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Solex

Les relocalisations, combien d’emplois ?

En février 2011, à l’occasion d’un dîner californien avec la « crème » de la Silicon Valley, Barack Obama interrompait Steve Jobs pour lui poser une question : « Que faudrait-il faire pour fabriquer des iPhones aux États-Unis ? ». L’équation américaine a de quoi frustrer son Président : avec 70 million d’iPhones, 30 million d’iPads et 59 millions d’autres produits vendus en 2011, Apple ne pèse que 43 000 emplois américains… Soit dix fois moins que le General Motors des années 50 et ses 400 000 emplois domestiques. C’est cela, « l’économie iPhone », résume le New York Times : l’iPhone, « modèle de l’ingéniosité américaine », est aussi le symbole de la chute – inéluctable ? – de l’emploi industriel, lui-même aboutissant à la perte d’autres emplois de services.

L'économie de l'iPhone

Kodak, 400 000 employés, « supplanté » par Instagram et ses 13 employés ; des sites de production de pellicule argentique « remplacés » par des centres de logistique Amazon en Bourgogne, etc. : nombreux sont les témoins du passage d’une économie industrialisée à une « économie de l’iPhone », où les plus gros employeurs, aux États-Unis, se nomment Kelly (ressources humaines), IBM, et surtout Wal-Mart (grande distribution).

Les relocalisations, « nouvelle tendance »

[encadre]A l’image justement de Wal-Mart, qui affiche son engagement en faveur du made in USA, l’une des tendances annoncées de cet automne-hiver 2013 est celle du retour de la production chez l’Oncle Sam. Le sujet avait rythmé la présidentielle américaine et continue de préempter les débats sur l’attractivité du pays. Les bons élèves ne manquent pas : après Motorala au printemps, ce fut au tour… d’Apple d’annoncer pratiquer le reshoring, c’est-à-dire la relocalisation d’une partie de sa production, ou plutôt de l’assemblage de ses pièces.

Tim Cook, le PDG d’Apple, annonçait ainsi le lancement d’un Mac Pro « made in the USA », se justifiant au passage de ne pas davantage relocaliser sa production, non pas en raison des répercussions sur le prix des produits mais bel et bien à cause d’une « pénurie de compétences » aux États-Unis… Dans des économies de la connaissance, les compétences disponibles, plus que le coût du travail, seraient-elles la problématique numéro un de la réindustrialisation ?

Le mouvement, en tous les cas, ne ferait que commencer… Après Austin, l’Arizona : début novembre, Apple a cette fois annoncé l’implantation d’une nouvelle usine sur le sol américain, et la création nette « 2 000 emplois d’ingénierie, de production et de construction ».

> Lire Le made in France est mort… vive le made in régions !

La « nouvelle tendance » est aussi française, la deuxième édition du salon du made in France, qui se tenait à la mi-novembre, était l’occasion d’exhiber un certain nombre de réussites en la matière, et de réaffirmer que le made in France est la « cause nationale » du moment. Il y avait eu la fonderie Loiselet ou les jouets Smoby. Ont suivi Renault Trucks, les fameuses bottes Méduse, le mythique et symbolique Solex, les pneumatiques de Bosch Rexroth, les cadres-photos Céanothe. Il y aurait pu avoir K-Way.

Colbert 2.0

Les délocalisations, 0,3% de l’emploi salarié…

Les relocalisations sont le « choix de la France », lançait le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, à l’occasion de la publication d’une synthèse mêlant études de cas et analyse macroéconomique (pdf) en juin dernier. L’idée est notamment se démarquer d’une période récente où, malgré quelques évangélisateurs du made in France (Meccano, Rossignol, etc.), les économistes dénombraient un emploi créé du fait de relocalisations pour trente détruits du fait de délocalisations… Des délocalisations qui elles-mêmes représenteraient 20 000 « suppressions directes de postes » entre 2009 et 2011, soit… 0,3% de l’emploi salarié, selon l’INSEE.

> Lire La « contre-attaque de l’emploi » : les économies locales faces à la crise qui vient 

Sur la route de Shenzen à Montceau-les-mines, les relocalisations (quelles soient d’« arbitrage », de « retour » ou de « développement compétitif ») amènent-elles aujourd’hui vraiment de l’emploi en France ? Si plus de 300 entreprises auraient entamé une stratégie de relocalisation en la simulant via le logiciel Colbert 2.0, mis en place par le gouvernement, l’impact sur l’emploi reste pour le moins minime. C’est aux machines que les relocalisations profitent le plus, estime l’économiste Augustin Landier, auteur des 10 idées qui coulent la France :

« La relocalisation de la production industrielle, qu’on invoque souvent comme un espoir, n’est pas non plus un gisement important d’emplois parce qu’elle se fait souvent au travers d’une très forte robotisation. Cette relocalisation ne génère qu’un tout petit nombre d’emplois peu qualifiés et favorise plutôt des postes de haut niveau dans le logiciel ou le design. »

…les relocalisations, 5 millions d’emplois d’ici à 2020 ?

En extrapolant les données disponibles, aux États-Unis, la « Reshoring Initiative » comptabilise pourtant 80 000 emplois créés ces deux dernières années par les  relocalisations, dont 60% en provenance de la Chine. Même avéré, ce chiffre ne correspond qu’au dixième des emplois qu’il faudrait créer « en moyenne pour surmonter durablement le chômage », note Le Monde. Sur la base d’une augmentation des coûts de production en Chine, le Boston Consulting Group voit plus loin :  

« En 2020, la hausse des exportations américaines, combinées à une production rappatriée depuis la Chine, pourrait créer de 2,5 à 5 millions d’emplois industriels et de service aux États-Unis. »

Refusant tout caractère anecdotique aux récentes relocalisations, le président du Manufacturing Institute, Jerry Jasinowski, voit en elles une « transformation majeure » pour les économies occidentales.

Image Engadget
Image © Engadget

Innovation first

Le refrain du reshoring et des relocalisations a pourtant ses fausses notes, à commencer par… Apple, dont l’Usine Nouvelle juge les deux annonces dans le premier cas, anecdotique, dans le second, équivalente à une « reconversion industrielle » plutôt qu’à une relocalisation de la production. Le « made in France », pour Augustin Landier, tourne lui à l’« obsession ».

Les 480 000 emplois qui seront « préservés, créés ou renforcés » en 10 ans par les 34 plans de reconquête industrielle annoncés en septembre ne seraient-ils pas le nerf de la guerre ? « Il faut avant tout miser sur des produits innovants. L’effet Made in France ne vient qu’en second », juge Philippe Peyrard, Directeur Général Délégué d’Atol, délocalisateur « par dépit » en 2003 avant de relancer sa production en France, avec « un coût de revient inférieur aux 5 dollars en Asie » et des investissements dans les machines, mais aussi dans la formation à des compétences de pointe. En fonctionnant, aussi, comme une véritable entreprise étendue : en travaillant avec des start-ups et plusieurs sous-traitants, Atol a pu par exemple aller « chercher l’expertise et l’inventivité technologique d’un fabricant de clapet de coeur artificiel ».

L'entreprise étendue, un écosystème gagnant

0,1% des emplois créés entre 2009 et 2012 : les relocalisations « ne pèsent rien », tranche l’économiste Olivier Bouba-Olga pour Localtis. Au-delà du coût du travail et de la compétitivité-coût, « l’insertion dans la chaîne de valeur mondiale, ce qui signifie être spécialisé dans des créneaux différenciés et innovants » primerait… L’innovation (pas seulement technologique, mais marketing ou organisationnelle, ajoute l’universitaire), nécessite d’investir dans la formation des personnes, deuxième facteur majeur de création d’emploi.

La transmission des compétences, par exemple via le contrat de génération, prend à ce titre une importance considérable. Plutôt que le « made in » local, donc, l’innovation : l’un des premiers créateurs d’emplois, aux États-Unis, est d’ailleurs industriel… et Japonais.

> Crédit image : Nolleos/Flickr (CC)
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