique soient enseignés dès le lycée. Le magazine Regards sur le numérique s’enthousiasme : on pourrait par exemple « utiliser de l’open data pour enseigner, et ainsi, démontrer l’intérêt de son usage à un niveau local. Les élèves pourraient concevoir des applications à l’aide de ces données, et mesurer ainsi la complexité [du] développement d’une application web. »
Mais l’enjeu dépasse les programmes scolaires. Aujourd’hui, les jeunes sont hyper-connectés, l’usage des jeux vidéo, ordinateurs portables et smartphones s’est banalisé et un élève de terminale a vu naître Wikipédia en 2001, Facebook en 2004, Youtube en 2005, Twitter en 2006, Instagram en 2010… Mais l’équipement des écoles, en France, ne s’est pas encore adapté à ce nouveau paradigme, confessait Louis Gallois aux Assises du Numérique : la France est 24ème sur 27 au dernier classement PISA en matière d’utilisation des TIC à l’école.
Contre la fracture scolaire, une révolution pédagogique
Alors que près d’un jeune non diplômé sur deux est au chômage, la France se priverait d’une arme d’éducation massive. « Il y a une énorme fracture, une rupture […], il faut passer à un changement d’échelle nationale très vite », alerte Divina Frau-Meigs (professeur à l’Université Paris III et spécialiste du e-learning) sur France Culture. Mais ne s’agit pas seulement de rapprocher l’école des usages des digital natives pour leur redonner le goût d’apprendre. A l’ère du web où interactivité, collaboration, personnalisation (customisation) et autonomie sont des maîtres-mots, c’est aussi et surtout la façon d’enseigner qui est en cause.
Pour Divina Frau-Meigs, les élites ne sauraient plus comment enseigner car elles ont appris dans un système très méritocratique, qui n’a plus cours aujourd’hui. Pour François Taddei, généticien spécialiste de l’évolution et Directeur de recherche à l’INSERM, « l’élitisme » français répondait aux besoins du 18ème siècle, où il fallait créer une nouvelle classe dirigeante dans un pays composé à 90% d’analphabètes. Il « rime avec une économie de prestige liée à la rareté […], au classement à l’entrée et à la sortie de nos écoles. […] C’est le contraire de la culture du web, de la co-construction, du partage, dans laquelle on est capable de faire des choses qu’on ne pourrait pas faire seul. » En somme, le social learning deviendrait la norme.
Si les résultats du « Renouveau pédagogique » québecois sont mitigés, d’autres expériences étrangères se sont révélées très concluantes. Le projet britannique SynergyNet, évaluant l’impact des bureaux-écrans interactifs multitouch sur l’apprentissage des mathématiques, a permis à 46% des élèves de progresser – contre seulement 16% des élèves « équipés » des traditionnelles feuilles de papier. Aux Etats-Unis, la ville de Mooresville (Caroline du Nord) a équipé tous ses élèves d’ordinateurs portables – avec le changement de méthodes éducatives qui va avec. Résultat : le taux de réussite à l’équivalent du bac a augmenté de 80% en 3 ans.
Vincent Peillon, ministre de l’Education, s’est saisi de l’enjeu. Mais c’est toute une culture qui doit changer.
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L’ennui à l’école, multiplicateur de chômage des jeunes ?
Le décrochage scolaire est l’une des grandes causes de la division de notre jeunesse. Près de 150 000 jeunes quittent l’école sans diplôme chaque année, et 46% des non diplômés de 16-25 ans sont au chômage. Or plus de 70% des élèves français s’ennuient à l’école. Quant aux enquêtes PISA, elles montrent qu’en France, un jeune de 15 ans sur cinq ne maîtrise pas les « savoirs de base » (lecture, écriture et mathématiques élémentaires).
Le spécialiste de l’éducation Sir Ken Robinson présente notre système scolaire sans prendre de gants. Nos enfants seraient en classe comme sous sédatif, crouleraient sous les notes, les classements et des programmes toujours plus lourds et abstraits. L’école selon Ken Robinson n’a pas revu son fonctionnement depuis le XIXème siècle, un retard qui devient inquiétant à l’heure de la société 2.0.
http://www.youtube.com/watch?v=q0uj-7Boc4Y