L’association caritative Emmaüs s’est lancée dans le recyclage des téléphones mobiles usagés, une nouvelle activité qui a donné lieu à la création d’une trentaine d’entreprises, dont les Ateliers du Bocage qui emploient plus de 200 salariés. Un cas typique préfigurant l’économie de demain, avec des « emplois verts » à profusion ? Pas vraiment.
Alors que la semaine du développement durable se termine aujourd’hui, il est temps de faire un bilan. Car, suite à la « prise de conscience écologique » du début des années 2000, « l’économie verte » avait suscité de nombreux espoirs en matière de création d’emplois. Un rapport du Boston Consulting Group (BCG), publié en 2009, avait en effet prédit la création de 600 000 postes « verts » d’ici à 2020 ; selon le cabinet de conseil, la quasi-totalité des secteurs de l’économie étaient concernés.
L’économie verte, une déception pour l’emploi
Ces chiffres ont depuis été remis en question et les estimations varient du simple au double suivant les analyses. Des divergences qui s’expliquent probablement par la diversité des facteurs qui rentrent en jeu en matière d’ « écologisation » de l’économie, chaque analyse insistant sur l’une ou l’autre de quatre variables, énoncées par une synthèse de l’Inter Carif-Oref :
- remplacement d’emplois existants ;
- « écologisation » d’emplois existants ;
- élimination d’emplois existants
- création d’emplois nouveaux.
Trois ans après la publication du rapport du BCG et une crise économique plus tard, force est de constater que les espoirs en termes de créations d’emploi ont été douchés.
L’exemple du photovoltaïque : de l’enthousiasme aux grèves de la faim
L’exemple de la filière photovoltaïque est particulièrement éclairant à ce sujet. Alors que le rapport du BCG prévoyait la création de 134 000 emplois d’ici à 2020 dans cette seule filière, elle a été l’une des principales victimes de la crise. 2011 a ainsi été une année noire pour cette branche : le leader français Photowatt a dû supprimer 95 emplois et de nombreuses entreprises se sont regroupées dans des collectifs (comme « Touche pas à mon panneau solaire » ou, le plus récent, « Superwatt ») pour interpeller les pouvoirs publics – en allant jusqu’à des grèves de la faim.
« Dans l’avenir, tout emploi sera un emploi vert »
Aujourd’hui, il apparaît que le développement d’une économie plus verte repose moins sur la création d’emplois nouveaux que sur « l’amélioration » de compétences existantes, comme le soulignait un rapport du Centre Européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP): « dans l’avenir, tout emploi sera un emploi vert ».
L’enjeu principal serait donc devenu celui du « verdissement » des emplois existants. C’est d’ailleurs sur cet axe que le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable a choisi de communiquer dans une vidéo d’animation diffusée sur son site : tous les métiers sont potentiellement « verdis » :
Anticiper les transformations et adapter les formations
Logiquement, la formation – initiale et continue – doit être la clé de voûte de cette « amélioration » des compétences évoquée par le CEDEFOP. C’est ce que souligne le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) :
« Les diplômes des filières agriculture, bâtiment, électrotechnique, industries de procédés, énergies… sont ainsi révisés en priorité, soit par l’intégration de nouveaux modules, soit par une révision de leur contenu ».
On observe déjà, souligne le CGDD, que « la plupart des métiers s’enrichissent […] de connaissances, compétences et gestes durables : responsabilité sociétale des entreprises dans la formation en management, changement climatique dans l’enseignement en tourisme, analyse de cycle de vie dans la formation des ingénieurs, biodiversité dans la formation en urbanisme, éco-mobilité dans la formation tant des ingénieurs des transports que des logisticiens, gestion des déchets dans les formations en travaux publics, etc. ».
Pour des compétences plus vertes à l’avenir, l’anticipation est essentielle et le rôle de l’enseignement professionnel semble important :
« En la matière plus le changement sera anticipé, plus les conditions de passage à une économie verte seront facilitées ; l’enseignement professionnel fera également oeuvre de pédagogie citoyenne »
C’est pourquoi une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est décisive. Le CGDD a analysé en détails l’impact de la « contrainte écologique » sur les métiers afin de contribuer à orienter les anticipations dans la « bonne » direction.
Les compétences, moteurs du changement
Dans cette perspective, et parce qu’elles sont « moteurs du changement », l’Organisation internationale du travail (OIT) a parcouru le monde pour présenter une analyse détaillée des « compétences pour des emplois verts ». Son rapport met en exergue quatre moteurs de transformation, interconnectés :
- le changement physique de l’environnement ;
- les politiques et réglementations ;
- la technologie et l’innovation ;
- des produits et services plus respectueux de l’environnement, liés à de nouveaux modes de consommation.
Ces moteurs entraînent une évolution des compétences autour de trois axes :
- La « restructuration verte » : l’industrie verra progresser les activités les plus efficaces énergétiquement et les moins polluantes. Ici, la formation des salariés est essentielle pour faciliter leur transition des métiers en déclin vers ceux en croissance.
- Les nouveaux métiers (car il y en évidemment, même si la crise a ralenti leur développement : il paraît certain que les métiers liés à l’énergie solaire ou éolienne vont progresser, par exemple) nécessitent une adaptation des systèmes de qualification et de formation.
- L’écologisation des emplois existants. « Cette source de changement dans les compétences requises est la plus répandue: en réalité, elle sera présente partout et nécessite un effort important pour revoir les programmes de cours, les normes de qualification et les programmes de formation existants à tous les niveaux ». Dans l’industrie automobile, par exemple, les salariés devront être formés à l’utilisation de nouvelles technologies économes en carburant.
L’efficacité des formations courtes et ciblées
L’OIT insiste sur l’importance d’une « aide ciblée » pour la formation des « catégories défavorisées sur le marché du travail », particulièrement vulnérables à la concurrence des nouveaux emplois. Très concrètement, elle relève l’efficacité des formations courtes et ciblées « pour requalifier les travailleurs et moderniser les compétences dans le contexte des mesures de restructuration » et met en lumière le rôle de chaque individu :
« La capacité des travailleurs à profiter de ces possibilités de formation dépend de leur disposition à acquérir de nouvelles compétences. »
L’information, le dialogue social et les services de l’emploi jouent un rôle décisif
L’OIT souligne néanmoins que la formation, seule, ne suffit pas : encore faut-il qu’elle soit pertinemment orientée :
« Les systèmes d’information sur le marché du travail, le dialogue social et les services de l’emploi sont également des atouts essentiels. »
Les compétences vertes, pour redonner du sens au travail
Le verdissement des emplois, donc des compétences, est une nécessité vitale. Mais, plutôt que de le considérer comme une contrainte, il faut voir le défi écologique comme une formidable opportunité pour (re)donner du sens au travail – une dimension de plus en plus essentielle du bien-être, donc de la motivation et de la performance des salariés. Lors d’une récente conférence, Laurence Lavens-Guyot (déléguée générale de la Fédération Envie) insistait ainsi sur la notion de « plaisir » ayant motivé le choix de salariés engagés dans l’économie verte:
« Ce sont des gens […] qui souhaitent aussi prendre un peu de distance pour se dire : ‘’comment puis-je faire mon métier en intégrant des optimisations et un projet sur l’avenir ?’’ ».
Des compétences plus vertes pour réconcilier les exigences de la planète, le bien-être individuel et la performance des entreprises ?