L’accord sur la réforme du marché du travail développe la flexibilité nécessaire à l’activité économique tout en répartissant plus justement les risques qui lui sont associés en ouvrant de nouveaux droits aux salariés – notamment les plus fragiles. S’il ne faut pas en attendre des effets immédiats sur le chômage, il changera très concrètement la vie des entreprises et des salariés.
Dans la vie économique quotidienne, la règle du jeu du travail va changer pour les employeurs comme pour les salariés. Si ce n’est pas la mesure qui changera pas le plus la donne, la taxation des contrats courts sera examinée en premier car elle a permis de débloquer une négociation qui paraissait mal embarquée.
Taxation des contrats courts et exonération de cotisations pour l’embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans : en pratique
Actuellement, la cotisation d’assurance-chômage est la même quelle que soit la durée du contrat: 4 %. Avec l’accord, la cotisation d’assurance chômage des CDD va être majorée :
- de + 3 points (à 7 %), pour les CDD d’une durée inférieure à 1 mois ;
- de + 1,5 point (à 5,5 %), pour ceux entre 1 et 3 mois ;
- de + 0,5 point (à 4,5 %), pour les “contrats d’usage” inférieurs à 1 mois.
Les contrats saisonniers et les CDD de remplacement sont exclus de la surtaxe, tout comme l’intérim – qui va négocier la création d’un « CDI intérimaire ». Les 150 millions d’euros que devrait générer la surtaxation des CDD seront consacrés au financement d’une autre mesure-phare : l’exonération de cotisations pendant trois mois pour toute embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans.
Plus de flexibilité pour les employeurs
Le Ministre du Travail Michel Sapin résume les principes directeurs de l’accord côté entreprises : « En période de crise comme aujourd’hui, il permet aux entreprises de faire face aux difficultés sans licencier. (…) En période de croissance, il permettra aux employeurs de surmonter la peur de l’embauche, quand ils l’ont. »
Accords de maintien dans l’emploi
L’accord tire les enseignements – positifs – de la réussite des expériences d’accords de maintien dans l’emploi comme celui conclu par Poclain Hydrolics (1500 salariés) ou ceux qui ont permis à l’Allemagne de si bien résister à la poussée du chômage au plus fort de la crise. Avec la réforme, les entreprises pourront plus facilement s’adapter au niveau de l’activité économique, notamment par les accords de maintien de l’emploi :
- confrontées à de «graves difficultés conjoncturelles », elles pourront baisser temporairement les salaires ;
- en période de reprise, elles pourront augmenter le temps de travail.
En échange d’un engagement de maintien de l’emploi, les entreprises pourront conclure ces accords, pour une durée maximale de 2 ans, avec les syndicats représentant une majorité de salariés. Par ailleurs, l’accord prévoit une simplification et une unification des dispositifs de chômage partiel, ainsi qu’une incitation à la formation pendant les périodes chômées.
Mobilité interne
Les entreprises qui se réorganisent en prévoyant des mobilités internes sans licenciements n’auront plus à élaborer de plan social. Elles devront lancer une négociation sur « les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne », prévoyant notamment des mesures d’accompagnement (formation et aides à la mobilité géographique). En cas de refus, le salarié n’aura pas à bénéficier de la procedure de reclassement prévue dans le cadre d’un licenciement économique : son licenciement sera considéré comme ayant un motif personnel.
Assouplissement des règles du licenciement économique et déjudiciarisation du licenciement individuel
Pour Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH, « l’accord colmate plusieurs lacunes du droit social que le juge judiciaire comblait jusqu’à présent avec une jurisprudence très dense et très complexe. Son étendue d’appréciation était devenue trop importante. »
Si le seuil de déclenchement d’un plan social demeure, la procédure du licenciement économique est bouleversée. Les délais de contestation sont plus strictement encadrés. Surtout, les employeurs peuvent désormais s’affranchir des règles de procédure inscrites dans le code du travail en signant un accord d’entreprise. Il leur devient aussi possible d’engager les reclassements internes avant même la fin de la procédure.
Pour déjudiciariser les licenciements individuels, l’accord prévoit l’instauration d’un barème de dommages et intérêts dès le stade de la conciliation devant les prud’hommes.
Effets de seuil liés et contrat intermittent
A l’embauche d’un onzième ou cinquantième salarié, l’entreprise aura désormais « un an pour la mise en œuvre des obligations associées, sous réserve d’organiser tout de suite des élections professionnelles ». Enfin, une expérimentation sera menée pour permettre un accès direct au contrat de travail intermittent – un accord de branche est aujourd’hui nécessaire.
De nouveaux droits pour les salariés, surtout les plus fragiles
Pour les salariés, ce sont avant tout les « précaires » qui vont voir leur situation améliorée. Michel Sapin souligne que « ceux qui alternent des périodes sans emploi et des contrats précaires vont acquérir une meilleure couverture chômage, les droits à la formation individuels seront maintenus si on quitte l’entreprise, et tous les salariés bénéficieront d’une complémentaire santé qu’ils pourront conserver pendant un an en cas de chômage. C’est un progrès considérable. La France pose les fondements d’une sécurité sociale professionnelle. »
Généralisation de la complémentaire santé
Aujourd’hui, un salarié sur quatre ne bénéficie d’aucune « mutuelle » – la loi n’impose pas aux entreprises de les financer. Au 1er juillet 2014, toute entreprise – si elle n’est pas couverte par un accord de branche fixant le contenu de la garantie obligatoire – devra proposer au minimum un « panier de soins », financé à parité par l’employeur et le salarié :
- 100 % de base de remboursement des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l’hôpital, le forfait journalier hospitalier,
- 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires ;
- un forfait optique de 100 euros par an.
Droits rechargeables à l’assurance-chômage et compte personnel de formation
Les salariés reprenant un emploi après une période de chômage pourront conserver, en cas de nouvelle perte d’emploi, le bénéfice des droits aux allocations chômage non utilisés.
L’accord prévoit aussi la création d’un “compte personnel de formation” pour tout salarié, dont les droits seront transférables en cas de changement d’employeur.
Mobilité externe volontaire avec droit de retour
Le “congé de mobilité externe” est créé pour faciliter la reconversion des salariés. Dans les entreprises de plus de 300 personnes, un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté pourra partir découvrir un poste dans une autre entreprise et revenir, s’il le souhaite, dans son entreprise d’origine. L’accord prévoit aussi de faciliter les mises à disposition gratuite de salariés auprès d’entreprises extérieures.
Encadrement du temps partiel
D’ici fin 2013, tout contrat à temps partiel devra prévoir une durée de travail d’au minimum 24 heures par semaine. Seules exceptions : les particuliers employeurs (garde d’enfant à domicile par exemple) et les jeunes étudiants. Il sera également possible de déroger à la règle en signant un accord de branche ou à la demande écrite et motivée du salarié. Une majoration de 10 % est instituée dès la première heure complémentaire. Les branches dont au moins un tiers des effectifs travaillent à temps partiel devront négocier sur la répartition du temps de travail – afin de permettre aux salariés de compléter leur temps de travail auprès d’un autre employeur.
Présence des salariés dans les conseils d’administration
D’ici 26 mois, les entreprises comptant plus de 10.000 salariés dans le monde ou 5.000 en France vont devoir faire rentrer des représentants des salariés dans leur conseil d’administration, avec voix délibérative. Dans les plus petites entreprises, le texte prévoit de donner accès aux syndicats à une « base de données unique » pour améliorer l’information et la consultation en amont des institutions représentatives du personnel.
L’accord pose donc indubitablement les bases de la modernisation de notre marché du travail. Et d’une véritable « flexisécurité à la française » ? A suivre, avec le débat au Parlement et la négociation des accords de branche et d’entreprises.
>>> En savoir +
- le texte intégral de l’accord : http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/document/0202494859153-negociation-emploi-le-texte-de-l-accord-527914.php
- les points clé : http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202494873805-negociation-emploi-les-principaux-points-de-l-accord-527915.php
> Crédits images :
- Graphique sur les évolutions PIB – heures travaillé en Allemagne tiré de l’étude « Safeguarding jobs in times of crisis – Lessons from the German experience » (pdf) de l’OIT
- Jean-Christophe Sciberras : site de l’ANDRH
- Seuil : issu du flickrstream de Renaud Camus, sous licence CC
- Conseil d’administration : issu du flickrstream de la Ville d’Arles, sous licence CC