C’est officiel : la France compte désormais plus de trois millions de chômeurs sous l’effet d’un « réaccélération » du chômage depuis le milieu de l’année 2012. L’économiste Nicolas Bouzou, dans le Journal du Dimanche, analyse les perspectives à court terme : « Tant qu’il n’y aura pas de croissance, il n’y aura pas de recul du chômage, explique-t-il. Cette année, la croissance est nulle. L’année prochaine, elle se situera entre 0 et 1%. La France n’est pas à l’abri d’atteindre un taux de chômage semblable à celui de l’Espagne (qui avoisine les 25%). Ça peut monter très haut. » L’OFCE dans sa dernière estimation a calculé que le chômage concernerait 11% des actifs français fin 2013.
Confrontés à une croissance négative ou atone, les pays européens sont-ils tous logés à la même enseigne en matière d’emploi ? Dans une analyse minutieuse, le Centre d’analyse stratégique montre que le niveau record atteint en Europe (11,3% de la population active) cache des écarts à la moyenne importants : l’Autriche enregistre le taux de chômage le plus faible, à 4,5%, suivie des Pays-Bas (5,3%), de l’Allemagne et du Luxembourg (5,5% chacun). L’Espagne, elle, accuse un taux de chômage de 25,1%, devant la Grèce. L’Allemagne est-elle forcément « le » modèle à suivre ? Selon le Centre d’Analyse Stratégique, c’est la Suède qui s’est le mieux protégée des dégradations grâce à la flexisécurité. Quant à la France, elle a tâtonné, cherchant une stratégie pertinente…pour finalement n’en choisir aucune !
Chômage ou temps partiel ? Le dilemme français
Face à la crise, deux options s’ouvrent aux entreprises comme aux gouvernements pour « ajuster » l’emploi à la baisse de l’activité :
- Répercuter la chute des commandes sur les effectifs, licencier donc, et accompagner les chômeurs (stratégies de « flexibilité externe »). Les pays anglo-saxons ont opté pour de telles stratégies, l’Espagne a même « dégraissé » exagérément, notamment dans le secteur de la construction.
- Réduire le nombre d’heures travaillées ou baisser les salaires (« flexibilité interne »). C’est la stratégie allemande, symbolisée par l’assouplissement des mécanismes de chômage partiel.
Les pays étudiés par le CAS ont développé des stratégies différentes, avec des succès divers, selon les phases de la crise. Ce qui apparaît nettement, c’est que la France est le seul pays qui n’a pas choisi de stratégie claire : notre pays a tâtonné.
L’action d’urgence, révélateur d’un marché du travail trop rigide
Le rapport montre aussi que, si les mesures « de nature temporaire et réversible » ont été globalement efficaces, elles témoignent d’une certaine impréparation du marché du travail, qui n’est pas suffisamment souple pour absorber les chocs. Ceci peut plomber le potentiel de croissance et la capacité de reprise : les chocs brutaux ont toujours un impact sur le capital humain, facteur essentiel de la croissance à moyen et long terme – l’austérité budgétaire n’arrangera rien. Surtout, le CAS souligne que les remèdes « au jour le jour » peuvent, à terme, aggraver le mal : si le chômage partiel allemand protège l’emploi, il maintient aussi sous « respiration artificielle » certaines activités dépourvues d’avenir…
L’Allemagne mieux que la France, mais le miracle est suédois
Les entreprises allemandes, accompagnées par une puissance publique volontariste, ont opté dès 2008 pour plusieurs dispositifs de flexibilité interne, dont le chômage partiel, une mesure qui permettait d’ajuster les forces de travail à l’activité économique en repli … mais aussi une mesure d’employabilité : le maintien des salariés dans l’emploi préserve leurs compétences et leur valeur sur le marché du travail. Mais le CAS ajoute que la mesure n’a pas toujours rempli son objectif : les licenciements économiques ont quand même été légion, et la main-d’œuvre industrielle a été cantonnée à un seul secteur, rigidité néfaste sur le long terme. Résultat : si la reprise a été plus heureuse de ce côté-ci du Rhin, trois ans plus tard, l’Allemagne est encore à l’heure du chômage partiel, mesure temporaire par excellence.
C’est la Suède qui a le mieux résisté à la crise. On a d’abord pu observer des effets néfastes sur l’emploi (secteur manufacturier : -12% en 2009, contre -6% en Allemagne), mais l’activité économique a, dès le début de l’année 2011, spectaculairement dépassé son niveau d’avant la crise (bond de 24% de la productivité). Le fruit d’une économie compétitive et innovante, et d’une véritable stratégie de l’emploi, pensée depuis longtemps : la « flexisécurité » est depuis de nombreuses années une caractéristique du modèle suédois, articulé autour d’une flexibilité assumée, contrebalancée par des dépenses importantes dans des politiques d’activation du marché du travail, visant à accompagner les chômeurs tout en incitant fortement à la reprise d’emploi. Un modèle à suivre ? L’Atelier de l’Emploi creusera prochainement la question.
Qui trop embrasse mal étreint
Globalement, le CAS estime aussi que les politiques d’accompagnement ont été insuffisantes et que les différents dispositifs d’ajustement ont été parfois incohérents et trop rigides. Une critique qui pourrait s’adresser plus à la France qu’à ses voisins…
Dans notre pays, les politiques visant à stabiliser l’emploi n’ont pas été spécialement fructueuses. Or – coïncidence ? – la France est le seul pays, dans le champ de l’étude, à avoir tâtonné quant à sa stratégie. En luttant d’abord à tout prix contre le chômage, au risque d’hypothéquer l’avenir. Puis en se lançant, de manière « modérée », dans la réduction du coût du travail. Les échéances électorales et les sondages rendraient-ils nos gouvernements myopes ? Quoi qu’il en soit, ce court-termisme est dommageable : après une chute initiale de 9%, l’activité du secteur marchand n’a par exemple rebondi que de 3% – une performance bien moins bonne que celle de nos voisins allemands.
En France, c’est sur l’emploi temporaire que l’« ajustement » s’est opéré : dans un marché du travail déjà dual, qui tend à fragiliser ceux qui sont déjà les plus fragiles, ce sont les salariés en CDD et les intérimaires qui ont dans un premier temps le plus souffert…
Le CAS insiste : il ne faut pas attendre les conjonctures défavorables, comme le soulignait déjà un expert du CEREQ, pour organiser des dispositifs de formation efficaces pour les salariés en emploi temporaire et les chômeurs. L’enjeu, en fait, est celui d’une réforme approfondie du marché de l’emploi, qui combine adaptabilité et responsabilité. L’Espagne et Italie s’y sont déjà attelés… Qu’attendons-nous ?
>>> En savoir +
- Rapport du CAS : accéder à sa présentation, le feuilleter ou le télécharger (pdf).
- Télécharger le rapport du Centre d’études de l’emploi (septembre 2010), « Les politiques de l’emploi en Europe : quelles réactions face à la crise ? » (pdf).
- Tout sur le chômage en Europe : Perspectives de l’emploi 2011 – OCDE. Quand plus de 41% des chômeurs français le sont depuis plus d’un an (chômage de longue durée), c’est le cas de seulement 17% des chômeurs suédois…
> Crédits images
- Tous les graphiques sont tirés du rapport du CAS
- Image de une issue du flickrstream de Grodada, sous licence CC