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Signature de contrat

L’alternance, oui. Mais laquelle ?

« Le développement de l’apprentissage n’est pas le remède automatique au chômage des jeunes. » Dans la droite ligne de l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), une étude récente du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) vient battre en brèche une idée reçue : l’apprentissage n’est pas l’alpha et l’oméga des solutions au chômage des jeunes ; la France n’aurait donc pas intérêt à le développer tous azimuts. En réalité, il n’y a pas une mais des alternances : les usages et les besoins varient selon les secteurs d’activité et les niveaux de diplôme. Le CEREQ préconise une remise à plat d’un système caractérisé par la « complexité de son pilotage institutionnel, politique et financier ». Le CESE allait dans le même sens, soutenant une vision plus qualitative, réaliste et raisonnée de l’alternance. Les négociations sur le contrat de génération seront-elles l’occasion de cette refondation ?

 

L’alternance à la française, c’est flou. Par définition, l’alternance est ce mode de formation « dual », mêlant théorie et pratique. En France, cela correspond à deux réalités juridiques :

  • le contrat d’apprentissage, uniquement destiné aux moins de 25 ans, dans le cadre de leur formation initiale : il s’agit ici d’un « sas » entre l’école et le travail ;
  • le contrat de professionnalisation, moins répandu et utilisé sur des périodes plus courtes, centré sur l’insertion professionnelle – l’acquisition d’une compétence complémentaire.

Du mépris à l’effet de mode : pourquoi l’alternance séduit 

Les clichés ont la dent dure avec l’alternance : longtemps, les Français l’ont perçue comme une voie de seconde zone, une solution par défaut pour des jeunes en grande difficulté, découplée de toute stratégie d’orientation. Bon nombre d’apprentis se sentent méprisés, dans une France qui ne valorise traditionnellement pas les métiers techniques. Mais aujourd’hui, la critique d’un système éducatif trop théorique et pas assez opérationnel fait consensus.

Campagne de promotion de l'apprentissage, 2011L’alternance apparaît comme un dispositif-clé dans la transition vers l’emploi. L’OIT, par exemple, évalue à 30% les chances supplémentaires de trouver un emploi pour un jeune ayant suivi ce mode de formation. Sans doute aidée par le modèle allemand, l’alternance semble être devenue « tendance », au point de transcender les clivages politiques : quand Nadine Morano appelait à la « mobilisation générale pour l’alternance », son successeur au ministère de la formation professionnelle, Thierry Repentin, assure vouloir « maintenir l’effort » sur les contrats de professionnalisation et d’apprentissage. Les métiers techniques vont-ils enfin être considérés à leur juste valeur ? Les études considérées non plus comme une course au statut, mais comme une voie d’accès à une fonction « utile » ?

A qui profite l’alternance ?

Un article du journal L’Express s’enthousiasme, cette semaine, sur la « petite révolution » qui traverserait les écoles supérieures de commerce (ESC) : « le nombre d’étudiants qui suivent leur cursus en apprentissage a explosé » : + 47 % en trois ans. A l’inverse, l’alternance ne progresse pas chez ceux qui en auraient le plus besoin ; elle régresse même : en 2006, seuls 40% des nouveaux apprentis étaient non-diplôméscontre 60% en 1992. Ne trouvant aucune corrélation entre le chômage des 15-24 ans et le développement de l’apprentissage, le CEREQ va jusqu’à dire que l’alternance n’est pas un outil de lutte contre le chômage des jeunes. Le développement de l’alternance a bénéficié aux plus qualifiés, en permettant aux entreprises d’engager des diplômés plus opérationnels, et à moindre coût. Pour le CEREQ, l’alternance serait un nid à effets d’aubaine.

D’autres lacunes, déjà pointées par le CESE, sont manifestes :

  • mauvais équilibrage entre les secteurs – le public offre par exemple très peu de places ;
  • échec de près d’un contrat d’apprentissage sur cinq, rompus avant leur terme ;
  • si plus de deux tiers des alternants décrochent un contrat à l’issue de la période de formation, d’aucuns reprochent au dispositif de ne pas déboucher directement sur un emploi stable – « à peine » plus d’un tiers de CDI à la clé.

Progression de l'apprentissage par niveau de diplôme

L’alternance n’existe pas

Sur le terrain, les choses sont encore plus compliquées qu’il n’y paraît. Un précédent rapport du CEREQ venait balayer le mythe d’une solution universelle : l’alternance n’est pas un remède-miracle pour tous, contrats d’apprentissage et de professionnalisation se développent au cas par cas, selon les besoins. Les usages varient ainsi d’un secteur d’activité à l’autre, mais aussi selon la taille de l’entreprise et le niveau de qualification des apprentis. Surtout, au sein même de chaque facette de ce « kaléidoscope », la règle est le mouvement perpétuel : les pratiques ne sont pas inscrites dans des stratégies de long terme (voir encadré en fin d’article).

Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France (ANAF), ne dit pas autre chose lorsqu’il se garde de prôner toute massification de l’alternance : loin des batailles de chiffres, il faut surtout porter attention à la qualité des formations. L’alternance « n’est pas le modèle absolu ».

Un écosystème de l’apprentissage : efficace en Allemagne, impossible en France ?

Claudine Romani, l’auteure du rapport du CEREQ, insiste : il ne faut pas être obnubilé par l’apprentissage, et il est en grande partie illusoire de vouloir transposer le modèle allemand en France. D’abord, parce que les deux pays restent confrontés à un même problème : l’apprentissage est de plus en plus trusté par des jeunes diplômés. Le dispositif, de plus en plus coûteux pour les entreprises, attire d’ailleurs de moins en moins de candidats (s’il concerne encore trois jeunes Allemands sur cinq, ce chiffre est en constante diminution).

Ce sont en fait surtout les différences de mentalité qui rendraient un calquage inopérant : le modèle allemand est celui d’une culture presque historique de l’apprentissage, fruit d’une alliance ancienne entre les sphères éducative, économique et syndicale. L’engagement des entreprises allemandes témoigne en tout cas d’un choix politique et sociétal marqué. Impossible en France ? La faiblesse et la désorganisation des liens entre l’école et l’entreprise font en tout cas de notre pays une véritable exception en Europe, souligne le CEREQ.

En juillet dernier, le Président de la République et son Premier ministre, adepte du modèle allemand, annonçaient leur intention de créer une « culture de la négociation sociale ». Aujourd’hui, c’est le ministre de l’Education nationale, agrégé de philosophie, qui insiste sur la nécessité de faire entrer l’entreprise dans l’école dès la 6ème (« l’éducation nationale doit assumer pleinement son rôle […] de préparer les jeunes à un emploi »). Le climat semble propice à l’élaboration d’une stratégie et de pratiques durables et adaptées aux besoins concrets, par-delà les effets de mode. Les négociations sur le contrat de génération dessineront-elles une alternance à la française ?

 

>>> EN SAVOIR +

LES ALTERNANCES EN FRANCE

 

Rares sont les grandes entreprises à avoir recours à l’alternance, sauf dans le bâtiment, l’alimentaire et l’industrie.

  • Les petites entreprises du secteur du bâtiment sont les premières à mobiliser des contrats en alternance. Elément surprenant : elles s’adressent surtout à des profils commerciaux, plus qu’à des ouvriers.
  • C’est dans d’autres secteurs marchands, l’hôtellerie et la restauration,  mais aussi le commerce alimentaire, que se concentrent les possibilités d’alternance pour les non-diplômés au profil technique.

Dans les services, les entreprises font rarement appel à l’alternance de manière structurelle ; seules les PME sont actives, notamment à bas niveau de qualification.

Cartographie des formations alternance
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