Après l’accélération du calendrier sur les emplois d’avenir et les contrats de génération, le gouvernement a surpris ce matin en annonçant aux partenaires sociaux, dans un « document d’orientation », l’ouverture de vastes négociations sur le marché du travail. Lors de la campagne électorale, François Hollande et son équipe avaient certes fréquemment évoqué la nécessité de revoir certaines règles du code de travail (lutte contre la « précarité », obligation de retrouver un repreneur en cas de fermeture de site rentable, etc.) ; la grande conférence sociale de juillet avait par la suite ouvert un nombre important de chantiers et fixé les règles ainsi que le calendrier des négociations à venir. Mais les orientations annoncées par le ministre du Travail, ouvrant une « négociation nationale interprofessionnelle pour une meilleure sécurisation de l’emploi », surprennent par leur ampleur et leur ambition – même si les partenaires sociaux ont bien été consultés en amont.
L’urgence de l’action
Conscient des difficultés de l’économie française, le gouvernement semble néanmoins avoir été surpris par une dégradation de la conjoncture plus rapide que prévu. La France vient de passer la barre des 3 millions de chômeurs. En comptabilisant les chômeurs de catégorie A, B et C, 4,5 millions d’actifs sont inscrits à Pôle Emploi, 38% d’entre eux l’étant depuis plus d’un an. Cette situation particulièrement grave n’est pas seulement liée à la crise : le taux de chômage français est structurellement supérieur à celui des pays les plus performants de la zone euro.
C’est sans nul doute cette prise de conscience qui explique la volonté de Michel Sapin de revoir en profondeur, par le dialogue social, le mode de fonctionnement du marché du travail
Une réforme globale, pour une flexisécurité à la française
Comme le note justement Marc Landré, le document d’orientation évite certes d’employer « des mots qui fâchent : flexibilité, compétitivité, licenciements boursiers, accords compétitivité-emploi ». Il ne faut toutefois pas s’y tromper : « l’esprit de chacun de ces mots, voire leur définition même, y figurent. »
En réalité, l’ensemble des caractéristiques du marché du travail sont couverts par les quatre axes de négociation, extrêmement larges.
Le premier axe vise à « lutter contre la précarité sur le marché du travail ». Derrière cet objectif on trouve en filigrane une réflexion sur la flexibilité de l’emploi et les meilleures manières de réduire le fossé séparant insiders et outsiders sur un marché du travail « dual » comme en France.
Le gouvernement appelle les partenaires sociaux à trouver des formes de compromis nouveaux. Certes, la souplesse est « nécessaire » ; elle est parfois une « caractéristique intrinsèque de certaines activités ». Mais il faut veiller à ce qu’elle ne serve de paravent à un « contournement de la norme sociale » et qu’elle ne pèse plus exclusivement sur les catégories de la population active les plus fragiles – les jeunes et les femmes. La note insiste sur la nécessité de favoriser l’accès à la formation de ces publics et de leur faire bénéficier « d’un meilleur accompagnement par le service public de l’emploi et l’ensemble des acteurs ». Et de reconnaître l’existence de « bonnes pratiques » développées par le dialogue social dans certaines branches.
Le deuxième axe de négociation, intitulé « progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences », concerne le vaste chantier de la GPEC, tant au niveau des entreprises, des branches que des territoires. Une manière discrète de rouvrir le chantier de la formation professionnelle, objet de nombreuses polémiques sous le précédent gouvernement (voir le rapport de l’institut Montaigne et le rapport Larcher).
Le troisième axe – « améliorer les dispositifs de maintien dans l’emploi face aux aléas conjoncturels » – reprend, sans la nommer, l’idée des « accords compétitivité emploi » du printemps derniers. Il est vrai qu’elle n’était pas seulement chère au précédent président de la République mais qu’elle était aussi ardemment défendue par la CFDT. Les partenaires sociaux sont invités à s’inspirer « de ce qu’ont su faire certains de nos voisins européens ». Le modèle implicite est ici allemand (entre 2007 et 2009, la part des salariés en ayant bénéficié a représenté moins de 0,85% de la population active en France contre plus de 3% outre-Rhin) et sans doute scandinave – la « flexisécurité » à la danoise étant jugée particulièrement performante dans ce domaine.
Le quatrième axe, « améliorer les procédures de licenciements collectifs lorsqu’ils n’ont pu être évités », doit pousser les partenaires sociaux à revoir le fonctionnement des plans sociaux, les rendre plus satisfaisants sur le plan social comme économique. « Les procédures actuelles », indique la note du ministère du travail, « offrent un cadre protecteur et organisent des procédures formalisées indispensables. Pour autant, elles n’évitent pas un certain nombre de contournements et génèrent de fortes incertitudes sur les délais et sur la sécurité juridique des procédures, dommageables tant pour les salariés que pour les entreprises. »
La négociation doit permettre d’améliorer la sécurité juridique des plans sociaux – une revendication récurrente du MEDEF -, tout en renforçant « l’efficacité en termes de retour/maintien dans l’emploi des dispositifs de reclassement » défendue par les syndicats et en trouvant « une réponse aux situations dans lesquelles une entreprise qui envisage de fermer un site refuserait de considérer favorablement l’offre valable d’un repreneur assurant la pérennité de tout ou partie des emplois » – une promesse de campagne de François Hollande.
Un défi impossible à relever ?
A l’image de ce dernier point, ce document réussit à faire cohabiter des projets de réforme et des points de vue portés par des acteurs souvent en désaccord. Ce programme est-il trop ambitieux ? A certains égards, il rappelle le grand chantier lancé par Nicolas Sarkozy en 2007, qui visait notamment la création d’un contrat unique. Les partenaires sociaux, héritant de ce projet, avait fini par introduire la rupture conventionnelle, qui représente certes aujourd’hui une réelle alternative aux licenciements classiques, mais ne fait pas toujours fait l’unanimité.
Le marché du travail français souffre de dysfonctionnements profonds, structurels, qui appellent des réformes audacieuses, d’envergure. Les partenaires sociaux, tels qu’ils sont aujourd’hui, sont-ils capables de les construire ? La réponse à cette question ne saurait tarder : comme « la situation impose d’aller vite », le ministre leur demande de s’entendre sur des solutions avant mars 2013,et « si possible avant la fin 2012 ». Six mois pour une « redéfinition fondamentale » du marché du travail : il faudra mener la révolution au pas de course.