EUREKA. Un clic, un emploi ? L’enthousiasme autour de la digitalisation du recrutement se comprend. Les craintes aussi : face à ce qui pourrait devenir un nouveau Far-West de l’emploi, des voix s’élèvent pour garantir l’éthique et la place de l’humain dans les pratiques du recrutement.
Le « recrutement 2.0 », s’appuyant sur les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et le Big Data, est annoncé comme une nouvelle révolution. « Tous recruteurs ? ». Le Directeur Général d’Experis Executive, Emmanuel de Catheu, pose la question du moment. La transformation digitale a en effet bouleversé les outils et pratiques du recrutement, au point que l’on peut avoir le sentiment d’un métier devenu avant tout « social » : sur les réseaux dont le web fourmille, chaque individu deviendrait un recruteur potentiel.
Au-delà d’une forme de « techno-béatitude », cette révolution tant annoncée pose de sérieux problèmes d’éthiques, de droit et de performance, comme le très médiatisé rapport du Conseil d’orientation de l’emploi (COE), ce lieu de réflexion et de débat entre les principaux acteurs du marché du travail, qui conseille le gouvernement. L’Atelier de l’emploi les analyse et présente les pistes de régulation qui pourraient être mises en œuvre sur ce marché en mutation.
Des inégalités renforcées par le marché virtuel ?
Internet place-t-il tous les candidats sur un pied d’égalité ? C’est l’idée portée par sa promesse d’ « horizontalisation » des rapports sociaux – à laquelle l’entreprise et son recrutement n’échappent évidemment pas. Aujourd’hui, un recruteur peut diffuser une offre d’emploi sur les réseaux sociaux et tout candidat y répondre du tac au tac, avant d’engager la conversation. L’exemple de Twitter est parlant : récemment, la plateforme à l’oiseau bleu a encouragé l’usage de son réseau à des fins de recrutement en lançant le hashtag #VotreJob, une initiative à laquelle ont participé plus de 50 grandes entreprises. Au total, selon une étude Linkfluence, pas moins de 220 000 offres d’emplois seraient partagées chaque mois sur Twitter, soit entre 15 et 20% des offres publiées sur Internet !
Où est le problème ? Le rapport du COE souligne que cette amélioration de l’information à disposition des candidats et des entreprises peut « favoriser un meilleur rapprochement de l’offre et de la demande » et « améliorer le fonctionnement du marché du travail ».
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Voilà pour le potentiel. Mais attention : le rapport montre du doigt les enjeux éthiques soulevés tant par la « diffusion » que par le « traitement » de ce nouveau marché de l’emploi en ligne. Un mouvement de régulation serait aujourd’hui inévitable, selon le COE. Pourquoi ?
Au premier chef, c’est la « coexistence de services gratuits et payants » est pointée du doigt : Facebook, les réseaux professionnels comme Linkedin et Viadeo, de nombreux job boards ou même Le Bon Coin – 2ème site d’emploi en France en termes de nombres d’offres déposées ! -, permettent à tout un chacun de publier son CV et de consulter les offres sans débourser un centime. Mais le COE relève que ces espaces proposent de plus en plus, à côté de leur offre gratuite, de services payants qui décuplent la visibilité des candidats : « Les réseaux professionnels numériques proposent des abonnements premium pour leurs membres donnant droit à davantage de service ». Les inégalités profondes qui existent sur le marché de l’emploi seraient ainsi doublement renforcées :
- D’un côté, une « fracture numérique » entre candidats bien équipés et au fait des usages du « recrutement 2.0 » ;
- De l’autre, une façon de favoriser les candidats qui sont prêts à payer pour trouver un emploi. Autrement dit : pourquoi faire la queue quand on a billet coupe-file ?
Le rapport du COE tire la sonnette d’alarme sur ces offres « gratuites » qui cachent des services payants – et parfois onéreux. Une vraie menace pour la neutralité du marché du travail – et, plus généralement, pour celle du Net. Car nous sommes loins, aujourd’hui, de l’espace « neutre » tant vanté, où candidat et recruteur pourraient évaluer « objectivement » les offres…
Logiciel de recrutement : du problème d’être recruté par un robot
Avec ses mines de données « objectives » Internet porte le boom actuel des logiciels de recrutement. Face à la pléthore de CV reçus par les entreprises – en croissance avec l’essor d’internet – les applicant tracking services ont gagné du terrain. Leur promesse : trier efficacement les candidatures, grâce au Big Data. L’appli Kudoz, aujourd’hui expérimentée par certains grands groupes comme BNP-Paris et AXA, s’appuie sur ces dynamiques de matchmaking : sur le modèle de l’appli de rencontre Tinder, elle permettrait de trouver le job ou le candidat idéal comme d’autres trouve l’âme sœur : en quelques clics. Comme le souligne Emmanuel de Catheu, cette « promesse d’un web, plateforme omnisciente, d’outils présentés comme l’alpha et l’oméga du recrutement, est trop belle. », elle doit être encadrée pour éviter les dérives.
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Le rapport du COE souligne les dangers posées par la sélection automatisée des CV comme un « enjeu majeur » pour l’éthique du marché du travail. Mise en cause, certains « logiciels de gestion du recrutement » utilisés par de grandes entreprises pour trier automatiquement les candidatures jugées « non-pertinentes » et sélectionner certains candidats sur des critères algorithmiques. En ligne de mire des critiques : le fait que la première information reçue par le recruteur ne soit plus le CV mais les résultats d’un pré-tri opéré par ces logiciels qui « calculent un indicateur d’adéquation au profil recherché ». Le risque : une homogénéisation des profils recrutés et une mise à l’écart des « atypiques ». Une tendance qui, même abstraction faite des enjeux éthiques, serait dommageable à la performance des entreprises. Ce n’est pas un hasard si Google cherche activement des « gens bizarres » et le fait savoir : les profils sortant du cadre sont des moteurs de la transformation des entreprises.
Le rapport le souligne : aujourd’hui, les innovations technologiques n’empêchent pas à l’humain de rester au centre du processus de recrutement. Comment garantir cette place qui doit rester centrale ? Le COE émet un certain nombres de suggestions.
Vers une charte du recrutement en ligne
« Comment réguler le marché du recrutement en ligne ? » Contre les inégalités, le Conseil propose de créer une « Charte du recrutement numérique » et un « cahier des charges » pour « renforcer la régulation ». Ce dernier serait obligatoire pour « l’ensemble des sites publiant des offres d’emploi », précisent Les Echos. Autre point : la généralisation de l’accès à internet chez les opérateurs publics de l’emploi, et des formations pour les chercheurs d’emploi en ligne. Objectif annoncé par le COE: rendre l’emploi plus « humain ».
L’un des défis les plus important de la régulation envisagée est celui des données laissées par les candidats sur les plateformes de recherche d’emploi, soit de leur plein gré, soit par différentes données de navigations récupérées de façon plus intrusive. Cette mine d’informations doit être régulée, insiste un COE qui prévoit de réaliser la Charte du recrutement numérique avec l’aide de la CNIL et du Défenseur des droits. Face aux robots-recruteurs, il conseille l’apposition d’une mention obligatoire sur les offres d’emploi « si une partie du recrutement est automatisée ».
La promesse des outils digitaux est immense pour le marché du recrutement. Elle ne réalisera son plein potentiel que si l’humain reste au centre, et à la manœuvre. Sinon, les recruteurs risquent de faire face à une recrudescence de candidats… « robotisés ».