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Le travail est-il (encore) l’avenir de l’homme ?

Le travail tel qu’on le connaît aujourd’hui est-il en voie de disparition ? Alors que jamais les théories sur la fin du travail n’avaient rencontré un tel écho, faut-il se préparer à un futur technologique dans lequel l’Homme n’aurait plus sa place ? Pour Nicolas Bouzou, qui était l’invité de la Matinale ManpowerGroup le 3 mai 2018, la perception que nous avons des mutations induites par le numérique est erronée. Le capitalisme du XXIe siècle représente toutefois un défi majeur adressé aux Etats, aux institutions, mais aussi aux entreprises et aux individus qui les composent.

« Le travail est l’avenir de l’Homme » (Editions de l’Observatoire, 2017) : dans son dernier ouvrage au titre explicite, Nicolas Bouzou s’insurge contre les Cassandre du marché du travail. Si le travail dans son ensemble est sans conteste en proie à une mutation profonde, il n’est pas pour autant en voie de disparition. De fait, c’est un véritable plaidoyer pour la désaliénation du travail, en opposition frontale avec une vision dépassée héritée du XIXe siècle, que Nicolas Bouzou adresse, au travers de son ouvrage, à la société en général, et aux dirigeants en particulier.

L’ampleur et la nature des changements en cours n’en posent pas moins nombre de questions fondamentales dont les réponses exigent un certain recul, souligne Jean-François Denoy, Directeur Général de Manpower France. Alors que les mutations s’accélèrent, comment accompagner efficacement ceux dont le travail est effectivement menacé ? La formation professionnelle est-elle la clé ? Comment la France peut-elle faire évoluer son marché du travail ? Quelles responsabilités pour les entreprises ? Et à quoi ressembleront le travail et le salariat en 2050 ?

Tant qu’il y aura des besoins, il y aura du travail

La peur de la fin du travail est aussi ancienne que le travail lui-même. Cela fait donc plus de 2000 ans que se pose la question d’une éventuelle fin du travail… Or, l’Histoire en est le témoin, la création l’a toujours emporté sur la destruction ! Mais alors, comment expliquer que soit davantage ressentie une vague menaçante de destruction d’emploi ? Pour Nicolas Bouzou, la différence tient notamment au caractère inédit de la révolution digitale en cours. Plus rapide et englobant tous les pays, elle implique une période de « destruction créatrice » plus massive que les précédentes révolutions industrielles.

Ainsi, dans la période dans laquelle nous évoluons, de nombreux emplois sont amenés à disparaître à mesure que la robotisation se généralise. Mais ces destructions seront compensées par des créations ailleurs. D’ailleurs les pays les plus innovants ou les plus à la pointe de la technologie ont souvent ceux qui connaissent le plein emploi.

Autre explication de la perception erronée qui semble dominer, la transformation numérique pose aux sociétés des problèmes inédits. Le développement de l’intelligence artificielle et de la robotique concurrence directement les caractéristiques les plus fondamentales de l’homme : réflexion, prise de décision, autonomie. Mais c’est une erreur de penser que le travail va disparaître, même en se projetant dans un futur qui verrait l’avènement d’une « IA forte ».

Tant que les Hommes auront des besoins, le travail existera, sous une forme ou sous une autre. Notre réflexion ne doit donc pas porter sur la disparition du travail, mais sur ses mutations.

Bonne nouvelle : le travail change !

Ubérisation, freelancisation, « jobbing » : ces concepts largement débattus font aujourd’hui office d’épouvantails pour les salariés du monde entier, car ils évoquent immédiatement la notion de précarisation, voire de fin du salariat. Pour Nicolas Bouzou, il y a fort à parier que le salariat restera largement majoritaire, mais qu’il vivra, en contrepartie, une mutation profonde.

Aujourd’hui, la Machine est déjà supérieure à l’Homme dans nombre de tâches répétitives et pénibles, et c’est tant mieux ! A regarder dans le détail les métiers susceptibles de disparaître à la faveur de la robotisation, on s’aperçoit que les métiers pénibles, avec peu de valeur ajoutée, sont les plus représentés.

De fait, la transformation numérique a pour conséquence d’altérer la nature du travail effectué par l’Homme, en faisant progresser sa qualité vers une valeur ajoutée de plus en plus « humaine ». C’est ainsi tout un panel de nouvelles compétences qui en ressortent valorisées, à l’instar de la créativité, de l’empathie, ou encore de la capacité à analyser de manière systémique un environnement.

Soit autant de capacités que l’intelligence artificielle n’est aujourd’hui pas en mesure de déployer à notre place. L’enjeu, pour nos sociétés, n’est donc pas de théoriser une hypothétique fin du travail, mais bien de permettre à chacun de développer au plus vite ces « soft skills » …que les robots nous envient.

 

Flexibilité et formation doivent aller de pair

Pour Nicolas Bouzou, il est particulièrement contreproductif de penser que le chômage est dû à l’innovation technologique. Surtout quand cela nous empêche de nous concentrer sur l’identification des disfonctionnements internes du marché du travail, particulièrement en France : faillite opérationnelle de la formation, rigidité chronique du marché du travail et politisation sclérosante de l’économie. En conséquence, malgré une hausse durable des intentions d’embauche du côté des employeurs, l’inadéquation entre offre et demande reste criante.

Concernant la formation, il faut opérer une distinction cruciale entre la formation initiale et la formation continue, à l’aune de la transformation numérique. Quand la formation continue doit permettre l’actualisation des compétences tout au long de la trajectoire professionnelle, la formation initiale doit, elle, « apprendre à apprendre ». En d’autres termes, la première doit rendre possible la seconde, à l’heure où l’obsolescence des compétences n’a jamais été plus courte.

L’avenir n’appartient plus aux spécialistes stricto sensu, mais à ceux qui seront capable de continuer à apprendre tout au long de la vie, et donc de développer les compétences spécifiques au moment opportun, dans un environnement bien compris.

 

Réhabiliter le progrès comme finalité de l’innovation

Et les entreprises dans tout ça ? Elles ne sont pas exemptes de responsabilité, loin de là ! Alors que la course mondiale à l’innovation et à l’attractivité met désormais en compétition les Etats entre eux, d’une part, et les entreprises entre elles, d’autre part, le changement est inéluctable.

Dans les organisations, il faut s’adapter en premier lieu à la complexification croissante de l’environnement économique. Ainsi, depuis 1955, cette complexité – qui prend en compte les normes, les lois, etc – a été multipliée par six ! Les entreprises, elles, ont réagi en complexifiant leurs process internes (réunions, reporting, etc), qui ont été multipliés par… 30.

Des structures internes souvent trop rigides pour répondre efficacement aux défis de la transformation numérique et aux nouvelles attentes des salariés. Même si une forme de verticalité doit perdurer pour guider la performance, les entreprises doivent rechercher la simplification et l’agilité.

Autre piste possible pointée par Nicolas Bouzou, la réintroduction du sens autour du concept d’innovation. Comme le souligne Etienne Klein, philosophe des Sciences, le terme « innovation » s’est peu à peu substitué, dans le langage usuel, au terme de « progrès » : là où le progrès du Siècle des Lumières visait l’amélioration de la condition humaine, l’innovation, telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui, se contenterait de créer de nouveaux produits et de les vendre, en toute déconnexion avec la recherche de sens.

D’où l’importance cardinale du discours des hommes politiques, des penseurs, mais aussi des dirigeants et des managers·euses d’entreprise, pour s’efforcer de rétablir le lien entre progrès et innovation et ainsi réinsuffler du sens. « L’homme doit dès maintenant apprendre à utiliser l’intelligence artificielle pour améliorer le monde, fin ultime de l’innovation », estime ainsi Nicolas Bouzou.

 

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès et directeur d’études au sein du MBA Law & Management de l’Université de Paris II Assas. Son dernier livre « Le travail est l’avenir de l’homme », paru en septembre 2017 aux Editions de l’Observatoire, s’intéresse aux mutations du monde du travail et au système de formation en France.

 

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