Les réponses de Bénédicte Bailleul, Directrice générale de Futurskill Training, marque de ManpowerGroup dédiée à l'externalisation de la formation. FuturSkill répond aux attentes de ses clients qui souhaitent déléguer le sourcing, la sélection de leurs futurs talents et la formation de nouveaux collaborateurs à un métier. Elle s'est vue récemment confier le pilotage de la formation de 10 000 collaborateurs d'une grande SSII, incluant la reprise de plusieurs de ses collaborateurs en charge des activités de gestion administrative, logistique et financière des formations.
Le think tank Terra Nova publiait récemment un rapport qui révélait de grandes craintes que la formation professionnelle demeure la « voiture-balai » du modèle social français. En cause, les dernières études de l’OCDE montrant que la France est dans « les derniers de la classe européenne en matière de compétences de base des adultes ». La réforme de la formation professionnelle (loi du 5 mars 2014) part-elle de ce constat ?
La vocation première de la formation professionnelle est d'accompagner les salariés tout au long de leur vie professionnelle pour qu'ils développent des compétences leur permettant de se maintenir dans leur emploi, d'aller "plus loin", et de s'adapter dans des environnements extrêmement changeants.
Les compétences ne se stockent pas : elles deviennent obsolètes. Sur l'échelle d'une carrière, il est indispensable aujourd'hui d'acquérir de nouvelles compétences : les jeunes qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail exerceront en moyenne quatre métiers différents. La formation professionnelle ne pouvait plus rester dans la seule logique d'adaptation au poste de travail actuel et tourner le dos à l'objectif d'employabilité et d'acquisitions de nouvelles compétences.
On reprochait également à la formation professionnelle de bénéficier avant tout aux personnes qui en avaient le moins besoin. Aider et financer la formation à destination des moins qualifiés est l'un des principaux enjeux de la réforme.
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"Vers une logique d'obligation de développement des compétences et non plus d'obligation de dépense"
Quels sont les autres constats à l'origine de cette réforme ?
Une autre critique récurrente concernant la précédente loi est qu'elle était trop centrée sur les moyens : aujourd'hui, il s'agit de l'orienter vers une logique d'obligation de développement des compétences et non plus d'obligation de dépense. Les entreprises devront désormais prouver qu'elles forment tous les salariés.
L'environnement technologique a de plus énormément changé : le numérique bouleverse en profondeur la manière dont on dispense la formation et a fait émerger de nouveaux modes d'apprentissage. Le e-learning n'était jusqu'alors pas considéré comme de la formation "imputable". Même si tout n'est pas encore clarifié, la réforme va permettre de redéfinir ce qu'on entend aujourd'hui par "formation".
Enfin, la politique de compétences et la GPEC, dans l'entreprise, étaient découplées de l'enjeu formation. Aujourd'hui, ces deux volets vont pouvoir s'articuler complètement.
Parmi les grandes nouveautés la réforme de la formation professionnelle : le CPF, Compte Personnel de Formation, qui va progressivement "se substituer" au DIF. Que représente ce basculement pour l’entreprise ?
La réforme, c'est en effet aussi quelque part l'échec du Droit Individuel à la Formation. Même s'il faut garder à l'esprit que la réforme va bien au-delà du CPF, son arrivée est néanmoins en rupture totale avec le DIF : la gestion du compteur-formation ne sera plus entre les mains de l'entreprise, l’exercice de ce droit à la formation viendra du collaborateur et non de l'entreprise, contrairement au DIF. Cela positionne les salariés comme acteurs de leur employabilité. Pour des formations hors temps de travail, l'entreprise n'aura plus son mot à dire ; et pour des formations de type "socle de compétences de base", elles pourront lui être imposées. Le processus complet du CPF échappe à l'entreprise.
Par ailleurs, seules les formations diplômantes ou certifiantes, agréées par la branche professionnelle, seront éligibles au CPF.
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"De vrais choix à faire aujourd'hui pour l'entreprise en matière de développement des compétences"
L’entreprise a-t-elle aujourd'hui la capacité à s’engager dans cette voie ? Avec quels outils ? Doit-on attendre une révolution de la politique formation des entreprises ?
Les métiers de la formation sont en pleine mutation. La réforme ne fait qu'accompagner ce vaste mouvement, qui induit un certain nombre de transformations : les stages de formation sont par exemple de plus en plus ciblés, autour de "grains de compétences", ce qui demande plus d'agilité dans la réponse à la demande en formation, avec beaucoup de formations sur mesure, "modularisées" pour chaque collaborateur.
Internet rend la connaissance accessible en un clic. Le formateur n’est plus celui qui apporte la connaissance mais un facilitateur pour la « trans-former » en compétence. Son positionnement évolue, et c'est un vrai changement de posture.
Mais le "digital" est loin de s'être encore banalisé : il faut s'attendre à une normalisation du e-learning, surtout en complément du présentiel. Cette approche "multicanale", avec par exemple un webinar en teasing d'une formation, des réseaux sociaux en soutien, des quiz d'évaluation a posteriori, un podcast, etc., redessine ce qu'est la formation. On est par ailleurs sur des logiques de recherche qualification et, avec le CPF, de développement des formations diplômantes.
De plus, pour faire face aux pénuries de compétences dans certains métiers, les DRH doivent envisager de recruter des talents et mettre en place un dispositif de formation afin de former ces nouveaux collaborateurs, non plus au poste qu’ils vont occuper, mais au métier lui-même. Le directeur Formation devient ainsi un acteur clé dans le processus de recrutement.
Sur les sujets RH et la formation, plus qu'un retour sur investissement, l'entreprise recherche aujourd'hui la performance. Le pilotage du sourcing et l'organisation des achats "formation" sont de plus en plus souvent externalisés. Le directeur Formation pourra ainsi toujours plus se concentrer sur son coeur de métier en devenant un "directeur des compétences", le prestataire prenant en charge, pour sa part, le pilotage.
De 2009 à 2013, la part des grandes entreprises externalisant au moins un process formation est passée de 15 à 24%. Comment expliquer cette tendance à de plus en plus recourir à l'externalisation ?
La première raison demeure la question de l'efficience, mais il y a également la volonté de se concentrer sur son coeur de métier. Lequel a changé : quand hier le métier de directeur Formation consistait avant tout de gérer les convocations, il s'agit aujourd'hui de gérer un budget et demain d'assurer la gestion des compétences, en garantissant particulièrement l'adéquation des compétences. D'assistant de formation, on passe à un métier de talent manager. Cela prend donc sens d'externaliser certaines activités pour assurer une professionnalisation de la fonction.
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"Plus la DRH se repositionnera vers des sujets stratégiques, plus elle externalisera des fonctions importantes"
Se dirige-t-on de plus en plus vers des activités de back-office externalisées ?
Pour schématiser, il existe différents degrés d’externalisation des activités de gestion de la formation.
Les activités administratives et logistiques sont certainement les plus simples à déléguer à un prestataire. Viennent ensuite les activités de pilotage du plan de formation, quand l’entreprise a déterminé sa stratégie.
Le modèle master vendor correspond à un degré de délégation supérieur, quand le prestataire gère et construit le plan de formation de A à Z, produisant lui-même les formations ou choisissant les organismes qui délivrent les stages. Peu d'entreprises sont à ce niveau de maturité… mais cela existe. Le bénéfice attendu pour le client est double. Il s’agit d’une part de se centrer sur son cœur de métier, d’autre part de former mieux et moins cher.
En fait, plus la DRH et la Direction de la formation se repositionneront sur le pilotage des compétences, plus elles chercheront à externaliser sur des dimensions qui prennent de la hauteur.
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La réforme, comme on peut le prévoir avec ce qu’elle implique en terme de pilotage, va-t-elle finalement jusqu'à faire du DRH un authentique leader du pilotage des compétences ?
Le DRH n'est plus un chef du personnel. On l'attend comme un acteur important du business. Dans une économie où les services, même dans l'industrie, sont devenus prédominants, ce qu'on appelle le "capital humain" est devenu central… et le rôle du DRH, par la même occasion, aussi. Les problématiques de recherche et de développement des compétences sont aujourd'hui stratégiques pour l'entreprise, et l'une des premières priorités pour le DRH. Il y a en tous les cas de vrais choix à faire aujourd'hui pour l'entreprise en matière de développement des compétences.