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Quand former ne suffira plus : demain, l’entreprise « capacitante »

Les Français nés dans les années 1960 ont occupé en moyenne 4,1 emplois avant leur 40 ans, contre 2,7 pour ceux nés avant 1940 (INSEE, pdf). Aux États-Unis, on estime que deux écoliers de maternelle sur trois occuperont des métiers qui aujourd’hui n’existent pas. De plus en plus de mobilité professionnelle, vers des métiers demandant des compétences que l’on peut de moins en moins anticiper… Équation insoluble ?

> Lire « Transitions professionnelles » : le changement, c’est tout le temps

Ray Kurzweil, futurologue ayant popularisé le concept de « singularité » (le moment où l’intelligence artificielle dépassera la pensée humaine), et par ailleurs chef de l’ingénierie chez Google, expliquait déjà en 2012 que l’équation changement/capacité à s’accommoder au changement a toujours existé. Mais les termes de l’équation sont aujourd’hui tous deux bien plus rapides : au progrès technologique accéléré répondent les nouveaux modes d’apprentissage qui facilitent et rendent possible la capacité à s’adapter.

L’automatisation, menace… fantôme ?

Mais la vision n’est-elle pas trop prospective ? Tout le monde est-il aujourd’hui vraiment apte à se lancer dans un MOOC, même gratuit et d’à peine 8 semaines, pour acquérir les compétences requises pour occuper l’emploi proclamé « le plus sexy du 21ème siècle », data scientist ? Premier des doutes : la difficile acquisition de nouvelles compétences et les effets drastiques de l’automatisation sur l’évolution de ces compétences.

La « course contre les machines » fut ainsi l’une des préoccupations majeures du Forum Économique de Davos du début d’année (lire le compte-rendu de l’Atelier de l’emploi) : en cause, les courbes du développement de la robotique industrielle et de l’affaissement de l’emploi manufacturier, amenées à se croiser… Pour quelques observateurs, le doute a pourtant de quoi être levé : en France, la robotique serait précisément une des solutions pour rebâtir l’appareil productif et doper la compétitivité par la qualité des produits. Les robots, sauveurs de la compétitivité et des emplois ?

Le blog de Ray Kurzweil, analysant une étude menée par Oxford, nuance : près de la moitié des emplois américains sont en effet menacés par l’automatisation (47%)… Mais attention : le chiffre annonce moins un raz-de-marée sur l’emploi qu’une transformation radicale de la nature des métiers.

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À droite, le nombre d’emplois très susceptibles d’être automatisés, par secteur d’activité  (probabilité supérieure à 70%). Les plus menacés, en volume : les emplois de service, de ventes et administratifs/de bureau (en rose, rouge et orange) – Crédit Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne

L’intelligence sociale et créative : un nouvel espoir

L’automatisation étant appelé à être un phénomène exponentiel, le second terme de l’équation risque de s’avérer trop lent : la relative capacité de l’ensemble de la main-d’oeuvre à adapter ses compétences s’annonce insuffisante. La plus fondamentale des révolutions, relève l’étude, c’est ainsi moins la suppression nette d’emplois que le déplacement vers des tâches requérant de nouvelles compétences : l’intelligence sociale et créative.

Les emplois de télémarketeurs, caissiers, guichetiers seront de moins en moins courants… ou évolueront. La plupart des métiers du commerce, de la finance ou du management, quant à eux, perdureront voire s’accroîtront, tout comme ceux de l’éducation ou du care, l’un des secteurs amenés le plus à se développer (lire Recrutement : ces métiers qui montent, qui montent). De même pour les métiers de l’ingénierie et scientifiques, eux « protégés » par des tâches qui mobiliseront de plus en plus l' »intelligence créative ».

Code.org
Capture d’écran du site Code.org, initiative portée par Mark Zuckerberg ou Bill Gates pour promouvoir l’apprentissage de la programmation

Le risque demeure, et il est double : celui, d’abord, d’un monde du travail peu sécurisé, où, face à des compétences difficilement prédictibles et toujours évolutives, les hommes seront « en retard ». Celui, ensuite, de l’accumulation des bénéfices des nouvelles technologies par une étroite élite, comme l’alerte le récent coauteur de « The Second Machine Age: Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies », Erik Brynjolfsson.

Ce professeur au MIT, lui-même surpris dans sa recherche par son incapacité à comprendre l’accélération technologique, fait lui aussi le pari des creative skills, à rebours d’un discours souvent entendu sur l’impérieuse nécessité, pour tous, d’apprendre à coder pour s’adapter aux besoins de nos nouvelles économies. La maîtrise d’un langage informatique, à elle seule, n’assurera pas l’emploi à vie : l’avantage comparatif face aux machines ne sera pas une compétence technique mais cette intelligence créative, bien humaine…

L’entreprise contre-attaque

… mais peu tangible. Le problème, relève Brynjolfsson : « nos systèmes éducatifs ne sont pas structurés pour cultiver ces compétences créatives ». L’entreprise, dans un monde du travail où l’apprentissage pourra de moins en moins s’arrêter après l’obtention du diplôme, est amenée à jouer ce rôle. Le peut-elle ?

Elle-même s' »agilise » et est appelée à toujours plus développer des capacités de souplesse organisationnelle, de réactivité voire de « résilience » – la qualité même d’adaptation au changement. Et d’après une étude du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), publiée en janvier, l’entreprise devra apporter ces mêmes capacités aux salariés, et notamment, au-delà des compétences, « un certain degré de polyvalence, d’autonomie, de prise d’initiative dans le travail ». Autrement dit, l’enjeu de sécurisation des parcours et de l’employabilité dépasse le cadre, devenu trop étroit, de la seule formation professionnelle.

Pour assurer un maintien plus durable dans l’entreprise ou en cas de départ, un retour à l’emploi plus rapide, c’est en réalité « un ensemble plus vaste de facteurs englobant la gestion des ressources humaines et l’organisation du travail [qui] semble devoir être pris en compte », soulignent les auteurs. Et parmi les quatre modèles d’entreprise identifiés par le Céreq, une seule est en mesure de répondre à ce défi : le modèle de « développement des capacités », qui ne représenterait aujourd’hui que 8% des entreprises actuelles. Par rapport à une entreprise de type « taylorien », ce modèle assurerait au salarié une fois et demie plus de chances de garder son emploi et d’en retrouver un en cas de départ.

> Lire Temps choisi, télétravail, mobilité : les RH s’emparent de l’autonomie 

Futur-en-seine-2013
Cliquer pour lire : Le futur du travail dans l’entreprise : l’agilité… ou le néant ?
L'entreprise capacitante
Trois volets : l’organisation, la gestion RH et la politique de formation

Fournissant « un cadre où peuvent se déployer les compétences, [l’entreprise capacitante] permet des évolutions de carrière tout en assurant la fluidité des passages entre différentes séquences professionnelles », précise la sociologue Bénédicte Zimmermann, qui s’appuie sur le cas de l’entreprise Bigtrucks. Elle sécurise le parcours professionnel individuel, sans contradiction avec l’intégration dans le collectif de travail…

Et même par rapport à des entreprises ouvertes au développement des compétences, marquées à la fois par des contraintes de rythme et une autonomie dans le travail, le modèle de l’entreprise « capacitante » assure au salarié près d’une fois et demie plus de chances de retrouver du travail en cas de départ (mais environ la même probabilité de rester dans l’entreprise).

Plus adaptée aux enjeux modernes de flexibilité, elle reste peu répandue, mais on la retrouve surtout dans les grandes entreprises, notamment dans l’industrie, les services financiers, les télécommunications. Pour les auteurs du Céreq, dans ce modèle-type, « les politiques de formation et de ressources humaines ne sont pas exclusivement guidées par un souci de performance de l’organisation », mais aussi vers un authentique projet de développement professionnel des salariés, avec une organisation ouverte au souci d’« une forte autonomie dans le travail, notamment dans la prise de décisions et la gestion des horaires », au-delà même de politiques de management des talents et du modèle d’organisation apprenante propre à nos économies de la connaissance. En un mot : l’avenir de l’entreprise ?

L’étude du Céreq :

Crédit images : « Les temps modernes », par Movie studio (ebay)/domaine public (via Wikimedia Commons) ; nodesign.net/flickr (licence CC)
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