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#MotsDeLaCrise : consommer moins, consommer mieux… mais surtout moins cher

Les Mots de la criseAvant d’être éprouvée à travers les maux qu’elle produit, la crise est d’abord vécue par les Français à travers ses mots. Denis Muzet, fondateur de l’Institut Médiascopie, analyse leur impact sur nos esprits dans Les mots de la crise – De la crise mondiale à la crise de soi (éditions Eyrolles, collection « La nouvelle société de l’emploi » de la Fondation ManpowerGroup).

En exclusivité pour l’Atelier de l’emploi, Denis Muzet décrypte chaque jour un mot ou une expression caractéristique de l’état d’esprit des Français dans la crise et des réponses qui sont attendues de la part du pouvoir politique. Après avoir analysé les réactions au « made in France », de la « compétitivité » ou encore de la « croissance », il se penche aujourd’hui sur les mots liés à la crise du pouvoir d’achat : « consommer moins » et « consommer mieux ».

La première des peurs et insécurités, c’est la baisse du pouvoir d’achat

Denis MuzetSur cette thématique, voici l’enseignement qu’il tire de son enquête auprès des Français, qui placent la « baisse du pouvoir d’achat » au sommet des « peurs et insécurités » qui se développent dans la crise :

La crise du pouvoir d’achat est la crise de “ce qui reste” une fois les frais fixes déduits. Et si l’on parle beaucoup du “consommer mieux”, qui implique de faire des choix et de bannir tout superflu, c’est malgré tout le “consommer moins cher” qui continue de largement dominer les débats

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C’est d’abord la baisse du pouvoir d’achat qui inquiète le plus les Français à titre  personnel, particulièrement les plus modestes d’entre eux. Cette angoisse des fins de mois difficiles s’ancre dans ce que nous appellerons les “essentiels” : l’essence d’abord, dont la hausse du prix reste la plus inquiétante des menaces sur le niveau de vie ; la facture d’électricité, la facture de chauffage et le coût du “plein de courses”, ensuite ; mais aussi – et c’est plus nouveau – la hausse des tarifs des mutuelles et la crainte du déremboursement des médicaments.

La santé menacée

Dans nos sociétés fragilisées par la crise, c’est le corps qui souffre : les atteintes à la santé et à la sécurité physique des personnes s’exacerbent. Le coût de la santé rejoint ainsi le coût du logement au triste palmarès des menaces ; et le renoncement aux soins est devenu une calamité si banale qu’il est l’un des mots les plus menaçants de tous, non loin du chômage (…).

MédicamentsDans ce contexte, la généralisation de la complémentaire santé pour tous les salariés, prévue par la réforme du marché du travail, rassurera. Aujourd’hui, seuls 65,3 % des salariés sont couverts, 18,1 % ne sont couverts que via une complémentaire individuelle – qu’ils doivent payer – et 2,3 % salariés du privé – soit 414 000 personnes – ne sont pas couvertes du tout.

« Y a cinq ans, ça m’arrivait jamais de parler du prix des légumes »

Ces mots, qui touchent l’individu au plus près, matérialisent la montée d’une consommation à deux vitesses, observée dans nos enquêtes précédentes : les “indispensables” – se nourrir, se loger, se chauffer, se soigner et payer les factures essentielles – et ce qui est devenu accessoire, mais qui ne devrait pas l’être – les vacances, les “plaisirs”, qui s’éloignent du quotidien et des projets des Français. Cette crise du pouvoir d’achat est fondamentalement une crise de “ce qui reste” une fois les frais fixes déduits. La consommation devient prosaïque et exclut de plus en plus la part de rêve : “La vie, c’est travailler – quand on travaille – explique une secrétaire de mairie dans les Yvelines, pour payer son loyer, ses courses, ses factures, élever ses enfants. C’est pas aller en vacances, c’est pas de voiture, ou bien on n’en change pas.”.

Baisse de la consommation rime ici avec hausse des prix. Au quotidien, c’est l’inflation qui est mise en avant. Les personnes interrogées disent que ce sujet hante leurs conversations : “y’a cinq ans, ça m’arrivait jamais de parler du prix des légumes, maintenant, c’est souvent que j’ai des conversations sur le prix de la baguette ! On sent vraiment qu’il y a des problèmes de consommation courante dans toutes les tranches sociales”, témoigne une femme à Paris. “Je ne me plains pas trop, je suis quand même propriétaire (…), mais pour tout le reste je me serre vraiment la ceinture, confie une femme quinquagénaire à Gujan-Mestras. Même la voiture, j’économise au maximum l’essence. Même pour manger, il faut compter. ”.

Les réponses de la société : du tous ensemble au repli sur soi

Consommer intelligent, c’est moins cher

Les habitudes de consommation sont également modifiées par le caractère durable de la crise économique : si consommer moins, consommer mieux ou acheter français rassurent bien davantage que le simple fait de consommer, cette tendance idéale doit être relativisée à l’aune du “consommer moins cher” (…).

De fait, deux tendances lourdes s’agrègent et convergent, chez le consommateur, vers l’idée qu’il faut désormais “faire attention à ce que l’on consomme” : un “consommer mieux” qui implique de faire des choix et de bannir tout superflu ; et surtout un “consommer moins cher” qui conduit à privilégier les marques distributeur ou les promotions (…), ce que d’autres appellent un “consommer intelligent” : “J’en avais marre de faire des caddies à cent quarante euros en n’ayant pas grand chose. J’essaie de consommer plus intelligent : comparer les prix, regarder les étiquettes, être attentive à ce que je mange, pour les fruits et légumes je prends des produits français, pas espagnols. (…)” (une trentenaire en région parisienne).

Les parents se sacrifient pour le confort de leurs enfants

Martin et Ludovic

Cependant, il reste un “domaine réservé” sur lequel on compte moins, celui de sa progéniture. Animés par le désir que leurs enfants aient une vie plus heureuse et confortable que la leur, la plupart des parents préfèrent se restreindre plutôt que de “priver”’ leurs enfants quant à leur avenir, voire quant à leur “statut social” dans la cour de récréation : “moi j’ai arrêté les magazines et je n’ai pas pris de vacances depuis trois ans. Mais j’ai un fils de dix sept ans, s’il y en a un de nous deux qui consomme, c’est lui !”, témoigne une mère de famille. J’essaie de ne pas restreindre le budget de mes enfants, confirme un employé de boulangerie à Faches-Thumesnil dans le Nord, mon fils va au collège et s’il ne porte pas des vêtements de marque, il sera mal vu…”.

La nouvelle donne : la vie au jour le jour

« Au total, la vision générale qui se dessine dénote une forte tendance au court-termisme ; fatalistes, se sentant impuissants face aux conditions économiques de leur existence, nos concitoyens s’habituent de plus en plus à vivre au jour le jour. Pour ceux qui doivent renoncer à leurs projets comme pour ceux qui ont conservé un niveau de vie confortable, la sombre incertitude de l’avenir impose une immédiateté nouvelle ; on a le nez dans le brouillard, faute d’horizon prometteur : “Je sais pas, on vit un peu au jour le jour en ce moment, confie un ingénieur en banlieue parisienne. J’en suis venu à me dire : faut que je profite davantage. Je ne sais pas comment l’avenir sera fait, et comme on ne vit qu’une fois, autant en profiter !”.

“Avant, j’arrivais à me projeter dans l’avenir, témoigne une femme de 44 ans, maintenant j’ai plus de mal, je ne vois pas comment ça va devenir ; les projets que j’ai pu faire dans le passé, maintenant je ne les ai plus : des trucs comme louer une maison, m’acheter une voiture, je sais que dans l’immédiat ça ne va pas être possible”. »

BrouillardCette « certitude de l’incertitude », se retrouve dans la vie des entreprises, qui doivent revoir en profondeur leur organisation pour s’y adapter. Mais dans le quotidien des Français, ces difficultés couplées à l’absence d’horizon meilleur  – aux yeux de nombre d’entre eux – sont particulièrement angoissantes.

Toutefois, les jeunes générations semblent avoir déjà intégré cette nouvelle donne, et s’en accommoder. Denis Muzet précise en effet que les 18-29 ans « accueillent la perspective de vivre au jour le jour (5,6/10 pour cette tranche d’âge) avec moins d’appréhension que les 30-49 ans (6,5/10) ou les plus de 50 ans (6,8/10). » Question d’habitude ? De pragmatisme ?

Les mots de la crise, de la récession et des régressions : le mapping

Crise, récession, régression : mapping issu de "Les mots de la crise"
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Retrouvez tous les « Mots de la crise » analysés par Denis Muzet pour l’Atelier de l’emploi, illustrés par des images et commentés en vidéo par Denis Muzet.

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