DEBAT. A l’ère du digital, savoir attirer les talents, c’est cultiver le principal capital de l’entreprise. Un constat encore plus crucial pour les startups : un recrutement raté peut mettre en danger leur croissance, et même leur survie. Comme réussir à recruter le « bon » candidat ? Comment aligner les enjeux de développement d’une jeune pousse avec la personnalité des candidats d’aujourd’hui ? Réunis autour de Gwenaëlle de la Roche (ManpowerGroup) à l’occasion de Viva Technology, Jérémy Clédat (Welcome to the Jungle), Valérie Touraine (Jai) et Axelle Tessandier (AXL Agency) ont partagé leur expérience.
Dans notre économie des services et de la connaissance, la valeur d’une entreprise réside dans les talents qui s’y trouvent. Mais un « bon » profil, c’est quoi, pour une startup ? Comment les sélectionner, les attirer et les recruter ? Comment les fidéliser et construire une aventure commune entre l’entreprise et le collaborateur ? Bref, comment résoudre le casse-tête de la dream team ?
Alors que la troisième édition de Viva Technology a connu une affluence record, accueillant plus de 9 000 startups et 100 000 visiteurs, Gwenaëlle de la Roche (Directrice Marketing et Prospective, ManpowerGroup France) a animé une discussion réunissant Jérémy Clédat (Co-fondateur et CEO, Welcome to the Jungle), Valérie Touraine (CEO et Co-fondatrice, Jai) et Axelle Tessandier (fondatrice, AXL Agency) sur ces questions stratégiques.
Les compétences, c’est bien, la culture commune, c’est mieux !
Pour une startup, le vrai enjeu de recrutement n’est pas uniquement la compétence, mais la capacité à trouver un alignement entre les enjeux de la structure et la personnalité du candidat. Ce défi se pose à tout type d’entreprise, souligne Valérie Touraine, mais encore bien plus pour les startups, dont la fragilité exige que soient évitées les « erreurs de casting ».
Ainsi, beaucoup se joue dès le départ, lors du sourcing et de l’entretien : il faut être clair sur la culture de l’entreprise, ainsi que sur les éléments positifs et négatifs de l’environnement de travail. Pour une startup dans un contexte d’hypercroissance, l’accompagnement individuel sera forcément moins normé et moins appuyé que dans un grand groupe. C’est en jouant la carte de l’honnêteté que peut s’établir une relation gagnant-gagnant entre le candidat et l’employeur, et ce, dès les premiers contacts.
C’est aussi le point de vue de Jérémy Clédat, dont l’entreprise Welcome to the Jungle accompagne les entreprises dans leur communication de marque-employeur. Un enjeu de taille pour les startups comme pour les grands groupes. C’est grâce à un travail de fond sur leur identité et sur les éléments constitutifs de leur culture que les entreprises pourront se présenter de manière différenciante et attirer les talents qui leur correspondent vraiment. Un exercice d’autant plus crucial qu’aujourd’hui, « la communication sur les conditions de travail, la promesse et l’offre est devenue un prérequis pour la plupart des candidats », constate Jérémy Clédat.
Même analyse pour Axelle Tessandier, qui estime pour sa part qu’il est temps de revoir la définition de ce qu’est un « talent ». En France, en particulier, la notion de talent est trop souvent réduite aux diplômes alignés sur un CV ou aux qualifications… alors que, dans une startup, en particulier, les qualifications sont loin de constituer l’alpha et l’omega de la dream team. Pour garantir une cohésion d’équipe à même de soutenir la performance de la structure, le partage d’une culture commune avec les nouveaux collaborateurs revêt, en revanche, une importance cruciale.
Garder ses talents… mais pas à n’importe quel prix
Une fois identifié et recruté, le collaborateur doit être bien accompagné dans sa trajectoire professionnelle. Et cela commence dès ses premiers pas dans l’entreprise ! souligne Jérémy Clédat. « Rater le coche de l’accueil d’un nouveau talent, c’est prendre le risque de faire retomber sa motivation d’entrée de jeu », prévient-il. Ainsi, le processus d’onboarding, c’est-à-dire l’accueil et l’intégration des nouveaux collaborateurs, doit faire l’objet de toutes les attentions. Chez Welcome to the Jungle, cette phase, qui dure près 3 semaines, est même devenue structurante de la marque employeur et de la promesse de la startup.
Dans les petites organisations, la fidélisation des talents passe également par le management. A cet égard, Axelle Tessandier plaide pour une évolution radicale. « Il faut changer la manière de manager en France : les managers doivent oser lâcher prise et faire confiance à leurs collaborateurs », estime-t-elle. Pour Valérie Touraine, la clé reste le management direct, de proximité et l’écoute des collaborateurs. Avec l’objectif de construire un parcours commun… qui peut, un jour, prendre fin. « Les managers doivent accepter l’idée que les collaborateurs puissent un jour quitter la structure. Aujourd’hui, on ne travaille plus 15 ans d’affilée dans une même entreprise ! », analyse Valérie Touraine.
Si le temps d’un emploi à vie est clairement dépassé, il faut néanmoins veiller à accompagner l’évolution de ses collaborateurs à mesure que l’entreprise change. « Il faut développer une relation humaine de confiance et d’autonomie, et surtout engager une réflexion commune sur l’évolution professionnelle du collaborateur », estime Jérémy Clédat. Dans la vie d’une startup, renchérit Valérie Touraine, il faut distinguer plusieurs étapes cruciales. Quand les premiers profils à rejoindre la structure doivent se montrer particulièrement adaptables, polyvalents et capables d’explorer de nouveaux domaines, la phase de spécialisation des activités implique la mobilisation d’autres compétences.
La clé au cours de ces nombreux changements pour les collaborateurs ? La constance dans la promesse de l’entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs, ainsi qu’une relation de transparence et de partage de l’information. Ce sont des conditions clés pour minimiser le turnover, insiste Jérémy Clédat.
Et la fonction RH dans tout ça ?
La fonction RH fait donc face à des enjeux multiples pour attirer, recruter et fidéliser les talents. Pour être en mesure de répondre à ces nombreux défis, Valérie Touraine met en exergue le rôle que peut jouer la technologie. C’est ainsi que la startup Jai se propose de pré-qualifier les candidats au recrutement grâce à l’intelligence artificielle, dans le but de permettre aux recruteurs de se concentrer sur la rencontre et les entretiens, c’est-à-dire leur vraie valeur ajoutée.
Axelle Tessandier, quant à elle, insiste sur l’impératif d’innovation auquel est confrontée la fonction RH, alors que le monde du travail change en profondeur. Les DRH doivent réinventer leurs méthodes de recrutement et se montrer particulièrement pro-actifs. L’innovation, au cœur des projets entrepreneuriaux, viendra de la mixité et de la diversité des profils recrutés. Alors, pourquoi ne pas expérimenter le recrutement par équipe ? Ou bien se tourner vers des structures qui sortent des réseaux habituels pour identifier des personnalités atypiques ?
Autre enjeu de taille pour la fonction RH : la formation. Alors que la majorité des métiers de demain n’existent pas encore, la gestion anticipative des compétences se complexifie dans les organisations. Une entreprise, qu’elle soit startup ou grand groupe, a ainsi la responsabilité de faire évoluer ses collaborateurs pour que la structure, autant que les individus qui la composent, puisse être adaptée au monde du travail de demain et aux priorités stratégiques. Et pourquoi pas en développant en priorité les compétences comportementales et non-cognitives, de plus en plus recherchées par les recruteurs ?