Les dernières statistiques de l’INSEE sont tombées : le chômage touche désormais 10% de la population active en France, son plus haut niveau depuis 1999. Alors que la liste de 45 000 emplois menacés établie par la CGT est qualifiée de « réaliste » par le gouvernement, un rapport du McKinsey Global Institute dénonce les « 6 mythes » qui fondent les tentations protectionnistes.
Il avance notamment l’idée que la désindustrialisation des économies avancées n’aurait pas grand-chose à voir avec les délocalisations : ce sont surtout les évolutions de nos modes de consommation et de la productivité qui seraient en cause. L’étude montre également que l’opposition industrie/services est artificielle et contreproductive : l’intégration de toujours plus de services – innovants – dans l’industrie serait une arme au service du « redressement productif ».
Le McKinsey Global Institute (MGI) dénonce minutieusement ces « 6 mythes » en se fondant sur l’analyse de dix-sept économies avancées (dont la zone euro, les Etats-Unis et le Japon). Trois d’entre eux retiennent particulièrement notre attention.
Le commerce international n’est pas la cause du déclin de l’emploi industriel
Entre 1990 et 2006, la Zone euro a perdu 20% de ses emplois industriels, les Etats-Unis 22%. Le mouvement devrait se poursuivre : en 2020, selon McKinsey, les emplois industriels pèseront moins de 10% de l’emploi total dans l’OCDE.
Les partisans du protectionnisme dénoncent le commerce international : la concurrence « déloyale » des pays à bas salaires serait la cause de la désindustrialisation, l’ennemi de l’emploi en France. McKinsey montre qu’en réalité, seules 20% des pertes d’emplois industriels dans les économies avancées peuvent être attribuées au commerce international ou aux délocalisations. Un exemple est convainquant : même si les Etats-Unis avaient suffisamment soutenu leurs exportations industrielles pour équilibrer leur balance commerciale en 2010, le nombre d’emplois « gagnés » n’aurait jamais suffi à rattraper les pertes des années 2000.
Les véritables causes : l’évolution de notre consommation et la productivité
De fait, selon le rapport, la désindustrialisation suit des tendances de long terme des économies « avancées » : l’évolution de la consommation et l’augmentation de la productivité.
McKinsey montre que c’est parce que la demande évolue vers toujours plus de services (tourisme, IT et santé au premier chef) que l’on produit relativement moins de « biens manufacturés » ; si nous avons besoin de toujours plus de services de santé, par exemple, c’est parce que nos populations vieillissent. Par ailleurs, les progrès de la productivité dans l’industrie, rendus possibles par les avancées technologiques, les innovations organisationnelles et les compétences, permettent de produire plus et plus vite – une nécessité pour répondre à une demande qui, elle aussi, évolue de plus en plus vite et se diversifie.
Autre réalité méconnue que le rapport met à jour : on peut être exportateur de produits manufacturés et perdre des emplois industriels. C’est le cas de la Suède : alors que la part des produits manufacturés dans les exportations a quasiment été multipliée par six entre 1990 et 2003 (de 1,4% à 8,1% du PIB), l’emploi industriel a chuté de 19% sur la même période. Car la productivité a progressé – ce qui permet de faire baisser les prix, augmenter les salaires et/ou de dégager des marges pour investir sur l’avenir.
Les services : gisement d’emplois à forte valeur ajoutée en Europe
Dans les économies avancées, les exportations de services constituent déjà le quart des exportations totales. D’ici 2030, elles en constitueront le tiers. Parmi les 17 pays analysés par le MGI, certains exportent déjà plus de valeur ajoutée liée aux services qu’au secteur secondaire, et l’on connaît le dynamisme des créations d’emploi en France dans ce secteur.
Par ailleurs, le rapport confirme que « les producteurs industriels les plus solides peuvent aussi être de bons exportateurs de services ». En Allemagne par exemple, pays industriel par excellence, les exportations de services représentent 7,1% du PIB. Plus généralement, les performances de la zone euro dans ce domaine sont méconnues : l’Europe dépasse les Etats-Unis en matière d’exportations des services, lesquels ont même représenté 9,4% de son PIB contre 3,6 % chez les prétendus leaders du secteur.
La force européenne, c’est de disposer d’assises solides dans le monde entier (Moyen-Orient, Afrique, Asie), quand les Etats-Unis réalisent l’essentiel de leurs échanges sur le continent américain (Canada et Amérique du Sud). Par ailleurs, un pays comme l’Allemagne a su intégrer la transformation des compétences nécessaires aux économies avancées pour créer et exporter de la valeur : aujourd’hui, les services aux entreprises (activités à forte valeur ajoutée comme les services d’architecture ou d’ingénierie IT), constituent 39% de ses exportations.
Les services, avenir de l’industrie
L’exemple allemand montre que, désormais, les services irriguent l’industrie : en amont (recherche-développement) comme en aval (vente, communication, après-vente). Ce qui est loin d’être destructeur d’emplois : en Suède, autre exemple, les emplois de services ont représenté 39% de la création d’emploi dans le secteur industriel en 2007.
Autre fait marquant : l’importance croissante des exportations de services à haute intensité de connaissance (services financiers et aux entreprises en particulier), qui augmentent de 33% alors que les prestations à haute intensité de main-d’œuvre baissent de 29% : sur le marché mondial du travail qui se dessine, les opportunités seront grandes pour ceux qui sauront tirer leur épingle du jeu.
Le rapport avance donc l’idée qu’il faut non seulement résister aux sirènes du protectionnisme, mais aussi en finir avec les frontières de tous ordres (physiques, sectorielles ou mentales). L’enjeu, aujourd’hui, serait de faire résolument le choix de la valeur ajoutée, de l’innovation, de l’emploi et de la prospérité. En cela, les compétences sont essentielles dans l’économie de la connaissance…
>>> Pour en savoir +
- Consultez la page consacrée par McKinsey à ce rapport (avec résumé et rapport intégral, en anglais) ;
- télécharger le rapport (pdf, en anglais) ;
- Découvrez ci-dessous les autres éléments du rapport :
Autres idées reçues dénoncées par le rapport McKinsey
Une détérioration structurelle des balances commerciales des pays industrialisés face aux pays émergents ? FAUX
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le déficit des balances commerciales des pays de l’OCDE n’augmente pas structurellement : au contraire, il est même passé de – 1,6% de leur PIB global à 1,5% entre le début des années 2000 et 2011.
Par ailleurs, les situations sont très contrastées selon les pays. Dans la zone euro, par exemple, où le commerce est bien équilibré :
- les pays nordiques ont toujours été – et restent – de grands exportateurs ;
- le Royaume-Uni est, lui, un importateur net de premier plan.
Les produits manufacturés, responsables des déficits commerciaux dans les économies avancées ? FAUX
C’est l’importation de produits primaires (matières premières et produits agricoles) qui est à l’origine de l’essentiel des déficits commerciaux dans les pays industrialisés, même chez les importants producteurs comme les Etats-Unis. Alors que, depuis 2000, les prix de ces ressources n’ont fait que grimper, la balance commerciale des pays industrialisés aurait été équilibrée si les prix des matières premières étaient restés à leur niveau de 2002.
Le secteur tertiaire dans les économies avancées : des emplois peu payés et à faible valeur ajoutée ? FAUX
Secteur tertiaire peut rimer avec métiers de « haut niveau » et bonnes rémunérations. De fait, entre 1996 et 2006, les pays industrialisés ont perdu 8 millions d’emplois industriels alors que le gain net en emplois dans les services a été de 30 millions, soit 46 millions d’emplois crées au total. Parmi eux, 15 millions requièrent de hautes compétences (tels que la santé ou l’éducation) et offrent de bons salaires.
Du reste, la frontière entre industrie et services ne signifie plus grand-chose puisque les entreprises industrielles ont de davantage besoin des métiers de services en amont et en aval de leurs activités (comme nous l’avons expliqué plus haut).
N.B : Les Echos ont également synthétisé l’ensemble du rapport – dans la version du journal réservée aux abonnés.