En France, 40% des actifs occupent un emploi sans rapport avec leur formation initiale, et plus de 50% ont changé au moins une fois d’orientation professionnelle dans leur carrière. En réalité, les Français sont bien moins hostiles aux reconversions qu’on ne le dit souvent. C’est une bonne chose car, entre les transitions volontaires, subies (à cause d’une spécialisation dans une activité en déclin) ou forcées par des aléas de la vie (accident du travail, maladie…), il est probable que l’on se dirige vers un monde où la reconversion sera la norme. Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, le «mouvement permanent» devient caractéristique de la vie des entreprises. Hier, leadership et compétences étaient les valeurs cardinales de la gestion des ressources humaines. Aujourd’hui, dans la mondialisation et à l’ère des réseaux sociaux, mobilité et flexibilité (géographiques, temporelles, interprojets…) deviennent décisives. Parce que ses frontières sont toujours plus mouvantes et poreuses, l’entreprise est de plus en plus agile, plus rapide et apte à se transformer.
Ensuite, il y a une accélération phénoménale de la mutation des besoins de ces entreprises, en grande partie liée à la généralisation du numérique. Avons-nous bien conscience qu’une grande partie des écoliers de maternelle occuperont des emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui ? S’orienter vers la bonne formation et savoir quel métier on va exercer, est-ce alors un pari impossible ? L’économie se transforme si vite que les exercices d’anticipation s’apparentent souvent à de la divination : comment se préparer au travail de demain ?
« Le changement est devenu la norme »
Si les termes de «transition» ou de «mobilité» professionnelles prennent le pas sur celui de reconversion, c’est que le changement est devenu une donne permanente, rendant difficile toute prospective. Les parcours professionnels ne seront donc plus ce qu’ils étaient. Et ils ne seront même plus ce qu’ils sont, suis-je tenté d’ajouter : dans le top 10 des profils professionnels qui s’arrachaient en 2010, aucun n’existait en 2004 ! Expert du développement durable, développeur d’applications mobiles, technicien dans le cloud computing, data miner ou community manager : tous ces emplois, dont l’apparition se fait d’ailleurs plus rapidement que leur traduction en français, n’existaient pas il y a cinq ans…
Ajoutons à cela que les marchés du travail se fluidifient et s’internationalisent. Et que la crise amplifie ce phénomène : entre 2007 et 2012, l’émigration italienne a bondi de plus de 30%, celle de l’Espagne de plus de 140% et celle de la Grèce de plus de 200%. Parmi les premiers destinataires de ces flux migratoires redessinés par la crise économique : l’Allemagne.
Dans cet environnement, la notion de parcours professionnel relèvera-t-elle demain de la seule responsabilité individuelle ? Je ne le pense pas : les employeurs auront toujours leur rôle à jouer – c’est d’ailleurs l’une de leurs responsabilités historiques. Mais ce rôle doit évoluer car il leur incombe d’adapter de façon beaucoup plus segmentée et pertinente leur politique de formation. Aujourd’hui, la formation profite trop peu à ceux qui en ont le plus besoin : en règle générale, dans les entreprises, plus on est qualifié plus on a de chances de bénéficier d’une formation.
Epanouissement
Cette tendance aggrave la fracture entre les peu qualifiés et les très qualifiés – d’où l’insupportable cohabitation entre inadéquation des compétences et chômage de masse. Qui plus est, le progrès technique accroît encore ce hiatus en faveur des plus qualifiés, dont il accroît la productivité, et qui sont par ailleurs capables de mettre à jour leurs compétences (ce qui est beaucoup moins le cas des personnes peu ou pas qualifiées) tout en supprimant des postes «peu qualifiés». L’organisation actuelle de la formation professionnelle ne fait que renforcer ces tendances.
Voilà quelques-uns des enjeux qui se cachent derrière la notion de parcours professionnel. Oui, demain, ils seront multiples, souvent imprévisibles et parfois morcelés. Mais il convient maintenant de tout faire pour qu’ils soient cohérents et adaptés, tant pour l’efficacité de notre économie que pour l’épanouissement des individus. Finalement, un bon employeur est celui qui vous permet d’en changer…
Par Alain Roumilhac, Président de ManpowerGroup