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« Remettons les besoins des actifs au cœur de la formation ! »

ENTRETIEN. Véhicules autonomes, intelligence artificielle, biotechnologies… des transformations majeures sont en cours dans tous les secteurs d’activité. Face à ces bouleversements, des fractures sociales, économiques et politiques se creusent dans nos sociétés. Pour mieux comprendre ce qui se joue sur le marché du travail, nous avons recueilli le point de vue de 3 experts.

Jamais le cycle de vie d’une compétence n’aura été aussi court. Dans ce contexte d’accélération, les besoins en compétences changent plus rapidement que jamais, créant une fracture entre ceux qui disposent de la capacité à s’adapter et… ceux qui ne le peuvent pas. Une tendance au clivage que l’on observe plus largement, à la faveur de la révolution digitale, dans les sphères sociales, politiques et économiques. Ces fractures qui se creusent seront d’ailleurs au cœur de l’édition 2018 du Forum économique de Davos.

Comment construire un marché du travail plus inclusif ? Quelles sont les causes de la fracture des compétences que l’on observe aujourd’hui ? Que faut-il changer dans le système de formation actuel en France ? Pour nous éclairer sur ces questions complexes, nous avons rencontré l’économiste et essayiste Nicolas Bouzou.

HReview. Comment analysez-vous la fracture des compétences qui caractérise le marché du travail aujourd’hui ?

Nicolas Bouzou. En matière de marché du travail, un constat fondamental fait aujourd’hui consensus : la révolution du numérique, de la robotique, des biotechnologies et des nanotechnologies (NBIC) va faire disparaître certains métiers et en créer d’autres. Et pour les métiers amenés malgré tout à perdurer, la transformation – bien souvent déjà entamée – s’annonce profonde.

Au cœur de ces mutations, les compétences des actifs sont en première ligne. Alors que la demande connaît une évolution particulièrement rapide, nos sociétés ont dû mal à s’adapter et à faire évoluer l’offre au même rythme. Résultat : les actifs se divisent désormais entre deux catégories. Il y a ceux qui peuvent actualiser leurs compétences en permanence et restent donc employables, et, il y a les autres.

Les actifs eux-mêmes sont victimes d’une autre forme de clivage : actuellement, l’offre de formation est essentiellement destinée aux salariés, alors qu’il est crucial d’en faciliter l’accès aux indépendants, aux artisans, aux demandeurs d’emplois et aux professions libérales.

Il est tout à fait incompréhensible que les quelque 9% de la population active qui sont au chômage soient aussi ceux qui ont le moins facilement accès à la formation professionnelle, au contraire des cadres en entreprise !

HReview. Dans ce contexte, comment préparer dès maintenant les femmes et les hommes au monde au demain ?

Nicolas Bouzou. Les conditions de mise en œuvre des réformes annoncées par le gouvernement actuel sur la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance chômage auront évidemment une importance cruciale, de nature à changer la société française en profondeur. Mais il ne faut pas oublier de faire évoluer le contenu des formations disponibles, aujourd’hui trop peu adaptées à ce nouveau monde qui émerge.

Il devient stratégique, si ce n’est crucial, d’anticiper les besoins et les transformations en la matière ! Par exemple, pour des dizaines de milliers de conducteurs de bus, de taxis, de camions, l’arrivée des véhicules autonomes annonce une véritable révolution. Et on ne peut pas dire que les rapports et études se penchant sur ses nombreux impacts manquent. Voilà un cas concret qui illustre la nécessité d’une meilleure anticipation, ne serait-ce que d’un point de vue économique. En effet, il s’avèrera toujours moins coûteux d’y remédier maintenant plutôt que de remettre cette question à plus tard.

L’autre transition à mener d’urgence, selon moi, c’est celle du glissement d’un système centré, comme c’est le cas aujourd’hui, sur l’emploi, à un système centré sur les compétences. Sur cette question, les partenaires sociaux ont d’ailleurs un rôle central à jouer. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il est impératif de donner plus de pouvoir aux salariés et aux actifs dans le choix des formations à mener. Pour être efficace, notre système de formation doit évoluer vers les besoins des individus et ne pas se concentrer uniquement sur les besoins des entreprises.

 

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès et directeur d’études au sein du MBA Law & Management de l’Université de Paris II Assas. Son dernier livre « Le travail est l’avenir de l’homme », paru en septembre 2017 aux Editions de l’Observatoire, s’intéresse aux mutations du monde du travail et au système de formation en France.

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