INTERVIEW. 140 000, c’est le nombre de jeunes, qui, chaque année, sortent du système scolaire sans diplôme, soit près d’ 1 jeune sur 5. Pour contribuer à enrayer ce phénomène, en 2013, sept fondations d’entreprises se réunissaient autour d’un projet innovant, l’Alliance pour l’éducation. Retour sur ce programme inédit avec Laurence Piccinin, Déléguée générale.
Le décrochage scolaire est un phénomène dont les causes sont multiples : sentiment d’enfermement dans des choix d’orientation souvent subis ; dévalorisation de l’école et du travail ; influence de l’environnement social et familial… Comment alors aider les élèves en passe de décrocher qui s’exposent, du fait de l’absence de qualifications, à être confrontés à une insertion professionnelle difficile voir au chômage ? Un phénomène d’autant plus inquiétant que l’on sait que 46% des non-diplomés sont au chômage actuellement en France.
Aujourd’hui, ce sont désormais 11 fondations et entreprises qui unissent leurs moyens et leurs énergies pour lutter contre ce fléau : Deloitte, France Télévisions, HSBC, RATP, Safran, Imerys, CNP, SNCF, Total, la Caisse des dépôts et la fondation ManpowerGroup.
Qu’est-ce que l’Alliance pour l’éducation ?
Laurence Piccinin. L’Alliance pour l’éducation est une fondation réunissant des fondations d’entreprises publiques et privées et des entreprises autour d’une cause, celle de la prévention du décrochage scolaire. Créée en 2013 sous l’impulsion d’Admical, c’est un projet inédit car ces fondations d’entreprises ont voulu construire ensemble un dispositif innovant, opérationnel et global.
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La gouvernance est également placée sous le signe de l’innovation : elle est tournante. Et toutes les décisions sont prises de manière collective. Le Conseil d’Administration est composé de mécènes qui élisent un bureau. Président, vice-président, secrétaire général et trésorier sont alors choisis parmi les membres.
En quoi consiste ce projet ?
Nous développons des réponses globales au décrochage scolaire en agissant directement sur le terrain. Le décrochage scolaire est un problème complexe et nous avons décidé d’agir en amont de concert avec l’équipe éducative, les familles et des associations. Le programme s’adresse à des collégiens, identifiés comme potentiels décrocheurs par l’équipe éducative, qui sont accompagnés individuellement et collectivement sur une durée de 3 ans, de la 5e à la 3e.
Ainsi chaque jeune bénéficie d’un accompagnement individuel hebdomadaire. Sur le plan collectif, l’accent est mis sur la découverte progressive du monde et de l’esprit de l’entreprise, par l’organisation de rencontres, dans la classe, avec des collaborateurs d’entreprises. En 5e par exemple, l’approche ludique et interactive mobilise les élèves « en mode débat ». En 4e, c’est la mise en projet qui a la part belle avec la conception et la réalisation d’un MOOC par les élèves. Enfin, en 3e, les élèves se concentrent sur leur projet individuel et sont accompagnés dans sa définition mais aussi dans sa mise en pratique en réalisant leur CV et leur lettre de motivation.
« Nous souhaitons développer des réponses globales au décrochage scolaire en agissant directement sur le terrain »
Notre démarche est originale : elle consiste à mettre en synergie des acteurs et permettre à des collaborateurs d’intervenir dans les classes de collège. Sur le terrain, c’est également de la co-construction qui prime. Nous travaillons avec des associations, identifiées et reconnues localement pour leur travail. Quand elles n’existent pas, nous agissons directement.
Quel bilan faites-vous de cette année pilote qui se termine ? Et comment envisagez-vous la rentrée prochaine ?
L’année scolaire 2014-2015 est la première année complète. Nous avons travaillé dans trois académies (Créteil, Paris, Versailles) avec pour chacune, un département pilote : la Seine-et-Marne, Paris et la Val d’Oise. Ainsi dans 8 collèges, ce sont près de 130 élèves qui ont été accompagnés individuellement au quotidien et 1 000 qui ont pu être sensibilisés.
La rentrée prochaine sera celle du renforcement du dispositif. Nous souhaitons éprouver le modèle et l’asseoir dans la durée avant d’essaimer. Dans 10 collèges, nous allons accompagner individuellement 220 élèves et en sensibiliser 1500. La nouveauté, c’est notre présence dans la Seine-Saint-Denis, un département stratégique en termes d’éducation prioritaire, avec des besoins immenses. Et si une quarantaine de collaborateurs ont été mobilisés cette année, une centaine le seront dès la rentrée prochaine.
« Renforcer l’accès à l’entreprise pour ses enfants qui n’ont pas de réseau et leur donner une représentation variée du travail »
Pour les élèves accompagnés, l’expérience est très positive. Les qualités et capacités de chaque jeune sont valorisées par les activités développées dans ce projet, notamment par les rencontres avec les professionnels de l’entreprise. Ce qui fait notre succès, c’est l’hybridation tant au niveau des réponses que nous apportons que des processus mis en œuvre.
La co-construction est la marque de fabrique de votre action. Pouvez-nous en dire plus sur le projet « construire ensemble » ?
Le programme est un concept novateur qui nous impose « d’avancer en marchant ». Pour cela, nous avons créé le micro-projet pilote « Construire ensemble », dans lequel rien n’est figé et tout va se définir et s’affiner grâce à des améliorations continues, notamment par des retours d’expériences émanant directement du terrain et des partenaires.
Le 23 mars dernier, par exemple, nous avons organisé un grand séminaire avec les collèges partenaires et leurs équipes éducatives, les rectorats et la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO) qui a permis de mettre à jour ce qui a marché et les évolutions nécessaires pour répondre aux besoins des collèges. Ce séminaire était destiné autant aux praticiens au quotidien (professeurs, référents, équipes de direction) des collèges engagés qu’aux cadres de l’Éducation nationale. C’est une alliance vertueuse : le dialogue avec le terrain est permanent.
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Ce format ambitieux nous a également permis de réfléchir ensemble, avec les partenaires, aux compétences nécessaires aux enseignants pour accompagner les élèves. Pour faire émerger les meilleurs outils et processus, rien de tel que les retours d’expériences et partages des pratiques !
Avec vos partenaires que sont L’Éducation nationale et les associations, comment se passe le processus de co-construction sur le terrain ?
Nous nous sommes effectivement fixés deux impératifs que sont la construction avec l’Éducation Nationale et le dialogue avec le terrain. Notre projet est en résonance avec la réforme du collège, surtout sur la question du travail transdisciplinaire. L’un des 15 Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) fait une belle place à l’entreprise. L’idée est de faire connaître son esprit aux élèves, en le rapprochant de ses codes et de sa culture.
Cela passe également par une meilleure connaissance des métiers. Les rencontres avec les professionnels des entreprises, qui viennent dans les classes, et co-animent les séances avec les professeurs permettent cet échange et cette connaissance de l’entreprise. De même, nous faisons venir les élèves dans l’entreprise. L’objectif est de renforcer l’accès à l’entreprise pour ses enfants qui n’ont pas de réseau tout en leur donnant une représentation variée du travail.
Comment sont formés les collaborateurs et les équipes éducatives ?
Les collaborateurs bénéficient d’un accompagnement individuel et collectif. Ceux qui vont dans les classes sont formés par les associations, aux côtés des professeurs avec lesquels ils vont co-animer les séances. A la rentrée prochaine, nous allons compléter cette journée de formation en présentiel avec du e-learning. Et l’apport de ManpowerGroup sera évidemment crucial dans ce domaine. Le 18 juin dernier, nous avons organisé un atelier pour définir les contenus qui sont destinées à la séance de formation de la rentrée.
« L’engagement des collaborateurs est essentiel pour ouvrir des pistes d’orientation scolaire et professionnelle »
La formation est au cœur du programme : elle permet d’accompagner les collaborateurs, de les mobiliser et de faciliter leur engagement. A cela s’ajoutent la mise en place d’une hotline et d’un système d’ambassadeurs-relais pour assurer l’écoute et le suivi des professionnels. Leur dévouement est en effet essentiel pour ouvrir aux jeunes des pistes d’orientation, scolaire et professionnelle.
Sur le terrain, l’Alliance pour l’Education est très vivante, je vous invite d’ailleurs à suivre notre page Facebook qui fait la part belle, en photo et en témoignage, aux actions… et aux jeunes !