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The Future of Work – Le monde du travail au 21ème siècle

Les implications individuelles et sociétales des changements induits par les nouvelles technologies dans la nature et l’organisation du travail sont phénoménales. C’est le sujet d’un récent Livre blanc, publié par l’Aspen Institute et intitulé “The Future of Work – What it means for individuals, businesses, markets and governments”.

De haute facture intellectuelle, celui-ci rapporte les passionnants échanges qui ont eu lieu lors de la 19ème table ronde annuelle de l’Aspen Institute sur les technologies de l’information. Rassemblant experts des technologies, inventeurs, chefs d’entreprise, universitaires et responsables politiques internationaux, cette table ronde visait à identifier comment la nouvelle donne technologique et ses implications sociales impactent la nature du travail et des entreprises sur le long comme le court terme. Elle cherchait également à déterminer quels changements devaient s’opérer dans la nature et les modalités de l’action publique pour tirer le meilleur parti de l’ère du partage instantané de la connaissance.

Ces questions sont cruciales car, alors que le travail évolue vers des plateformes plus ouvertes et moins hiérarchisées, d’autres aspects de la vie en société sont également transformés : quelles réformes institutionnelles doivent être menées face aux inégalités économiques croissantes et la marginalisation sociale ? Comment faire évoluer des systèmes éducatifs et de gouvernement devenus obsolètes ? Autant d’enjeux largement évoqués par Jeffrey A. Joerres dans son discours au Forum économique mondial de Davos en janvier 2011, aux fondements de l’Ere des talents (Human Age).

L’Atelier de l’emploi vous livre ici une synthèse, en français, des nombreuses questions et propositions formulées dans ce rapport. Nous nous attacherons dans un premier temps à ses aspects les plus strictement liés aux entreprises elles-mêmes : comment la technologie transforme-t-elle leur organisation ?

 

Le lieu de travail au vingt-et-unième siècle

Dans son livre de 2001, The Future of Success , l’ancien ministre du travail américain Robert Reich écrit que le concept de l’emploi stable et permanent est en passe de devenir une relique d’une époque révolue. Abondant dans le même sens, Michael Chui, membre du McKinsey Global Institute, résumait la conception traditionnelle de l’organisation du travail au 20ème siècle de la manière suivante:

Des relations de travail exclusives et à plein temps, dans lesquelles les salariés sont rémunérés en fonction du temps qu’ils passent sur leur lieu de travail constituent la meilleure façon de mettre en valeur le talent humain. Ces relations doivent être organisées au sein de hiérarchies stables, qui voient les salaries évalués principalement par leurs supérieurs et où leurs fonctions et attributions sont prédéterminés ».

En passant au crible chacun des éléments de cette définition, l’on saisit aisément en quoi le monde du travail connaît un bouleversement radical :

  • Des relations de travail exclusives et à plein temps”
    Aujourd’hui, le travail est de plus en plus souvent réalisé en crowdsourcing, procédé par lequel des plateformes logicielles permettent aux internautes de participer à un projet sans nécessairement en recevoir une rémunération.
  • Des salariés rémunérés en fonction du temps passé au travail”
    Les entreprises organisent de plus en plus fréquemment des concours pour faire émerger des idées nouvelles et profiter des connaissances « communautaires ».
  • Lieu de travail
    Le travail transite de plus en plus souvent par les outils technologiques, rendant ce concept de plus en plus archaïque. Les pratiques de “nearshoring” – qui consiste en l’externalisation vers des personnes travaillant depuis chez eux dans le même pays- et l’existence d’organisations virtuelles et globales depuis leur naissance (où les liens entre le management, l’exécution, le marketing, etc. sont exclusivement virtuels) constituent des expressions significatives de cette tendance.
  • Hiérarchies stables”
    L’ « horizontalisation » des hiérarchies d’entreprise est une tendance désormais acquise. Certaines entreprises sont déjà passées à l’étape suivante en recourant aux technologies des réseaux sociaux pour staffer leurs projets ou en faisant travailler d’anciens salariés dessus.
  • « Des salariés évalués principalement par leurs supérieurs »
    Des méthodes alternatives d’évaluations sont en train de voir le jour, comme « l’évaluation à 720 degrés » (qui voit des personnes extérieures à la structure prendre part au processus) ; par ailleurs, l’importance de la connexion d’un salarié à un réseau et son influence en son sein commencent à être des critères pris en considération.
  • Des fonctions et attributions pré-déterminées“
    Aujourd’hui, les managers accordent de plus en plus d’attention à la façon dont les salariés participent à des communautés informelles de travail ou de pratiques, et la capacité d’expérimentation et de suivi devient déterminante dans des contextes changeant en permanence : « quand on ne sait plus par avance ce qui va marcher, il est indispensable de suivre l’évolution des réussites et de savoir comment les renforcer et les amplifier », considère M. Chui. Ici, la technologie ne sert par à garantir la conformité mais à permettre la participation.

Pour les analystes John Hagel III, John Seely Brown et Lang Davison, auteurs de The Power of Pull, l’organisation scientifique du travail au 20ème siècle  se fondait depuis Taylor sur une approche en mode “push”, dans laquelle les entreprises anticipaient une demande pour la traduire en productions destinées à des clients ; dans ce système « top-down » visant l’efficience et l’uniformité, les activités sont contrôlées dans le moindre détail afin de maximiser la prévisibilité des résultats. On comprend alors le rôle essentiel qu’y joue une hiérarchie centralisée : une élite et des experts « commandent et contrôlent » les activités et l’allocation des ressources de l’entreprise.

Au fond, l’entreprise du 20ème siècle s’est organisée en fonction du postulat selon lequel son objectif premier était d’abaisser les coûts par la croissance : la recherche des économies d’échelle était essentielle. Aujourd’hui, dans le monde turbulent de l’ubiquité numérique, les schémas tayloriens d’organisation du travail sont devenus obsolètes.

 

Les bouleversements du « travail »

  • Le travail n’est plus confiné à des horaires et lieux spécifiques.
    Le concept de “lieu de travail” pourrait disparaître. En effet, la technologie brouille la frontière entre “le travail” d’une part et “le domicile » et la « vie privée » d’autre part. Des dizaines de millions de personnes travaillent désormais depuis chez elles ou au sein d’entreprises virtuelles composées d’individus dispersés aux quatre coins d’un pays ou de la planète.
  • L’effacement des structures hiérarchiques
    Selon Thomas W. Malone, Directeur du Centre pour l’Intelligence Collective du MIT, considère que la décentralisation de l’organisation du travail et la liberté croissante dans son cadre constitueront des révolutions aussi importantes pour les entreprises que l’avènement de la démocratie au sein des Etats. En effet, l’accès universel à l’information permet à chacun de prendre des décisions éclairées -rendant inutiles les ordres venant de la hiérarchie.
    L’implication de cette évolution est extrêmement importante, puisque grande échelle (donc efficience) et petite échelle (donc motivation, créativité et flexibilité) peuvent désormais cohabiter.
  • La valorisation de la créativité, de l’intelligence émotionnelle et relationnelle
    John Seely Brown, co-président du Deloitte Center for the Edge, souligne qu’au-delà de l’intelligence cognitive, “le véritable travail à haute valeur ajoutée a probablement une composante imaginaire : c’est durant mon sommeil, dans mon subconscient, que s’effectue une part impressionnante de mon travail ».
    « Se connaître, être capable de s’auto-manager, de se connecter aux autres en faisant preuve d’empathie, savoir donc travailler en équipe, négocier et gérer les conflits » devient très important, ajoute Maryam Alavi, vice-doyenne de la Business School Goizueta de l’université d’Emory (Atlanta, USA) et titulaire de la chaire de stratégie de l’information à la John and Lucy Cook.
  • L’importance croissante des motivations personnelles et sociales : le travail exprime de plus en plus un certain mode de vie, une vision du monde.

Une crise est en germe, sans aucun doute, et les participants à la table ronde de l’Aspen Institute ont tout particulièrement exprimé leurs craintes face à la pénurie de talents.

 

Une pénurie de talents aux conséquences extrêmement graves se dessine

Selon Dwayne Spradlin, PDG de l’entreprise InnoCentive Inc., “ avec l’arrivée sur le marché du travail de la génération Y, qui fonctionne bien plus en mode projet que les précédentes, nous devons totalement revoir l’orchestration du travail, dans le sens d’un mouvement mondialisateur et externalisateur de fond. Les entreprises ne sont absolument pas prêtes à faire face à la « nation d’électrons libres » en cours de formation». Il considère donc que les ingrédients d’un « état de crise extrême » sont en train de se réunir, avec la polarisation du marché du travail (entre les bénéficiaires du développement économique et les autres) à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières ; pour preuve, selon lui : “plusieurs milliards de personnes n’ont même pas atteint le niveau bac ».

Les conséquences de la pénurie de talents ne se feront pas sentir uniquement au bas de l’échelle sociale mondiale : elle risque d’empêcher les investisseurs de s’engager, de stopper la croissance des entreprises et de l’économie.

Par ailleurs, la frustration des salariés ne doit pas être négligée : l’entreprise se focalisant exclusivement sur le client “externe”, elle néglige les messages envoyés par ses “clients internes”. A cause d’une organisation du travail en « silos », les salariés sont, par exemple, souvent frustrés par l’impossibilité de collaborer et coordonner leur travail avec celui d’autres salariés de la même entreprise.

Pour conclure ce premier billet consacré à ce passionnant rapport, un préalable à toute évolution positive dans le futur : tous les participants à la table ronde de l’Aspen Institute considèrent comme  comme indubitable que les entreprises qui n’auront pas dégagé une vision claire de leur futur et lancé les transformations nécessaires risquent de disparaître.

 

>>> Prochain billet sur « The Future of work » : « Comment la technologie transforme le travail ».


>>> Pour aller + loin :

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