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« Notre système éducatif doit encourager le développement des soft skills »

ENTRETIEN. Véhicules autonomes, intelligence artificielle, biotechnologies… des transformations majeures sont en cours dans tous les secteurs d’activité. Face à ces bouleversements, des fractures sociales, économiques et politiques se creusent dans nos sociétés. Pour mieux comprendre ce qui se joue sur le marché du travail, nous avons recueilli le point de vue de 3 experts.

Pour Olivier Galland, sociologue et Directeur de recherche au CNRS, la fracture qui clive la jeunesse d’aujourd’hui en matière d’accès au marché du travail est sans doute la plus préoccupante pour le devenir de notre société. Alors qu’en mars 2017, le chômage des jeunes de moins de 25 ans s’établissait à 23,7% en France – contre un peu plus de 9% pour l’ensemble de la population active – toute une frange de la jeune génération fait face à de grandes difficultés liées à l’absence de diplôme et de formation adéquate.

Une fracture économique et sociale au cœur des discussions cette année, lors de l’édition 2018 du Forum de Davos. Avec un marché du travail fermé aux outsiders et une proportion importante de jeunes non-diplômés de plus en plus en marge de l’emploi, quelles solutions doit-on mettre en place ? Quelles mesures prendre au niveau du système éducatif et sur le marché du travail ? Olivier Galland nous livre son analyse.

HReview. Comment définir le clivage qui caractérise la jeunesse en âge d’accéder au marché du travail ?

Olivier Galland. Ce qui me frappe immédiatement, c’est le caractère extrêmement marqué de ce clivage, construit autour du niveau de diplôme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les études du Centre d’étude et de recherche sur les qualifications (Céreq), 50% des jeunes sans diplôme n’ont pas trouvé d’emploi trois ans après leur sortie du système éducatif. Pour les jeunes actifs dans leur globalité, cette proportion tombe à un sur cinq.

Ce qui est particulièrement préoccupant est que l’écart entre ces jeunes et ceux possédant un diplôme de l’enseignement supérieur ne fait que s’accroitre. Les jeunes ayant obtenu un niveau Master ont certes été touchés par la crise économique, mais dans des proportions moins importantes, et leur situation s’est améliorée désormais, au contraire des jeunes sans diplôme ou ne possédant au plus qu’un brevet des collèges (14% en 2014).

Ce clivage semble trouver sa source très en amont dans le parcours éducatif des jeunes. En effet, d’après les derniers résultats de l’enquête PISA (2015), le système français est particulièrement dichotomique, entre bons et mauvais élèves, et plus inégalitaire que la plupart des pays de l’OCDE.

Enfin, la transformation du marché du travail et des secteurs d’activité contribue également à creuser cette fracture au sein de notre jeunesse. Alors que le secteur des services s’est développé au détriment des secteurs industriels, les emplois faiblement qualifiés sont de moins en moins nombreux sur le marché du travail. Il est donc plus que jamais nécessaire de détenir un diplôme pour trouver un emploi.

HReview. Comment œuvrer à la réduction de ces inégalités et créer les conditions d’un avenir partagé par tous ?

Olivier Galland. En ce qui concerne le système éducatif, il est troublant de constater que les performances des jeunes français restent étroitement liées à leur environnement socio-culturel, dans des proportions plus importantes que la plupart des pays. C’est donc là un premier élément important à prendre en compte.

Par ailleurs, il me semble que le système éducatif français aurait tout à gagner à mener une transformation en profondeur, tant en matière de méthodes pédagogiques que de contenus. Il faut sortir d’un carcan par trop traditionnel et qui n’est, à l’évidence, plus en capacité d’amener une proportion suffisante de jeunes à un niveau de compréhension minimal !

Une autre piste intéressante, selon moi, consiste à développer les compétences non-cognitives. Plusieurs études récentes attestent que ces compétences, qu’on appelle aussi les « soft skills », sont parfois plus déterminantes que les compétences cognitives dans la réussite et l’insertion professionnelle… et aussi de plus en plus demandées par les employeurs.

S’agissant du marché du travail en lui-même, les économistes explorent actuellement des pistes alternatives. L’Italie a, par exemple, mis en place un nouveau type de contrat de travail, dont les droits se renforcent au fur et à mesure que les personnes avancent dans l’emploi. C’est tout le contraire du marché du travail français où l’on a, d’un côté, les insiders, qui bénéficient de statuts très protecteurs, et de l’autre côté, des outsiders, qui font face à une forme de précarité.

Malgré un relatif consensus sur la flexibilisation nécessaire du marché du travail, toute mesure implique forcément un choix politique difficile. Pour moi, il est absolument primordial de s’interroger sur la manière de mieux répartir cette flexibilité entre les générations. Alors que pour l’heure, ce sont majoritairement les jeunes et les immigrés qui en portent le poids, un système où chacun des actifs en prendrait une juste part ne serait-il pas plus équitable ? Dans le cas de la mise en place d’un tel modèle, la clé serait alors le renforcement de la protection et de l’accompagnement des personnes sans emploi.

Olivier Galland, sociologue, directeur de recherche au CNRS, dirige le Groupe des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (Université Paris IV et CNRS). Il est spécialiste des questions de jeunesse. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur cette thématique, dont « La Machine à Trier » aux Editions Eyrolles, en collaboration avec Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et André Zylberberg.

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