Le Gouvernement a présenté son « Plan Automobile », destiné à soutenir et relancer une filière « stratégique pour l’économie française et l’emploi en France». Se concentrant sur le potentiel que représenterait la filière verte, l’importance de l’innovation et l’anticipation des évolutions de la demande – donc de l’emploi -, la stratégie gouvernementale a été critiquée pour ne pas avoir voulu aborder la question du coût du travail. « Le vrai sujet » a-t-il été esquivé ?
Symbolisée par PSA, dont le Président vient d’annoncer un objectif de réduction de coûts de 1,5 milliard d’euros d’ici 2015, l’industrie automobile est en difficulté en France. Sur notre territoire, l’emploi dans ce secteur a baissé de 30% ces dix dernières années, en particulier parce que le nombre de véhicules produits sur notre territoire a chuté de près de 43% en sept ans (cette année, 2 millions de véhicules seront produits en France cette année, contre 3,5 millions en 2005).
Cette érosion n’est pas liée qu’à des difficultés conjoncturelles. Elle s’inscrit dans une évolution structurelle : la mondialisation des productions et du marché du travail. C’est pourquoi le Premier ministre a expliqué que « la filière a besoin de compétitivité, d’innovation et de solidarité ». Le plan du Gouvernement affiche donc l’ambition d’accélérer la mutation de l’industrie automobile française par « une stratégie forte de filière, partagée par tous les acteurs ». « L’automobile verte » et un soutien à l’innovation – conditionné par la localisation en France des centres de R&D – sont au cœur de cette stratégie, qui mise particulièrement sur les pôles de compétitivité et le renforcement des PME sous-traitantes. En matière d’emploi stricto sensu, le Gouvernement insiste sur l’importance de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) – qui aurait certainement permis des évolutions moins brutales.
Sécuriser et développer l’emploi par une GPEC partenariale
En effet, le gouvernement cherche certes à faire émerger de nouveaux emplois à travers la création d’une véritable filière française de la déconstruction et du recyclage automobile. Mais conforme à l’esprit de la Conférence sociale, il entend surtout agir avec l’ensemble des acteurs de la filière pour sécuriser l’emploi et les parcours professionnels (via l’activité partielle, les plans de formation, le FNE formation ou le Contrat de Sécurisation Professionnelle).
Il s’agit notamment de s’appuyer sur les prévisions de production et les intentions d’affectation des véhicules afin de favoriser l’anticipationprécoce des évolutions de l’emploi et des compétences. Les actions à mettre en œuvre :
- appui aux entreprises, notamment aux PME, dans l’élaboration d’une politique RH ;
- insertion des jeunes dans les emplois de la filière ;
- développement des compétences en lien avec les métiers de demain ;
- diversification de l’activité des sous-traitants vers d’autres secteurs que l’automobile ;
- construction de passerelles professionnelles au sein de la filière ou vers d’autres métiers ;
- encouragement de la mobilité professionnelle des salariés du secteur. Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation sera sollicité dans ce but.
Enfin, le gouvernement a annoncé vouloir lancer une démarche « Emplois-Compétences » avec la filière des services automobiles, en vue de « favoriser l’insertion des jeunes dans l’emploi et le maintien des seniors ». Si l’intention est louable, on peut regretter que les services ne soient considérés que sous cet angle. En effet, notre époque est caractérisée par le rôle des services dans l’innovation et l’emploi « industriels » et « l’avance de la logique servicielle dans tous les secteurs » – une formule de l’économiste Philippe Moati ; comme le soulignait Thibault de Jaegher dans L’Usine nouvelle, « ce que vendent ces industriels [qui réussissent, comme Schneider Electric ou Michelin] , ce n’est plus tant leurs produits qu’un service rendu » …
Le coût du travail : « le vrai sujet » esquivé ?
«Faire l’impasse sur la baisse du coût du travail aujourd’hui, c’est criminel ». Valérie Pécresse s’est faite le porte-voix d’une opposition qui concentre ses critiques sur ce qu’elle estime être « le vrai sujet », non abordé par le Plan. Les coûts sont une composante de la compétitivité, le marché du travail n’échappe pas à cette règle.
Un sujet vraiment essentiel ? Un certain nombre d’experts, comme Jean-Paul Betbèze (Directeur des études économiques du groupe Crédit Agricole) ou l’institut COE-Rexecode, le pensent. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, admettait aussi, lors du colloque « Les défis de la compétitivité », que « le problème du coût du travail est un des problèmes de la compétitivité. » Cependant, pour l’ancien PDG de Renault Louis Schweitzer comme pour Jean-Louis Beffa, ce problème n’en est qu’un parmi d’autres. Le premier considère ainsi que « ne parler que du coût du travail […] « est une erreur et une faute » ; le second précise :
« C’est une erreur de ne raisonner qu’en termes de coût du travail. C’est peut-être 10% du problème ; les 90% restant relèvent de la compétitivité hors coût, c’est-à-dire de choses infiniment plus difficiles à corriger. »
Un « choc de compétitivité » pour relancer l’industrie automobile française
Il y a quelques mois, le Président du directoire de PSA lui-même affirmait que le facteur « coût du travail » n’est important qu’à court terme. La comparaison avec l’Allemagne – si fréquente en France – révèle que, dans certains des secteurs où elle est la plus performante, ses coûts du travail sont plus élevés. Ce que montre une analyse approfondie, c’est qu’un coût du travail élevé ne nuit pas à la compétitivité…à condition qu’il serve une offre haut de gamme. Ici, l’essentiel de la compétitivité se joue au niveau de l’innovation et de la qualité, des compétences.
Frédéric St Geours (directeur des marques Peugeot et Citroën) soulignait, lors du colloque « Les défis de la compétitivité », une différence essentielle entre la France et l’Allemagne : les constructeurs automobiles allemands dépendent beaucoup moins du marché européen que nous grâce à une présence importante sur les marchés en fort développement. Pour que l’industrie automobile française puisse elle aussi conquérir ces marchés, ses entreprises doivent pouvoir investir dans le marketing et l’innovation produit ; or, avec les difficultés du marché européen, seul un « choc de compétitivité » permettrait de dégager les marges nécessaires à ces investissements … Autrement dit, une baisse du coût du travail pourrait permettre de dégager les ressources nécessaires pour investir… et s’offrir le luxe de ne plus trop songer au coût du travail !
GPEC et flexibilité : un duo gagnant…qui nécessite une révolution des mentalités
Au-delà des politiques d’innovation, des compétences des collaborateurs et du coût du travail, un autre facteur important joue un rôle essentiel dans la compétitivité : la flexibilité du travail. L’affaire PSA le démontre une nouvelle fois : les rigidités du marché du travail français rendent difficiles l’ajustement de la production en cas de nécessité. Dans notre pays, on doit souvent attendre d’être « au pied du mur » pour faire évoluer ses effectifs. Une GPEC efficace doit permettre d’éviter la douleur des plans sociaux…mais il faut pouvoir la mettre en œuvre ; comment faire lorsque l’emploi est « sanctuarisé », s’il faut attendre que les situations soient dramatiques pour opérer des ajustements qui pourraient être progressifs ?
Si l’on ne veut pas faire des salariés « flexibles » – les plus fragiles – la seule variable d’ajustement, le marché du travail dans son ensemble doit être assoupli. La flexibilité, nécessaire, doit être responsable – notamment pour ne pas pénaliser les sous-traitants et leurs salariés.
GPEC et flexibilité constituent assurément un duo gagnant…mais difficile à mettre en place sans une révolution des mentalités et de la gestion des ressources humaines.