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Pénurie d’ingénieurs et de scientifiques, comment réagir ? (C. Vilani)

L’économie manque cruellement d’ingénieurs alors que ces métiers sont largement protégés du risque de chômage et offrent de belles perspectives de carrière. Les sciences sont au coeur de l’innovation, elle-même moteur de la croissance, pourtant les jeunes les délaissent depuis de longues années. Cédric Villani, mathématicien français, directeur de l’Institut Henri-Poincaré, a donné lundi sa vision des enjeux et des solutions dans une passionnante interview aux Echos. Morceaux choisis.

Pour lui, les sciences « dures » et les sciences « humaines », c’est la même chose. Car l’enjeu des sciences, c’est le raisonnement :

« Toutes les sciences sont humaines parce que faites par des humains. Je dis souvent que les mathématiques partent de questionnements qui nous sont naturels mais leur appliquent un mode de raisonnement qui l’est moins. Les êtres humains sont faits pour fonctionner à base d’émotions, parce qu’elles sont plus efficaces que le raisonnement pour assurer la survie face au danger. Il faut faire un effort – un effort qui s’apprend – pour conduire un raisonnement logique qui peut être très complexe. Ce travail de structuration est au coeur de la démarche scientifique. »

Les chercheurs jouent selon lui un rôle fondamental dans l’innovation et le progrès technologique, la distinction avec les ingénieurs serait donc inopérante. Et pourtant, les deux mondes fonctionnent quasiment en vase clos en France. Ceci renvoie, selon Cédric Villani, au décalage entre l’excellence française dans les mathématiques – deux médailles Fields en 2010 –  et les piètres performances des jeunes Français dans les classements PISA :

PISA2011-Sciences

« Il est cruel de constater que même la France (…) n’est pas capable d’avoir pour cette matière un enseignement de qualité et motivant. (…) Ce n’est pas la faute des enseignants, mais de tout l’écosystème. La menace la plus fondamentale qui pèse sur la science occidentale n’est ni d’ordre budgétaire ni d’ordre structurel : c’est le manque de motivation des jeunes. On sait bien qu’on a en France un déficit de formation de scientifiques et d’ingénieurs alors qu’on en a plus besoin que jamais. »

Les interventions dans les écoles ou universités, comme le font certaines associations pour attirer plus de jeunes femmes vers les études scientifiques, peuvent-elles changer la donne ?

« Des concepts comme ceux de vecteur ou de barycentre ne sont pas tombés du ciel, ils ont une histoire – une histoire humaine, pour revenir à ce que nous disions. Or ce sont les histoires qui intéressent : un ancien chômeur devenu député qui raconte son histoire aura bien plus d’impact sur les gens que toutes les statistiques du monde sur l’ascenseur social. Mes interventions sont des sortes de catalyseurs, qui augmentent l’intérêt et la motivation des élèves. »

Pourquoi les jeunes se détournent-ils donc des études scientifiques ? La façon d’enseigner les sciences est-elle en cause ?

« Il y a eu un appauvrissement des programmes, qui partait peut-être d’une bonne intention, celle de rendre la discipline plus accessible, mais qui a complètement échoué. On a complètement occulté ce qui devrait être le but premier de cette matière, qui n’est pas d’acquérir des notions ou des techniques, mais d’apprendre à construire un raisonnement logique. L’art de faire des démonstrations (…) s’apprend principalement en faisant des exercices. La philosophie contribue aussi à cet apprentissage, et ce n’est pas un hasard si tant de grands mathématiciens furent aussi de grands philosophes : Leibniz, Wittgenstein, Russell…

ElèvesLes problèmes les plus sérieux de l’enseignement scientifique sont en amont, et plus structurels. D’abord, le problème du temps : on n’en consacre pas assez aux sciences, y compris dans les filières littéraires. Pas pour en faire ingurgiter davantage aux élèves, mais pour leur permettre de mieux apprivoiser les notions. Si vous accompagnez une définition de trois exercices, l’effet ne sera pas le même qu’avec un seul, il y aura moins d’élèves pour qui le train sera passé trop vite.

L’autre grand problème tient à l’organisation même de l’école, en ce qui concerne tant les questions de management que d’évaluation. Le fait que les inspecteurs n’enseignent plus ou peu les décrédibilise, le rythme aléatoire de leurs visites et le côté sanctionnant de la note sont problématiques. Quant à la possibilité qu’un enseignant puisse être affecté dans un établissement sans que le chef de cet établissement ait son mot à dire, elle est tout bonnement choquante : aucune autre organisation humaine ne fonctionne ainsi.

Il faut repenser de manière plus réaliste, plus humaine, plus pragmatique, plus personnelle aussi, le monde de l’enseignement. Le système ne fonctionne pas bien : il est lent à la réaction, trop pointilleux dans son contrôle, ne fait pas assez de place aux initiatives personnelles et ne laisse pas les bonnes idées se répandre librement. C’est un problème de gouvernance. »

 

>>> Lire l’intégralité de l’interview

 

> Crédit image de Une : Université Claude Bernard Lyon 1

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