CHRONIQUE. Sélectionné pour la 21e édition du prix littéraire de la Fondation ManpowerGroup et HEC Paris, qui sera remis le 20 septembre, Vivre avec les robots. Essai sur l'empathie artificielle de Paul Dumouchel et Luisa Damiano, nous met au défi d’apprendre à cohabiter avec des machines bientôt pourvues d’empathie.
« Robot », le terme fut employé pour la première fois par le Tchèque Karel Čapek dans sa pièce R.U.R. – Rossum’s Universal Robots en 1920. Dans cette œuvre fictionnelle, les robots rendus esclaves des humains finissent par se rebeller contre leurs maitres. Aujourd’hui, la peur dominante est différente : c’est celle de la substitution de l’homme par le robot, qui lui volerait ainsi son emploi et, par là même, sa subsistance.
L’enquête philosophique menée par Paul Dumouchel et Luisa Damiano, propose de « penser de manière plus riche et plus complexe, plus mesurée et moins angoissée » ce rapport au robot, pour apprendre à vivre en harmonie avec nos futurs collègues. Leur enquête philosophique a pour objectif de dessiner les contours d’une robotique sociale, qui permettrait aux hommes de dépasser cette mésentente au profit d’une relation fondée sur l’empathie réciproque. C’est un projet éthique et politique de la robotique.
En attendant de savoir lequel des 5 ouvrages finalistes recevra le Grand Prix de la Fondation ManpowerGroup, voici 3 idées clefs pour comprendre Vivre avec les robots. Essai sur l'empathie artificielle.
Les robots, des « substituts » certes, mais qui ne sont pas là pour prendre notre place
S’il existe des robots de tout type, l’un d’eux fait aujourd’hui bien plus peur que les autres : celui qui a été conçu pour se substituer à nous.
Mais dans l’idée de développer une robotique sociale, la mission du robot serait non de remplacer mais de suppléer : « Le projet de la robotique sociale est de créer des suppléants artificiels, des robots susceptibles de se substituer à nous dans certaines tâches, mais sans pour autant qu’ils ne prennent notre place », expliquent Paul Dumouchel et Luisa Damiano. « Un substitut, par exemple un enseignant substitut, est quelqu’un qui remplace quelqu’un d’autre sans prendre sa place, c’est-à-dire sans lui enlever sa fonction ».
Pour devenir nos collègues, les robots devront ainsi savoir s’intégrer à un collectif en faisant preuve d’empathie. Le défi pour la recherche en robotique sera donc de les doter de capacités d’interactions humaines. Cela implique de renouveler la connaissance que nous avons de nos interactions sociales pour y intégrer ces nouveaux venus : « Construire des compagnons artificiels n’est pas seulement une aventure technologique, cela exige aussi de se connaitre soi-même et les autres, et de comprendre ce qu’est une relation sociale. »
Des robots qui nous ressemblent (oui, mais pas trop)
Mais n’y a t-il pas un paradoxe à vouloir doter les robots d’émotion pour les faire se rapprocher de l’humain ? Paul Dumouchel et Luisa Damiano écrivent : « Il y a un peu plus de quarante ans, le roboticien japonais Masashiro Mori avançait la conjecture dite de la « vallée de l’étrange » (the uncanny valley). […] Mori postule que plus les robots ressembleront aux humains, plus nous trouverons facile et confortable d’interagir avec eux, mais jusqu’à un certain degré de ressemblance seulement ». Au-delà, nous entrons dans la vallée de l’étrange où l’apparence du robot paraîtra « simultanément trop grande et insuffisante. »
Cette « vallée de l’étrange », même si elle reste une théorie, continue de guider de nombreux chercheurs dans leurs efforts pour comprendre et faciliter les interactions sociales entres robots et êtres humains. Elle expliquerait par exemple que dans des situations d’extrêmes ressemblances, ce qui nous effraye serait la « perte de différence ». Autrement dit, la difficulté de nous assurer que, pour différents qu’ils semblent, les robots sont bel et bien autres, qu’ils ne sont pas nous et « pas comme nous ».
En somme, pour s’en sentir plus proche, il faudra que les robots soient bel et bien différents de nous : « La vallée de l’étrange suggère, selon nous, que la supériorité que nous sommes prêts à accorder aux machines et aux êtres artificiels que nous fabriquons (…) est inséparable de la difficulté que nous avons de vivre ensemble, difficulté que révèle l’inquiétude que nous ressentons lorsque les robots commencent à trop nous ressembler. »
Les robots nous donneront une meilleure compréhension de notre vie morale et sociale
L’introduction de robots dont la fonction est de se « substituer » à l’humain posent de nombreuses questions éthiques : si tous les humains sont, sauf cas exceptionnel, responsables de leurs actes, qui est vraiment responsable des actions d’un robot ? Pour programmer ces agents robotiques, il faudra ainsi éditer des règles à leur action, et pour être plus précis, il faudra être capable de programmer les robots pour qu’il agisse de façon morale : « En conséquence, ils sont, ou du moins ils peuvent devenir, des instruments de recherche dans le domaine moral aussi ».
Mais contre une éthique robotique qui voudrait contraindre l’action des robots en les obligeant à suivre un certain nombre de règles morales anciennes, les deux auteurs prônent une « éthique synthétique » qui se reposent sur la coévolution humain-robot. Autrement dit, l’homme ne pourra bien vivre avec les robots qu’en acceptant de transformer, à certains égards, ses façons d’interagir – et non en se contentant d’attendre des robots qu’ils se conforment à nous :
« L’éthique synthétique vise à ce que l’introduction de robots sociaux dans le tissu de nos relations soit, plutôt que le commencement de la fin, l’occasion d’une meilleure gestion et d’une meilleure compréhension morale de notre vie sociale ». En somme, fabriquer des robots serait aussi fabriquer une nouvelle société – et peut-être même un nouvel humain ?
Crédit images : Chris Hisherwood / CC BY-SA 2.0
Vivre avec les robots : Essai sur l'empathie artificielle, de Paul Dumouchel et Luisa Damiano. Coll. La couleur des idées aux éditions du Seuil. 224 p.