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Maroc

« Au Maroc, la machine à fabriquer des chômeurs doit cesser de fonctionner » (Jamal Belahrach)

L’Atelier de l’emploi : Beaucoup vantent son dynamisme industriel, ses investissements d’avenir et ses indéniables avantages compétitifs ; néanmoins, la banque Morgan Stanley vient de rétrograder la note du Maroc, qui passe ainsi de « pays émergent » à « pays frontière »… Alors, où en est réellement le Maroc ?

Jamal-Belahrach_manpowerJamal Belahrach : Le Maroc bénéfice d’une stabilité politique incomparable dans la région, ce qui lui permet d’avoir la confiance des investisseurs étrangers et de bénéficier d’une paix sociale qui lui donne les moyens de se développer. Cependant, la crise européenne a un impact fort sur le pays, en raison de l’importance de ses relations commerciales avec le Vieux continent ; et le niveau de croissance, qui sera supérieur à 4% cette année, n’est pas encore assez fort pour générer des créations d’emplois suffisantes.

Par ailleurs, le déficit budgétaire est encore élevé, et la dette assez lourde. Ce qui soutient globalement l’économie marocaine, ce sont les stratégies sectorielles initiées depuis dix ans et qui commencent à porter leurs fruits ; ces stratégies sectorielles constituent des opportunités de développements économiques forts et représentent des gisements d’emplois très importants, dans le tourisme, l’industrie ou encore l’offshoring, les énergies renouvelables, l’aéronautique ou le commerce. L’agriculture reste aussi un secteur stratégique pour le pays, tempéré néanmoins par l’incertitude pluviométrique…

Casablanca

« Le pays reste très attractif, et l’industrie doit s’y développer »

Quel est le poids des échanges internationaux dans l’économie ? 

La proximité du Maroc avec l’Europe (moins de trois heures en avion), sa population jeune et dynamique, des salaires assez compétitifs, mais aussi une diversité géographique et la présence de la majorité des multinationales font que le pays est très attractif. Il constitue aujourd’hui une sorte de « hub » vers les marchés africains, qui sont des relais de croissance décisifs pour l’Europe mais aussi pour des pays plus lointains comme la Chine ou l’Inde.

> Lire : Chômage des jeunes au Maghreb : qualité contre quantité de la formation ?

Les derniers chiffres de l’emploi sont positifs… mais les créations d’emplois concerneraient surtout la population rurale et se feraient essentiellement dans l’économie informelle. Qu’en est-il réellement ? 

Incontestablement, il y a une dynamique, mais néanmoins les résultats en matière d’emploi tardent à venir. Malgré un taux de chômage relativement faible pour une économie comme celle du Maroc, il faut relativiser car l’industrie et le BTP ont perdu beaucoup d’emplois [Ndlr : 80 000 en un an].

La réduction des investissements de l’État, supérieure à 15 milliards de dirhams en 2013, a aussi mécaniquement affecté les créations d’emplois. Certes, l’économie mondiale se tertiarise, mais le Maroc ne peut se passer d’une industrie forte pour soutenir sa croissance.

« L’inadéquation entre la demande des entreprises et les compétences disponibles est criante »

L’an dernier, l’Atelier de l’emploi évoquait le « sous-emploi chronique » des jeunes Marocains. Au-delà du seul taux de chômage, certains chiffres détonnent : 80% des jeunes sans emploi possèderaient un niveau d’éducation inférieur à l’enseignement secondaire, 60% des jeunes chômeurs en milieu urbain n’auraient jamais travaillé, et beaucoup ne sont plus en recherche active d’emploi… Quelle est l’urgence des urgences ?

Ces chiffres sont justes. Ils prouvent que le Maroc a un considérable challenge à relever en matière d’éducation et de formation. L’inadéquation entre demande des entreprises et compétences disponibles est criante… Un véritable plan sectoriel dédié au « capital humain » devient une nécessité absolue. C’est d’ailleurs le combat que je mène au sein de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), avec l’espoir qu’en 2014, dans le cadre de la Task Force des employeurs africains pour l’emploi et l’employabilité que nous avons mise en place, nous obtenions des premiers résultats.

Le chômage des jeunes et des diplômés en particulier est un fléau mondial, mais il prend une résonance particulière dans cette région. On l’a vu ces derniers mois : ce chômage est susceptible d’induire une crise sociale majeure dans les pays qui ne réagissent pas avec la force et la volonté nécessaires.

Qu’en est-il des « diplômés-chômeurs », qui sont descendus dans la rue en octobre ? Comment se fait-il que les plus diplômés et plus qualifiés peuvent rencontrer des difficultés à trouver du travail ? 

Lorsque l’on est diplômé dans une filières dont les débouchés sur le marché du travail sont quasi nuls, on doit accepter de se mettre à niveau pour être en phrase avec le monde du travail. C’est un principe de réalité peut-être douloureux, mais qui doit s’imposer. Le problème est que cette population étudiante qui est très attirée par la fonction publique et peu encline à se lancer dans l’entrepreneuriat…

« L’exil massif de la jeunesse ? Un fantasme. »

Des jeunes sans opportunités d’emplois, sans perspectives professionnelles… Le risque d’un exil massif de la jeunesse marocaine est-il réel ?

Jeunes Tunisie

Non, c’est un fantasme dans l’imaginaire de beaucoup de gens. Certains profils pointus peuvent être tentés par l’immigration mais, en raison de la crise européenne, ils préfèrent rester au Maroc et y trouver des opportunités car elles existent pour les gens qui ont un niveau de compétences adapté aux besoins des entreprises. Nous le disons, la rareté des talents structure le marché du travail et, ce faisant, permet aux plus qualifiés d’avoir de vraies opportunités, assorties de salaires très motivants. 

En matière d’’emploi, et notamment d’emploi des jeunes, de nombreuses pistes ont déjà été explorées : soutien à la création d’entreprise, aides publiques en faveur de l’emploi salarié, et même un programme – Taehil – pour mieux faire coincider les formations et l’emploi réellement disponible. Les résultats sont pourtant jugés « contrastés »… Quel est le problème ?

Il est assez simple : en réalité, ces programmes sont inefficaces car les entreprises ne sont pas suffisamment impliquées et les dispositifs d’incitation sont quasi inexistants. Avec la CGEM, nous travaillons sur un plan emploi offensif pour 2014 afin d’accélérer l’intégration des jeunes sur le marché du travail.

« Une réforme du marché du travail est indispensable »

Début septembre a été annoncé un plan pour former un million de jeunes à l’horizon 2017. Dimension locale, formation « duale » (en entreprise et à l’école), qualité des formations… Ce plan peut-il répondre aux besoins des entreprises ?

L’objectif n’est pas de former pour former mais de travailler de concert avec les opérateurs économiques pour créer une dynamique qui parte des besoins d’aujourd’hui, et surtout de demain. C’est pourquoi nous militons pour la création d’un observatoire marocain de l’emploi et des compétences [NDLR : le Medef a créé un tel observatoire en France].

TEC-Medef
Cliquez pour accéder à l’Observatoire TEC

La question de l’adéquation de la formation aux besoins en compétences des entreprises se pose aussi au stade de la formation initiale. Certains chefs d’entreprise s’étonnent de la faiblesse des compétences des diplômés du supérieur (en lecture/écriture/informatique)… 

La question, aujourd’hui, est assez simple : quel modèle d’éducation voulons-nous et à quoi doit-il servir ? A construire un marché du travail efficace ou à remplir des filières universitaires sans débouchés ? La machine à fabriquer des chômeurs doit cesser de fonctionner, d’où cet appel à un plan sectoriel dédié au capital humain.

Au-delà du manque de travailleurs qualifiés, la structure même du marché du travail est-elle adaptée aux réalités du travail ? Quels problèmes posent l’économie informelle, au poids considérable ?

L’économie informelle est un vrai sujet, d’abord parce qu’on estime qu’elle pèse plus de 37 % du PIB. De facto, elle pose un problème de compétitivité aux entreprises « formelles » et c’est une situation inacceptable. Certes, elle constitue une sorte de « soupape sociale » mais l’État se doit d’intervenir, a minima pour sortir ces populations de la précarité.

Enfin, une réforme du marché du travail est indispensable car aujourd’hui, le Pôle emploi national (l’ANAPEC) ne répond ni aux attentes des jeunes ni aux besoins des entreprises. Il faut élargir le champ de compétences de l’ANAPEC et lui donner plus de moyens pour remplir ses missions d’intermédiation entre entreprises et demandeurs d’emploi.

En guise de conclusion, quels conseils donneriez-vous à un jeune Marocain aujourd’hui pour tirer son épingle du jeu ?

Adapte-toi au marché et tu n’auras pas de problème pour trouver du travail. Le Maroc est un vaste et formidable chantier en perpétuel devenir, il est évidemment possible d’y trouver un espace pour y développer un projet de vie professionnel riche et ambitieux dès lors que l’on en a la volonté. L’herbe est parfois plus verte ailleurs mais je suis convaincu que le Maroc et l’Afrique sont l’avenir… alors misons sur l’avenir !

*

Jamal Belahrach est président de ManpowerGroup Maghreb, président de la commission Emploi et Relations sociales de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc, et principal représentant de la Confédération au sein de l’Organisation internationale des employeurs (OIE).

L’Atelier de l’emploi remercie vivement Jamal Belharach pour sa disponibilité.
> Crédit image : hoosadork et Milamber’s/FLickr (licence CC)
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