Après une négociation entamée le 4 octobre dernier, le patronat et trois des cinq syndicats de salariés (CFDT, CGC et CFTC) ont réussi à trouver un accord sur la réforme du marché du travail vendredi soir. Un projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres début mars, puis examiné au Parlement pour une promulgation espérée fin mai. Cet accord vise à développer la flexibilité nécessaire à l’activité économique tout en répartissant plus justement les risques qui lui sont associés et en ouvrant de nouveaux droits aux salariés – notamment les plus fragiles. Décryptage.
C’est la concession faite par le MEDEF, acceptant le principe d’une taxation des contrats courts, qui a permis de débloquer la situation. Pour Charles de Froment, responsable des affaires publiques de ManpowerGroup, ce geste est « symbolique » d’un accord qui, s’il porte sur de nombreux éléments du marché du travail et de la gestion des ressources humaines, a avant tout été guidé par la volonté d’accorder plus de souplesse et de réactivité aux entreprises tout en répartissant mieux les risques associés à la flexibilité. Car les ajustements de l’emploi ne doivent plus peser uniquement sur les salariés les plus fragiles, surtout maintenant qu’ils sont facilités par l’accord.
La France avance vers la flexisécurité
Jean-Christophe Sciberras, président de l’Association nationale des DRH (ANDRH), ne cache pas sa satisfaction: « On est quand même dans un pays où on a du mal à faire bouger les choses par le dialogue social, surtout en période de crise économique. Vu la diversité et la complexité des sujets abordés, et le délai imparti pour aboutir qui était très court, j’étais plutôt sceptique il y a encore quelques jours sur la signature d’un accord. Et pourtant, on a bien un texte avec de vraies avancées de part et d’autre, et sur des points majeurs. L’accord (…) essaie de mettre fin au dualisme croissant du marché du travail. » L’expert en organisation RH « Verel » souligne que « ce sont surtout tous les « outsiders », les précaires et les salariés de PME qui pourront se réjouir de cet accord qui, pour une fois, ne se contente pas de donner encore plus de protection aux seuls CDI des grandes entreprises. »
Observateurs américains et allemands applaudissent
« Il faut remonter aux années 1968-1974 pour trouver des accords qui touchent de façon aussi importante aux questions cruciales de l’emploi et de la vie des salariés », se félicite le Ministre du Travail. Selon Michel Sapin, cette réforme « va contribuer à changer l’image de la France à l’étranger » en améliorant la flexibilité et la compétitivité de ses entreprises. Les réactions de la presse étrangère vont dans ce sens :
- Le New York Times voit dans l’accord des progrès majeurs. Il salue tout particulièrement une réforme qui, selon lui, « va aider à résoudre les problèmes liés à un marché du travail « à deux vitesses » – tel que le qualifie Louis Gallois. »
- Le Wall Street Journal et le Financial Times saluent le compromis.
- En Allemagne, Der Spiegel estime que la réforme pourrait constituer l’équivalent français de « l’Agenda 2010 » du chancelier Gerhard Schröder, qui avait notamment permis à l’emploi de particulièrement bien résister à la crise outre-Rhin.
Pour Charles de Froment, il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que l’accord permette d’inverser la courbe du chômage à court terme : « Il va falloir plusieurs années avant que les entreprises n’intègrent ce changement de culture dans leur politique de ressources humaines, qu’elles aient moins peur d’embaucher en CDI. Et de toute façon, ces changements n’auront aucun effet sur l’emploi tant que la France n’aura pas retrouvé le chemin de la croissance. Du point de vue de l’emploi, la mesure qui aura le plus d’effet positif à court terme, c’est le crédit d’impôt compétitivité. »
Le droit du travail n’est pas révolutionné, il est assoupli. Car sa rigidité actuelle est souvent dénoncée comme un frein aux embauches, et elle est sans conteste un obstacle à l’adaptation de l’emploi aux évolutions de la situation économique.
Exemple typique du changement amorcé : l’accord explore sérieusement la voie des instruments de « flexibilité interne », que la France a jusqu’à présent sous-utilisés. Cette avancée est même l’un des deux points essentiels d’après Charles de Froment :
- « Du point de vue des entreprises, c’est la possibilité de s’adapter à l’activité, notamment, en période difficile, de pouvoir baisser les salaires, ou en période de forte activité, de pouvoir augmenter le temps de travail. Cela introduit vraiment en France un élément de flexibilité interne, alors que la rigidité actuelle était clairement un frein à l’embauche. A terme, cela pourrait remettre en cause progressivement la dualité du marché français du travail, entre CDI et CDD. Cette mesure peut changer le fonctionnement du marché du travail. »
- « Du point de vue des salariés, la mesure la plus importante est la généralisation de la complémentaire santé pour tous. Au plus tard au 1er janvier 2016, toutes les entreprises devront proposer une mutuelle collective et prendre la moitié du coût en charge. La mesure pourrait concerner 3,5 millions de personnes, soit 40% des salariés. C’est la concession la plus importante faite par le patronat puisqu’on estime qu’elle coûtera entre 2 et 4 milliards d’euros par an. Cela va réduire les inégalités entre salariés des grandes entreprises et salariés des petites entreprises ou au statut précaire. »
Le billet suivant passe en revue l’ensemble des mesures qui auront un impact sur la vie des entreprises et des salariés : « Flexibilité des entreprises et sécurités des salariés : ce qui va changer ».
>>> Pour en savoir +
> Visuels utilisés pour ce billet :
- Une : Usain Bolt, issu du flickrstream de José Goulão, sous licence CC
- Applaudissements : issu du flickrstream de princess toadie, sous licence CC
- Chômage partiel : graphique par Les Echos