La 42ème édition du Forum économique mondial (WEF) s’est ouverte ce mercredi à Davos. Jusqu’à dimanche, plus de 2600 leaders mondiaux, dont 40 chefs d’Etat et de gouvernement, échangeront sur le thème de « la grande transformation, mettre en forme de nouveaux modèles ».
Le temps presse : « le monde est dans un état de ‘burn out’ total », s’inquiétait fin décembre Klaus Schwab, fondateur président du forum de Davos, qui place « les leaders » face à leurs responsabilités. « Une transformation mondiale doit avoir lieu d’urgence » pour adapter nos modèles à « l’ère de profond changement » que nous vivons – laquelle nécessite de « remplacer la gestion traditionnelle des affaires courantes. »
« Faire passer nos organisations du monde d’aujourd’hui à celui qui se dessine »
En France aussi, des associations de dirigeants réfléchissent à un renouveau du leadership : « la période de transition que nous commençons à entrevoir réclamant des profils de passeurs capables de faire passer nos organisations du monde d’aujourd’hui à celui, si différent, qui se dessine », écrit par exemple Françoise Gri sur son blog.
La grande transformation en cours est encore négligée
« La grande transformation que nous vivons » serait en train de se dessiner autour de quatre axes, a souligné Klaus Schwab :
- le rééquilibrage des zones de croissance,
- les bouleversements technologiques qui transforment le travail et les business modèles,
- la complexité du management à l’époque d’un décalage croissant entre compétences requises et disponibles,
- les nouvelles organisations du travail qui émergent.
« L’ancien modèle, c’était le capitalisme ; le nouveau, c’est le talentisme ». Klaus Schwab, 18 janvier 2012, lors de la conférence de presse préliminaire à l’ouverture de Davos.
Demain, tous au chômage ?
Autant de défis dont les décideurs et les populations n’auraient pas encore totalement pris conscience –pas seulement en France. Pourtant, tout le monde s’inquiète, pas toujours à haute voix : demain, serons nous tous mis au chômage par des robots et des pays émergents qui travailleront à notre place ?
« Race against the Machine », c’est justement le nom d’un ouvrage, écrit par deux économistes du MIT, qui a fait grand bruit aux Etats-Unis. Leur thèse : personne ne semble préparé à l’impact des transformations technologiques sur l’économie, alors que le Big Data nous inonde d’informations et que l’automatisation permet de réaliser des tâches de plus en plus complexes.
La technologie, ennemi de l’emploi ?
Andrew McAfee, co-auteur du livre, vient de publier une étude de l’évolution de l’intensité en travail de la production (« Labor Intensity ») aux Etats-Unis entre 2000 et 2011. Pour ce faire, plutôt que de considérer la productivité comme la production issue d’une heure de travail -l’indicateur habituellement utilisé-, il a cherché à savoir combien de salariés sont nécessaires chaque année pour générer un certain niveau de production -le PIB, au niveau national. Les résultats de son analyse sont édifiants et viennent éclairer d’un jour nouveau l’étude de l’évolution de l’emploi dans l’économie française d’ici 2016.
On peut en tirer quatre enseignements majeurs, souvent passés sous silence :
- L’impact des technologies sur la productivité est en cours et à venir, dans les métiers de la vente et du tertiaire notamment.
En effet, l’évolution la plus frappante sur le graphique est la chute vertigineuse de l’intensité en travail des métiers de la vente et administratifs, évidemment liée aux évolutions technologiques : si l’externalisation a joué, c’est avant tout la numérisation qui a détruit de nombreux emplois dans ces domaines.
- La réindustrialisation ne peut être la seule (nouvelle) source de création d’emplois, tant quantitativement que qualitativement (travail « qualifié » vs travail « peu/pas qualifié »).
- Les filières de demain émergent à peine ou sont encore à inventer. Notre pays doit se tourner vers celles dont l’émergence se dessine et doit favoriser l’entrepreneuriat à cette fin. Les économies ont besoin d’ingénieurs et, plus largement, de compétences – et ce besoin s’amplifiera sans doute.
Ce que cette étude montre, et ce qui est discuté à Davos, c’est que les organisations doivent radicalement innover pour que les transformations ne soient pas des tsunamis de l’emploi, notamment pour les générations futures.
ANALYSE DETAILLEE
Plus en détails, les enseignements saillants de l’étude rejoignent en partie la typologie de McKinsey entre des « emplois transformationnels », « transactionnels » ou « interactionnels »plus ou moins délocalisables et automatisables.
- Le seul secteur qui recourt à de plus en plus de travail est celui des services de santé, du care. C’est évidemment lié au vieillissement de la population, mais aussi au fait que la réduction des coûts, l’automatisation et l’externalisation/délocalisation du travail y sont difficiles.
- Sur le graphique, les trois lignes vertes correspondent aux secteurs qui ont connu une très faible évolution (inférieure à 5%) de leur intensité en travail entre 2000 et 2011. Ici, les « services » sont tous manuels et n’ont pas du tout été automatisés. Quant aux métiers d’avocat, de scientifique, d’architecte ou de la programmation informatique n’ont pas (encore ?) fait l’objet d’externalisations. Une motivation supplémentaire pour les jeunes qui hésitent à engager ou poursuivre des études –scientifiques notamment.
- La palme de la sécurité de l’emploi revient, selon Andrew McAfee, à la comptabilité, aux ressources humaines ainsi qu’aux professionnels du « business » et de la finance : l’économie américaine en a encore plus besoin qu’il y a 12 ans –malgré la possibilité d’automatisation et d’externalisation de certaines tâches.
- Les deux lignes bleues montrent que les postes managériaux et créatifs ont perdu quelques 10 points d’intensité de travail. Selon Andrew McAfee, ce serait parce que “les ordinateurs, bases de données et réseaux ont pris le dessus sur la fonction managérial traditionnelle de compilation, synthèse et transmission de l’information. » Le management prend une nouvelle dimension, mais il ne s’agit pas pour autant de « virer tous les chefs » : selon McAfee, le management n’est pas en train de disparaître en tant que métier mais les effets du progrès technologique, tant directs (le management devient de plus en plus « productif ») que indirects (le nombre de personnes à encadrer est en baisse, notamment dans la vente et l’administratif, nous l’avons vu), se font sentir.
- Les trois lignes rouges, tout en bas du graphique, correspondent aux métiers dont l’intensité en travail a le plus baissé : si la déclin de près de 20% qu’ont connu les secteurs de l’exploitation des ressources naturelles, de la construction et de la maintenance est certainement liée à l’effondrement du marché immobilier, la chute vertigineuse (supérieure à 30%) dans la production et le transport de biens est due à la combinaison de la hausse de l’automatisation, de l’externalisation et de la baisse relative de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée.