ANALYSE. Comment mieux traiter dans les entreprises la question des âges et de l’emploi des seniors ? Un vrai défi à l’heure où garder ses salariés les plus expérimentés peut devenir un véritable avantage concurrentiel.
Favoriser l'emploi des seniors, une "question de performance économique" et "une exigence morale" expliquait en septembre la ministre du Travail, Myriam El Khomri. Depuis la mise en place du contrat de génération en 2009, plusieurs entreprises se sont engagées pour l’emploi des séniors, soit en profitant de dispositifs existant, soit en mettant sur pieds des politiques de recrutement originales.
Comment mieux traiter la question des âges et de l’emploi des seniors ? Développer l’emploi des seniors en entreprise est devenu un enjeu de taille face à l’allongement de la vie professionnelle.
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Favoriser le maintien dans l’emploi : solution la plus efficace
« Seules les politiques de maintien dans l’emploi sont efficaces. C’est capital, car perdre son poste à 55 ans a des conséquences infiniment plus lourdes qu’à 35 ans », explique Gérard Cornilleau, économiste à l’OFCE. En effet, dans un marché où la transformation digitale n’a de cesse de s’accélérer, les entreprises ont davantage tendance à investir dans la formation des moins de 50 ans : « Côté embauche, c'est vrai qu'on peut hésiter à investir dans le recrutement et la formation de quelqu'un qui ne restera peut-être que quelques années avant de partir en retraite, reconnaissait Jean-Christophe Sciberras, président de l’Association nationale des DRH, en 2013.
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Parmi les différentes approches mobilisées par les entreprises en faveur du maintien dans l’emploi des seniors figure celle de BNP Paribas. L’entreprise bancaire s’est fixée pour objectif de recevoir 100% de salariés de 45 ans et plus en entretien de carrière d’ici la fin de l’année 2015 et de fixer à 15% le taux de mobilité annuelle des 50 ans et plus. Ce programme s’inscrit plus largement dans une démarche de GPEC. Préparés par le gestionnaire Ressources Humaines et par le salarié, ces entretiens permettent de :
- Faire un bilan de parcours et de compétences
- Échanger autour de l’évolution possible du poste
- Évaluer les besoins d’accompagnement et de formation
- Faire part de souhaits de mobilités professionnelle ou géographique vers un poste équivalent
Dans ce dernier cas, BNP Paribas propose alors un accompagnement et un suivi, notamment via une plateforme de recherche d’emploi. Pour BNP Paribas, le maintien des seniors dans l’emploi « nécessite de placer les salariés dans une dynamique d’évolution professionnelle, et dans une politique de rémunération cohérente avec cet objectif », un point que l’on retrouve chez HSBC, qui examine chaque année la situation des plus de 50 ans privés d'augmentations individuelles depuis cinq ans. « Une enveloppe de révision salariale de 250.000 euros a été débloquée pour 2010 », précise Valérie Glory, responsable emploi et diversité.
Le coaching intergénérationnel : valoriser ce que savent les seniors plutôt que ce qu’ils ne savent pas
La transmission de compétences est un pivot clef de la politique d’emploi des seniors. Par exemple, le peer-coaching, ou coaching par les pairs est de plus en plus central dans les modes de management. Le reversed coaching voit même les plus anciens coachés par les plus jeunes, par exemple sur le digital ou de nouvelles méthodes. Dans ce cadre, pourquoi ne pas valoriser l’expertise des salariés les plus anciens plutôt que de souligner les choses qu’ils ignorent ?
Changer les perceptions, c’est ce qu’a cherché à faire, depuis 2009, la société Assystem, qui a repensé sa pyramide des âges. Pour capitaliser toujours plus sur le savoir-faire de leur collaborateur arrivé en deuxième partie de carrière, la société a créé une branche « Filière d’expertises » en complément de ses filières historiques de management et de commerce. Ainsi les seniors deviennent des experts, des référents. Cette employabilité à tous les niveaux d’âges a un impact réel sur le moral des collaborateurs.
On trouve un autre exemple riche d’enseignement chez Latitude Service, une entreprise d’aide à la personne qui embauche en priorité des seniors de plus de 50 ans dans le but de miser sur des professionnels expérimentés qui jouissent d’une aura de confiance. Cette politique de recrutement originale va de pair avec un tutorat des jeunes embauchés dans leurs premières missions. Entre 2011 et 2012, huit tuteurs ont été formés dans l’optique de ces binômes intelligents et intergénérationnels.
Des politiques de recrutement qui stimulent l’emploi des seniors
Un tiers des entreprises font du maintien en emploi une priorité au détriment du recrutement, selon une enquête de Mercuri Urval. Cela n’est pas sans poser problème : avec la transformation digitale, et la disparition de certains métiers dans de grands groupes, les seniors voient partout leur métier changer au point de ne plus le reconnaître ou tout simplement disparaître. Ainsi, changer d’entreprise peut permettre à des seniors de valoriser leur expérience ailleurs, auprès d’employeurs qui valorisent moins les connaissances digitales, et davantage la relation client, par exemple.
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C’est le cas du Crédit Agricole, qui compte environ 30 % de collaborateurs de plus de 50 ans : au niveau national, il prévoit de développer les dispositifs favorisant le recrutement de salariés de plus de 50 ans comme le contrat de professionnalisation. Odile Farret, DRH de la caisse régionale :
« Aujourd'hui, nous recevons très peu de candidatures de personnes de plus de 50 ans. A partir d'un certain âge, les salariés se sont installés dans leur métier, ils sont moins enclins à se réinvestir ailleurs. Nous allons devoir diversifier nos canaux de recrutement, travailler avec des directeurs pour repérer parmi nos clients des candidats potentiels. Cet objectif rejoint notre préoccupation d'intégrer plus de maturité dans les agences, pour que les clients se sentent davantage en confiance. »
Former au retour à l’emploi
« Quand on a démontré son savoir-faire pendant de longues années, le chômage est une grande violence », explique Gilles de Labarre, président de l'association Solidarités nouvelles face au chômage. Peut-être pas la « fin du monde » mais une rupture difficile qui engendre souvent une période de « deuil » et une anxiété très forte vis-à-vis de la recherche d’emploi et du risque de chômage de longue durée. Des phases de réadaptation doivent alors leur être proposées pour faciliter leur réinsertion professionnelle :
- Réapprendre à chercher : c’est la première nécessité. La durée d’emploi s’allongeant avec l’âge, une rupture conventionnelle ou même un licenciement confrontent la personne à la recherche d’emploi, ce qu’elle n’a souvent plus fait depuis des années. Il ne faut pas hésiter à s’adresser à des cabinets de recrutement.
- Se doter de nouvelles compétences : après un bilan de compétence et un point sur le droit à la formation, les seniors peuvent entamer des formations courtes pour revenir vers l’emploi. A la demande de trois entreprises, Delaware, Accenture et Capgemini, l’EPSI de Nantes, école d’ingénierie informatique, a créé une formation de « consultant informatique spécialisé en logiciels d’entreprise » adaptée aux seniors demandeurs d’emploi. Trois cents heures de cours plus tard, les élèves ainsi formés signent un contrat de professionnalisation d’un an dans une entreprise.
- Sortir du chômage de longue durée : les plus de 50 ans sont la classe d’âge la plus touchée par le chômage de longue durée. Des programmes de retour à l’emploi existent, c’est par exemple le cas en Ariège, avec le programme Atout senior développé par des psychologues du travail chez Pôle Emploi. Ce programme permet aux plus de 50 ans d’effectuer des immersions dans des organismes publics ou privés
- Reconversion professionnelle : avec la transformation des métiers, et parfois faute de formation, les seniors décident de s’orienter vers d’autres fonctions et se réinventent, à 55 ans, dans des secteurs porteurs. C’est ce que propose, par exemple, le groupe français O2, spécialisé dans les services à la personne, avec son initiative Mamie nounou.
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Encourager les volontés d’indépendance
« Il n’y a pas d’âge(s) pour créer sa boîte ! » est le slogan de l’Adie, l’association pour le droit à l’initiative économique. Et pourquoi pas ? L’entrepreneuriat n’est pas réservé aux nouvelles générations : forts de leur expérience, les seniors peuvent se lancer à leur tour.
Pour leur mettre le pied à l’étrier et les aider à développer leur propre activité, l’Adie a lancé la deuxième édition de son concours de micro-entreprises senior et junior. Les gagnants bénéficient d’un programme d’accompagnement, d’une aide allant jusqu’à 10 000 euros et d’un prêt d’honneur à 0%. Cette année, le prix sénior a récompensé Samuel Chassagnot, 51 ans, pour son projet d’entreprise de marbrier-graveur. L’entrepreneuriat, une belle façon de trouver une seconde jeunesse ?