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Robotisation : la guerre de l’emploi aura-t-elle lieu ?

ANALYSE. Le spectre de la robotisation donne lieu à de nombreux fantasmes prédisant chômage de masse et sonnant le glas du travail… Et si la réalité était tout autre ? Focus sur les dessous d’un phénomène qui prend de l’ampleur.

Après le bras automatique, l’heure du cerveau robotique ? Amorcée depuis les années 1960 dans les usines, la robotisation ne se résume plus à la mécatronique et l’imitation de la forme humaine. Aujourd’hui, le développement des intelligences artificielles permet d’envisager l’automatisation de plus en plus de tâches dans les services, de la logistique à l’entretien en passant par les maisons de retraite. Et la liste est longue…

Mais derrière la peur du grand remplacement, la robotisation présente un potentiel important de création d’emplois et de transformation du travail. Et si les robots n’étaient pas nos remplaçants mais – au contraire – nos futurs collègues ?

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3 millions d’emplois menacés par la Robotisation : fantasme ou réalité ?

3989018494_c4ab8687cb_oLes robots travailleront-ils pour nous… ou à notre place ? Parue en octobre dernier, l’étude « Les classes moyennes face à la transformation digitale », de Roland Berger, estimait à 3 millions le nombre d’emplois menacés d’ici 2025. Si cette perspective semble alarmante, le rapport apporte cependant une nuance, qui fait toute la différence :

«  Il s’agit là d’une perte «brute», qui ne prend pas en compte l’émergence de nouvelles activités et de nouveaux métiers, non plus que l’effet retour en lien avec les gains de productivité (qui stimule par ailleurs l’économie, sous certaines conditions) ».

Tout le défi est là, et c’est un enjeu d’autant plus important qu’au-delà de la simple disparition des emplois, ce serait également 42% des emplois français qui seraient automatisables à l’horizon de 20 ans. En tête des plus touchés : l’industrie de la transformation, mais aussi les fonctions administratives et l’agriculture.

370160863_c037267914_bPourtant, la robotique ne devait-elle pas se contenter de nous remplacer sur des tâches « simples » ? Pour Fabien Bardinet, cofondateur d’Aldebaran, « la robotique permet surtout de faire muter des métiers vers des tâches à plus forte valeur ajoutée ». Pas étonnant si l’on s’en réfère à son étymologie, le terme robot, issu du Tchèque, signifie « travail pénible, corvée » ; les robots seraient donc bien les remplaçants rêvés pour les tâches répétitives voire pénibles… Cependant, aujourd’hui les emplois intermédiaires et qualifiés sont également en ligne de mire : c’est notamment le cas de la logistique, « tous les distributeurs français sont en train de réorganiser en profondeur leurs entrepôts » explique Les Echos. « Et de les automatiser. Objectif ; 5 % à 10 % d'économies sur les coûts d'éclatement, qui seront réinjectés dans la guerre des prix. Leclerc, en Alsace, a déjà construit un site entièrement automatisé équipé de transtockeurs géants ».

La robotisation pourrait même s’étendre aux professions plus intellectuelles : journalistes, juristes, comptables, mais aussi les statisticiens et data scientists, pourtant tant recherchés aujourd’hui, qui pourraient voir leur métier actuel disparaître ? Hakim El Karoui, qui a piloté l'étude Roland Berger , va plus loin dans ses prédictions que d’autres études plus optimistes :

« L’automatisation pourrait être aux cols blancs ce que la mondialisation fut aux cols bleu. Elle va toucher les classes moyennes, y compris les classes moyennes supérieures, c'est-à-dire certaines professions intellectuelles, dont on va pouvoir automatiser certaines tâches, comme les comptables, les juristes, les journalistes…».

Seules l’éducation, la culture, et dans une moindre mesure la santé, sembleraient épargnées. En sommes, si elle reste incertaine dans ses effets, une chose est sûr : la robotisation s’accélère et change d’échelle.

> Lire aussi : Industrie – Adieu cols bleus, adieu cols blancs : vive les cols gris !

Mais si elle paraît nous remplacer sur certaines tâches, cela ne signifie pas qu’elle soit destructrice d’emploi : de nombreux observateurs prédisent, au contraire, une robotique créatrice d’emploi.

Des robots et des hommes : une alchimie créatrice d’emplois

6178390745_057a7763ee_oGrâce à la robotisation, 30 milliards d’euros de recettes fiscales et d’économie budgétaire pourraient être réalisé et réinvestis, selon l’étude Roland Berger. Un bouleversement nourrissant recherche, formation et création d’emploi que Bruno Bonnell, président de Robopolis, qualifie de Robolution : « La moyenne mondiale montre que pour un robot installé dans une usine, cela crée trois emplois ! » explique-t-il. Défi de productivité et de compétitivité, la robotique va devenir un enjeu primordial pour le marché internationale. Les économies qui ne prendraient pas ce tournant seraient à terme hors-jeu. En témoigne l’attrait de Google pour les entreprises en robotique, et dans une moindre mesure les initiatives de l’Etat pour aider les PME à se robotiser.

> Lire aussi : Ces robots qui vont (enfin) envahir nos PME… et créer des emplois

Fabien-Bardinet-Directeur-General_content_largeUne transformation d’impact équivalent à la mutation digitale ? Comme le numérique, l’automatisation relèverait de cette logique de destruction créatrice ou, pour les plus optimistes, de création créatrice. La menace pèserait moins en termes de suppressions que d'évolution des métiers vers de nouvelles compétences. Fabien Bardinet, d’Aldebaran l’explique ainsi :

Des emplois peuvent disparaître, mais ils seront remplacés par d'autres qui offriront d'autres services où l'humain est durablement inégalable. L'Allemagne compte 170.000 robots, contre 35.000 en France, pourtant le chômage y est beaucoup moins élevé. La robotisation permet de gagner en compétitivité en abaissant des coûts au niveau de la main-d'oeuvre des pays émergents. Ces gains peuvent même permettre de relocaliser certaines productions.

L’exemple de Toyota est éloquent : l’entreprise qui utilise des centaines d’automates sur les chaînes de production, a réduit de 10% le gaspillage et baissé les coups de fabrication des châssis, en faisant le choix de remplacer les robots par des hommes sur certains postes de travail. Même si l’intelligence artificielle se perfectionne, sans intervention humaine, pas d’amélioration continue des dispositifs.

> Lire aussi : Quand Toyota remplace des robots par des hommes

Deux visions s’affrontent donc : pour les optimistes, cette tendance va générer de nouveaux emplois et surtout de nouveaux métiers, pour les plus pessimistes, la robotisation rime avec chômage de masse. Et si finalement, au-delà du prophétisme ambiant, l’enjeu derrière ce phénomène résidait plutôt dans la compréhension des bouleversements des modes de travail jusqu’à la redéfinition de la notion même de travail ?

Transformation RH : comment travailler avec les robots, nos futurs collègues

Sawyer-and-Baxter Humain, machine : une collaboration fructueuse pour de futurs collègues ? Un robot collaboratif est « human friendly », c’est-à-dire qu’il peut travailler aux côtés de l’homme sans être séparé de lui par une cage de protection » expliquait Jérôme Laplace, fondateur de Génération Robots, une société qui distribuera bientôt un robot bien plus « collaboratif » que les machines outils classiques : Sawyer, conçu par Rethink Robotics, qui pousse « au plus loin les concepts de relation homme-machine » notamment parce que celui-ci est doté d’un écran affichant des yeux, une émotion, « un feedback informationnel naturel » selon le site Maddyness.

> A lire aussi : Numérique et emploi : la création créatrice

Une évolution des métiers plutôt qu’une menace pour l’emploi ? La réalité est très différente que ce à quoi l’on s’attendait, et des métiers annoncés « disparus » ont d’ores et déjà évolué. Deux cas :

  • L’hôtesse de caisse : le mythe de la disparition de ce métier est à remettre en perspective. Le secteur, tout métier confondu, connaissait une baisse des effectifs de seulement 2,1 % entre 2011 et 2012. Le métier de l’hôtesse de caisse a ainsi changé : superviser les caisses automatiques et aider les clients est totalement différent d’une hôtesse de caisse classique, et surtout requiert de nouvelles compétences : simultanéité des tâches, pédagogie, supervision et relation client, telles sont les nouvelles aptitudes requises pour travailler avec des caisses automatiques.
  • Les robots mobiles de surveillance ont remplacé physiquement les agents de sécurité dans les entrepôts, qui deviennent alors les superviseurs de plusieurs robots et président la prise de décision lors d’une intrusion ou d’un problème. Cette co-existence, voire une complémentarité, est de plus en plus acceptée par les salariés : « les agents ont tout à fait mesuré l’intérêt que présente l’utilisation des robots au sein de leur travail. Ils voient cela vraiment comme une évolution et comme une professionnalisation de leur métier de surveillant», souligne David Lemaître, Président d’EOS Innovation.

machine-a-recruterDu côté des RH, humain et machine se rencontrent de la même façon, l’un n’allant pas sans l’autre. Les robots sont en effet très présents dans la pratique du recrutement : 95 % des grosses entreprises et 50 % des PME y auraient recours. Dans les entreprises, qu’elles soient grandes ou petites, les robots lisent les CV et sélectionnent ceux qui sont en phase avec les compétences recherchées. C’est donc en amont de l’entretien que les robots interviennent pour laisser place à l’homme évaluant alors « les paramètres « sensibles » pour décider quand et où il affectera tel ou tel candidat », explique Jean-Baptiste Audrerie, psychologue organisationnel et directeur marketing de SPB. Une division des tâches qui reposent sur une grande complémentarité. Les robots ne menacent pas les recruteurs. Au contraire, ils oeuvrent à renforcer son expertise.

> Lire aussi : Digitalisation du recrutement : les candidats attendent avant tout…de l’expertise

Au final, c’est en termes de compétence que la robotisation transforme les métiers. Pour prendre le cap de l’innovation, les entreprises auraient de plus en plus besoins de profils ayant des compétences en robotique et programmation. C’est une guerre des talents qui se profilent alors, car c’est bien le talent humain qui fait la différence. Des talents, indispensables pour s’adapter : la direction des ressources humaines doit alors prendre acte de ce phénomène qui touche autant l’industrie que les services. Enfin, l’enjeu est de développer en interne les compétences transversales des collaborateurs pour garantir leur employabilité en temps de robotisation : des compétences techniques pointues pour manipuler les machines aux compétences cognitives pour collaborer avec nos amis les machines.

Une chose est sûre : la question homme/machine va structurer les débats sur l’emploi des prochaines années. Un rapide regard sur l’évolution des métiers ces dernières décennies et la disparition de certains nous apprend, comme le concluait David Thesmar, professeur à HEC, « la technologie n’est pas l’ennemie de l’emploi, mais [qu’] elle en transforme profondément la nature ».

Le 9 juin prochain, ManpowerGroup Solutions et EMLYON Business School organisent, en partenariat avec le Figaro économie, une conférence-débat avec Bruno Bonnell, Président de Robolution Capital, intitulée « La robolution, quels impacts sur les entreprises et les métiers de demain », dont nous rendrons évidemment compte.
 
Crédits images : JD Hancock (CC BY 2.0), Chiarashine (CC BY-NC 2.0), David Pickett (CC BY-NC-SA 2.0)
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