« Les jeunes sont les principales victimes de la forte dégradation de l’emploi consécutive à la crise économique ». Le constat du Conseil économique, social et environnemental (CESE), est clair : partout, les jeunes sont les plus lourdement frappés par la crise. En Europe, le chômage des 15-24 ans a bondi de 50% depuis 2008. 22,7% des jeunes actifs français de moins de 25 ans sont au chômage, un taux plus de deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population…soit sensiblement la même proportion qu’en Espagne, pays généralement présenté comme le symbole du « péril jeune » qui frappe l’Europe. Analyse détaillée de l’avis rendu mercredi 3 octobre par le CESE.
Notre modèle social en question
« L’urgence d’agir n’est plus à démontrer », c’est pourquoi l’emploi des jeunes est la priorité n°1 de l’action du président de la République et de son gouvernement. Mais pour l’instant, ce sont surtout des « pansements », des contrats aidés pour faire face à une conjoncture déprimée, qui ont été créés.
Or, rappelle le CESE, « la situation des jeunes face à l’emploi résulte de freins structurels, liés […] au fonctionnement du marché du travail et à l’inadaptation de notre modèle social ». Les conséquences sont de plus en plus graves : avec le développement du chômage de longue durée – qui a augmenté de plus de 30% en 10 ans chez les jeunes, contre « seulement » 12,5% pour l’ensemble de la population), c’est l’exclusion qui guette.
Le dualisme du marché du travail fait des jeunes « une variable d’ajustement »
Parce que le mal est endémique, le CESE préconise en premier lieu d’«agir sur les causes structurelles du sur-chômage des jeunes ». Le dualisme du marché du travail, « qui fait des jeunes une variable d’ajustement notamment en période de crise », est au premier rang des accusés. Premières victimes de ce dualisme : les non diplômés. « Le diplôme demeure le meilleur rempart individuel contre le chômage », souligne le CESE, qui confirme implicitement le diagnostic de « La Machine à trier » : il y a deux jeunesses, divisées par le critère du diplôme. Rappelons que trois ans après leur sortie système scolaire, les non diplômés sont trois fois plus souvent au chômage que les diplômés.
Puisque les plus fragiles sont les non diplômés, le premier combat doit être mené à la source, contre le décrochage scolaire. On estime à 120.000 le nombre de jeunes qui, chaque année, sortent de l’école sans diplôme. La France compte plus de « décrocheurs » que le Portugal, et elle a, en proportion de sa population, autant de jeunes NEET (« not in employment, education or training » : au chômage, hors du système scolaire et ne suivant aucune formation professionnelle) que la Hongrie, et même plus que la Pologne, la République tchèque ou la Slovaquie par exemple.
Au-delà de la lutte contre le décrochage, le CESE liste cinq priorités.
– Agir sur les causes structurelles du sur-chômage des jeunes
Le CESE demande aux pouvoirs publics de répertorier les besoins du futur « susceptibles de générer des emplois qualifiés et pérennes », afin de faire évoluer l’offre de formation dans leur sens. La qualification est un objectif majeur : il faut selon lui renforcer l’accès à la formation des jeunes les moins qualifiés et élever le niveau de qualification des jeunes en formation.
– Assurer une meilleure transition entre le système éducatif et l’emploi
On retrouve ici les préconisations de la spécialiste Cécile Van de Velde et de ManpowerGroup. Le CESE souhaite que les stages en milieu professionnel soient généralisés dans les cursus de licence, sous réserve que leur réglementation soit renforcée. Il soutient aussi « l’instauration de modules de préparation à l’insertion professionnelle dans les enseignements et le renforcement des dispositifs d’orientation », qui doivent être animés par des personnels qualifiés. Dans ce sens, il suggère de confier aux centres de formation des apprentis (CFA) une mission d’accompagnement des jeunes dans la recherche d’un employeur ainsi que de fixer des objectifs de jeunes recrutés à l’issue de leur contrat d’apprentissage au niveau des branches professionnelles.
– Faire de l’accès à l’emploi des jeunes les moins qualifies une priorité
Le CESE estime nécessaire de renforcer le volet « formation » des emplois d’avenir – que le ministre délégué à la Formation professionnelle et à l’Apprentissage qualifie de « droit opposable à un premier niveau de qualification ». Il soutient aussi un renforcement des dispositifs « deuxième chance ». Il évoque même la possibilité d’en créer sein de l’Education nationale.
– Améliorer le fonctionnement du marché du travail
Au sujet des « contrats de génération », le CESE insiste sur l’importance d’un ciblage en faveur des moins qualifiés et des secteurs « marqués par un déséquilibre de leur pyramide des âges ».
– Améliorer l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi
Le CESE souhaite que les méthodes d’accompagnement soient adaptées aux spécificités des jeunes. Il propose de renforcer la coordination entre Pôle emploi et les missions locales, qui doivent voir leurs moyens – notamment humains – renforcés. Il préconise aussi de créer un « droit à l’accompagnement », reposant sur une aide contractualisée à la recherche d’un premier emploi pour combler les lacunes du système d’assurance-chômage. Il soutient enfin d’assouplir les conditions d’accès au RSA pour les jeunes actifs de moins de 25 ans.
Depuis 30 ans, les plans pour l’emploi des jeunes se multiplient. Tous ont créé leur lot de contrats aidés, considérant souvent le problème sous le seul angle du coût du travail. L’avis du CESE montre que le diagnostic s’affine et que les mentalités changent : le dualisme du marché du travail est désigné comme un mal structurel, et le niveau de qualification est reconnu comme la « source » des difficultés par le rapporteur de l’avis. Alors qu’on tend de plus en plus souvent à présenter l’alternance comme « la » solution miracle, l’avis intègre pleinement ses lacunes pour proposer une amélioration qualitative plutôt qu’un développement tous azimuts. Ce point est dans la droite ligne d’une étude du Céreq publiée avant l’été, qui fera l’objet d’un prochain billet.
>>> En savoir plus
- Téléchargez l’avis du CESE ou sa synthèse (pdf)
- Perspectives d’avenir pour les jeunes, par Françoise Gri (dans La Revue civique)
- Les jeunes et les NEET en Europe : premiers résultats – rapport Eurofound (pdf)
- Le ratio taux de chômage des moins de 25 ans/des plus de 25 ans : en Europe, les jeunes italiens sont ceux qui s’en sortent le moins bien par rapport à leurs aînés (graphique de la Mission économique de Stockholm)