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L’Amérique latine, un Eldorado en pénurie

Klaus Schwab, fondateur du Forum Economique Mondial, vient d’annoncer dans une tribune que les jours du capitalisme seraient comptés. La liberté d’entreprendre et de commercer serait-elle remise en question par l’une de ses icônes ? Non : les principes de l’économie de marché ne sont que très marginalement remis en question, la révolution qui est en train de s’opérer n’est pas idéologique.

La nouveauté, pour Klaus Schwab, vient d’une inversion des rôles relatifs du capital financier et du capital humain. Autrefois, l’enjeu numéro un pour les entreprises étaient de pouvoir réaliser de lourds investissements, les salariés n’intervenant que dans un second temps. Aujourd’hui, la « ressource rare », c’est le talent, les compétences. L’accès au talent, voilà la nouvelle clé de la compétitivité.

K. Schwab l’affirme : nos économies sont en train d’entrer dans le « talentisme » (ou « Ere des talents »), reprenant ainsi l’analyse développée par Jeff Joerres, PDG de ManpowerGroup, lors du Forum économique mondial de Davos en 2011

Le talent, ressource rare partout dans le monde

A l’appui de cette théorie, on peut citer l’enquête annuelle de ManpowerGroup sur la pénurie de Talents, qui montre qu’un tiers des employeurs dans le monde n’arrivent pas à trouver les talents et compétences correspondant à leurs besoins…malgré le nombre très élevé de chômeurs.

Difficultés à pourvoir des postes clés

Cette nouvelle donne n’est pas l’apanage d’un Occident vieillissant, qui peinerait à renouveler et actualiser les compétences de sa population active : dans les pays émergents et en développement, la pénurie de talents constitue aussi une source d’inquiétudes majeures bien que la part des jeunes soit prépondérante.

L’Amérique latine, où vient de s’ouvrir le Forum économique mondial, n’échappe pas à cette tendance : trop d’individus manquent des compétences et de l’expérience nécessaires pour répondre aux besoins d’entreprises, pourtant fortement attirées par l’immense gisement de croissance que représente cette région du monde.

L’Amérique latine, nouvel Eldorado

The Latin America DecadeLa confiance des leaders économiques mondiaux dans le potentiel de développement de cette région paraît forte. Du reste, les termes de « pays émergents » ou « en voie de développement » sont de moins en moins appropriés : l’Amérique latine frappe de plus en plus fort à la porte du monde « développé » – singulièrement le Brésil qui attend beaucoup de la prochaine Coupe du monde de football pour accélérer encore son développement. Certains prédisent déjà l’entrée dans une « décennie de l’Amérique latine »

Dotée d’immenses ressources naturelles, l’Amérique latine est politiquement de plus en plus stable, voit la pauvreté baisser tandis que la croissance économique affiche des taux auxquels les vieilles nations industrielles ne sont plus habituées depuis longtemps. Les investissements étrangers sont  nombreux et les entreprises locales savent tirer parti de ce nouvel environnement. L’Amérique du Nord, notamment, regarde désormais vers le Sud avec les yeux de Chimène.

Cette attractivité se ressent dans les intentions d’embauche pour le 2ème trimestre 2012. Les prévisions de recrutement ont augmenté de manière impressionnante au Brésil (+39%), au Pérou (+23%), et en Colombie (+18%) – le reste de la région connaissant des intentions d’embauche comprises entre 15 et 17%.

Ainsi, au Brésil, tiré vers le haut par l’organisation de la Coupe du monde de football (pour laquelle 700 000 créations de postes sont prévues), le secteur des services est particulièrement dynamique. Hôte du Forum économique mondial, le Mexique est quant à lui essentiellement porté par l’industrie : l’accès aux talents est critique dans l’automobile, l’aérospatial, les biotechnologies, l’IT et les télécommunications – secteurs qui attirent les investissements étrangers.

Malgré la croissance, un chômage élevé

Mais avant de pouvoir réellement parler d’une « décennie de l’Amérique latine », les défis à relever sont considérables. Ils illustrent bien les propos de Klaus Schwab : si les investissements affluent, le bât blesse dans le fonctionnement du marché du travail.

Amérique latine - marchés du travail- taux de participation et d'occupation

Ce point critique est souligné par José Antonio Ocampo, professeur à l’Université de Columbia : si la croissance économique n’a pas toujours été à la hauteur des espérances dans les dernières décennies, la fin de la transition démographique et la forte émigration auraient dû réduire la pression sur les marchés du travail. Or, le chômage a continué de se maintenir à un niveau élevé avec, comme facteur aggravant, la très forte volatilité des économies des pays d’Amérique centrale et du sud. Résultat : nombre d’habitants de la région sont enfermés dans une instabilité chronique.

Le cancer du secteur informel

Le point noir de ces marchés du travail est le poids du secteur informel. Car, contrairement à ce qui était annoncé, le processus de réformes économiques n’a pas vu la proportion d’emplois flexibles « officiels » exploser. Dans les faits, c’est dans le « secteur informel » que la majorité des créations de postes a eu lieu – une forme moins facilement mesurable mais beaucoup plus dangereuse de flexibilisation – car elle exclut les individus de toute protection sociale :

  • Amérique latine - portée du travail informelplus de 55 % de l’augmentation de l’emploi total en Amérique latine entre 1990 et 2005 s’expliquerait par le développement de l’emploi informel ;
  • l’économie informelle est passée de 58,8 à 64% des emplois urbains entre 1990 et 2008. Elle représente jusqu’à environ 80 % des emplois en Bolivie, au Nicaragua et au Paraguay.

Sur ce point, il faut saluer les progrès accomplis : la croissance enregistrée par l’économie latino-américaine entre 2004 et mi-2008 a permis de résoudre une partie de ces difficultés.. Quant à la crise financière, elle a évidemment freiné ces progrès, mais dans des proportions moindres que les crises précédentes.

Pourtant, beaucoup reste à accomplir car l’essor qui a eu lieu entre 2004 et mi-2008 n’a pas réussi à corriger la forte dégradation de la qualité des emplois, accumulée entre 1990 et le début de la décennie actuelle : seul le Chili montre une amélioration systématique des conditions de travail.

Amérique latine - évolution des caractéristiques des marchés du travail

La pénurie frappe fort en Amérique latine

Ce poids du secteur informel aggrave le problème du cruel manque de compétences auquel l’Amérique latine fait face. Ainsi, interrogés lors d’une récente étude de PWC, les PDG installés en Amérique Latine considèrent que la création d’une main d’oeuvre qualifiée doit être l’une des trois priorités des gouvernements.

Au total, ce sont plus de la moitié des employeurs d’Amérique latine qui n’embauchent pas en raison de la faiblesse des qualifications qui leur sont proposées : le skills mismatch est patent.

Conséquence : l’appel aux expatriés

Migration patterns of todays workers

Conséquence de la faiblesse des compétences disponibles : en Amérique, près d’un tiers (32%) des employeurs font appel à des talents étrangers pour pourvoir leurs postes – de niveau senior notamment. Le problème est que certains pays d’Amérique Latine, en particulier le Brésil et le Panama, ont des règlementations très strictes qui rendent difficiles le recrutement à l’étranger.

Mais ces migrations dites « stratégiques » ne peuvent constituer des solutions de long terme : les pays d’Amérique Latine doivent investir dans la formation de leurs nationaux, d’autant plus que la jeunesse de leurs populations constitue un important levier de croissance.

Pour résumer : l’Amérique latine représente un véritable Eldorado. Comme dans ce célèbre mythe, ses richesses – le potentiel humain – doivent être découvertes et libérées. Nous reviendrons sur le rôle de l’éducation et de la formation dans cette perspective.

>>> Télécharger l’étude « Economie et marché du travail en Amérique latine » (pdf)

>>>Télécharger le White Paper de ManpowerGroup « How to unleash Latin America’s Greatest Resource » (pdf)

Unleash Latin America's Greatest Resource

 

> Visuels utilisés pour ce billet :

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