« La meilleure récompense que la vie puisse offrir, c’est la possibilité de travailler dur sur une tâche qui en vaille la peine », déclarait le président américain Theodore Roosevelt lors de la fête du Travail en 1903. Plus d’un siècle après, les milliards de personnes en quête de cette récompense ultime vivent dans un monde où cohabitent l’opulence et la famine :
- Même en crise, les pays riches offrent à un nombre croissant de personnes la possibilité d’avoir le job de leurs rêves tout en gagnant un bon salaire et en se sentant utile. Dans des économies émergentes comme la Chine ou l’Inde, beaucoup de gens occupent un emploi bien meilleur qu’ils ne l’auraient jamais espéré.
- Pour la majorité de la planète, le chômage persiste à un niveau élevé ; beaucoup d’emplois sont mal payés, harassants et sans intérêt.
Le virus du chômage se répand dans le monde entier
Aux Etats-Unis, Barack Obama risque de perdre le poste de ses rêves à cause du chômage. De 5% un an avant son entrée en fonctions à 8% peu après, le taux de chômage a explosé de l’autre côté de l’Atlantique. Chose inimaginable il y a seulement quelques années, le chômage aux Etats-Unis (9%) se situe aujourd’hui presque au niveau de celui de la France (9,7%).
Les Américains ne sont pourtant pas les plus à plaindre. Les économies les plus fragiles de la zone euro ont vu l’emploi, public notamment, sacrifié sur l’autel de l’austérité pour éloigner le spectre de la faillite. La colère des jeunes britanniques, liée au chômage, a explosé en émeutes cet été et l’Europe entière s’indigne du sort des Indignados en Espagne – plus de 40% des jeunes espagnols sont au chômage. Même dans une France qu’on pourrait croire habituée, le chômage reste la première préoccupation d’une population et, face à une situation qui ne s’améliore pas -notamment pour une partie de la jeunesse, la crainte de nouvelles émeutes n’a pas disparu.
Hors du monde occidental aussi, le chômage est une plaie ; c’est en bonne partie le désespoir d’une jeunesse pour laquelle il était impossible d’obtenir des emplois décents qui a lancé le printemps arabe. Les économies florissantes d’Inde et de Chine ne sont pas épargnées : leurs gouvernements s’inquiètent de la qualité et de la quantité des emplois disponibles, notamment pour les jeunes diplômés, et comptent dans leur population des centaines de millions de personnes-surtout dans les zones rurales- qui vivent dans le dénuement le plus total.
Dans ce monde famine d’emplois et guerre des talents coexistent
Alors que tant de personnes sont victimes de la pénurie d’emplois, une minorité profite de la guerre des talents qui s’intensifie. Rare donc chère, cette minorité bénéficie d’une position qui lui permet d’exiger des postes intéressants tout en posant ses conditions et les cadres, banquiers d’affaires ou d’ingénieurs informatiques de la Sillicon Valley voient leurs salaires exploser. Alors que les meilleurs talents gagnent de plus en plus souvent des multiples du salaire moyen, les inégalités salariales qui s’accroissent dans de nombreux pays risquent d’aggraver encore les tensions sociales.
Ne feignons pas de croire que « la crise » est seule responsable : les maux de l’emploi, aujourd’hui, sont bien plus profonds que les seules cicatrices de la crise financière. En effet, la mondialisation et les bouleversements technologiques emportent des conséquences de long terme sur l’économie mondiale qui affectent la structure même du marché du travail. Deux prix Nobel d’économie ont tiré la sonnette d’alarme aux Etats-Unis.
D’un côté, Michael Spence, dans Foreign Affairs, soulignait récemment l’impact de la mondialisation de l’économie :
- aux Etats-Unis, entre 1990 et 2008, 98% des 27 millions de créations nettes d’emplois ont été effectuées dans des domaines non ouverts au commerce international, notamment dans la santé et dans un secteur public qui ne créera plus beaucoup d’emplois dans le futur ;
- dans le même temps, une part croissante des nouveaux emplois dans les secteurs ouverts au commerce mondial (dont l’industrie manufacturière) ne peut être occupée que par des diplômés.
De l’autre, Edmund Phelps considère que les mutations technologiques ont poussé à la hausse le taux de chômage « naturel » (qui correspond au taux de chômage « d’équilibre », vers lequel l’économie tend sur le long terme et au-delà duquel un accroissement de la demande pousserait l’inflation) : désormais, celui-ci s’élèverait à 7,5% aux Etats-Unis -un niveau largement plus élevé qu’il y a seulement quelques années.
Les Américains angoissés par le chômage : qui l’eut imaginé en France ? Les défis de cette nouvelle donne globale sont en effet immenses. Ils n’appellent pas seulement une réaction des gouvernements. Les employeurs, les salariés voire les jeunes doivent agir et innover pour que cette nouvelle ère marque le renouveau de la création de richesses et d’emplois.