Le meilleur des mondes de l’emploi ?
La page « oConomy » du site web de oDesk, un des sites d’emplois pour freelances qui ont le vent en poupe aux Etats-Unis, donne une bonne illustration de ce qui enthousiasme les uns et effraie les autres dans la mondialisation du travail: en juillet, quelques 250 000 entreprises ont eu recours aux services des 1,3 millions de personnes enregistrées sur le site, qui ont travaillé plus d’1,8 million d’heures (près du double du nombre de l’année précédente).
oDesk, créée dans la Silicon Valey en 2003, est un acteur qui « change les règles du jeu » selon son directeur général Gary Swart. Sa méthode : développer l’externalisation à laquelle les grandes entreprises recourent de plus en plus depuis une dizaine d’années vers des individus. « Le travail vu comme un service sert les intérêts de tout le monde », selon M. Swart :
- les employeurs bénéficient d’une main d’œuvre immédiatement disponible en cas de besoin ;
- les freelances, eux, n’ont pas à subir les contraintes d’une grosse structure – ils peuvent même travailler de chez eux.
oDesk préfigure le marché mondial, le monde du travail, qui est en train de se former sous l’effet de la globalisation et des technologies de l’information : la plupart des missions qui transitent par cette plateforme sont confiées par des entreprises des pays riches à des freelances des pays émergents –en Inde et aux Philippines surtout – et externaliser via oDesk permet d’économiser jusqu’à 10% du coût des missions.
Ainsi, la possibilité de baisser les coûts de production d’une entreprise par l’externalisation/la délocalisation n’est plus confinée à l’industrie et se développe sur des métiers de « cols blancs » tels que la programmation informatique, la rédaction ou des fonctions juridiques administratives. Ceci est susceptible d’avoir un fort impact sur les salaires dans le monde entier.
Une nouvelle division internationale du travail inédite, source d’angoisses
Ainsi, il est normal que les inquiétudes se répandent au sein d’une classe moyenne occidentale qui a assisté à la forte baisse des emplois industriels et est témoin des conséquences humaines de la délocalisation d’un certain nombre d’entre eux, tandis que les salariés des pays émergents qui possèdent les compétences et qualifications nécessaires, se frottent les mains :
- A New York, Janet Wetter alterne entre des missions de freelance et du travail à temps partiel après avoir perdu son CDI de rédactrice : « en freelance, je suis trop isolée. Et je n’ai pas pu me payer d’assurance-santé depuis le début de l’année ».
- Au même moment, Ayesha Sadaf Kamal, rédacteur freelance à Islamabad, se réjouit : « en travaillant avec oDesk, je gagne en une semaine ce que je gagnais en un mois comme professeur. Et je passe beaucoup plus de temps avec ma famille », se réjouit.
Pourtant, la mise en place d’un marché du travail mondial pourrait générer d’immenses richesses
Il est tentant de voir la mondialisation du travail comme un jeu à somme nulle : M. Kamal au Pakistan s’enrichirait aux dépens de Melle Wetter aux Etats-Unis. Mais, imprégnées de malthusianisme, les théories économiques en faveur du partage d’un travail dont le volume serait fixe ont été invalidées (par l’analyse du « lump of labour fallacy »). Aujourd’hui, la pensée économie privilégie l’analyse en termes d’avantages comparatifs, l’une des théories économiques les moins controversées ; selon cette dernière, la libéralisation des échanges est positive en ce qu’elle permet à chacun de se concentrer sur ce qu’il fait le mieux.
Quoiqu’il en soit, l’émergence du marché du travail mondialisé ne fera pas du monde un havre de paix : certes, il y aura des gagnants ; mais il y aura aussi des perdants – et ces derniers pourraient opposer de fortes résistances si les pertes se révélaient trop douloureuses. Ainsi, si un récent article de Michael Clemens intitulé « Economie et migrations : des milliers de milliards de dollars jetés par les fenêtres ? » (« Economics and Emigration : trillion dollars bills on the sidewalk ? ») montrait que le PIB global pourrait doubler si toutes les barrières à la libre circulation du travail étaient supprimées, les conséquences politiques de l’immigration massive que susciterait une ouverture inconditionnelle la rendent très improbable –surtout dans les pays riches.
Limiter les dégâts humains de la mutation
Comparés aux précédents mouvements de mondialisation et ruptures technologiques, les bouleversements du marché du travail entraînés par ce bond technologique pourraient faire un nombre particulièrement important de victimes, parce qu’ils se produisent à une vitesse exceptionnelle et parce que la crise frappe fort en même temps. Comme viennent de le souligner l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et celle du Travail dans leur étude conjointe « Rendre la mondialisation socialement soutenable » (« Making globalisation sociallay sustainable »), la priorité des gouvernements doit être d’en réduire au maximum le nombre.