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#Motsdelacrise : 6- Solidarité

Les mots de la criseAvant d’être éprouvée à travers les maux qu’elle produit, la crise est d’abord vécue par les Français à travers ses mots. Denis Muzet, fondateur de l’Institut Médiascopie, analyse leur impact sur nos esprits dans Les mots de la crise – De la crise mondiale à la crise de soi (éditions Eyrolles, collection « La nouvelle société de l’emploi » de la Fondation ManpowerGroup).

En exclusivité pour l’Atelier de l’emploi, il décrypte chaque jour un mot ou une expression caractéristique de l’état d’esprit des Français dans la crise, des réponses de la société et du pouvoir politique. Après avoir analysé la perception du « made in France », de l’« effort juste », de la « compétitivité », de la « croissance » et de la « mondialisation », Denis Muzet se penche aujourd’hui sur la « solidarité ». Son constat est sans appel : l’élan de solidarité qui né de la “catastrophe” de la crise de 2008 a vite laissé place à l’individualisme. Alors qu’il fallait initialement se protéger contre une crise vécue comme venant de l’extérieur, les Français se replient sur eux-même aujourd’hui – face à une crise désormais perçue comme un mal endémique, qui nous rongerait de l’intérieur.

« La solidarité, c’est entre gens qu’on connaît »

« La solidarité, c’est entre les proches, entre gens qu’on connaît : aujourd’hui c’est moi qui paie, demain ça sera toi. C’est la famille, parfois les amis, deux ou trois personnes, c’est un cercle fermé. Mais en règle générale, on est de plus en plus dans l’individualisme. »

Le témoignage de cette employée municipale, recueilli par Denis Muzet, est révélateur du « recroquevillement » qui prévaut aujourd’hui.  Dans la précédente vague de son étude, Denis Muzet avait observé que, en 2008 et 2009, « la violence d’une crise soudaine a[vait] favorisé une réaction collective d’entraide, un peu comme ce qu’on observe à la suite d’une catastrophe naturelle ». Mais puisque la crise a perduré pour se muer en une « régression économique et sociale » profonde, la tendance est au repli sur soi.

Les réponses de la société : du tous ensemble au repli sur soi

La solidarité est devenue un luxe

Dans une tribune au Huffington Post, Denis Muzet insiste :

« Le discours des Français a changé. Il est passé d’une tonalité du type « solidaires car tout le monde souffre » à une autre tonalité : « chacun chez soi, concentré sur ce qu’il a car il a peur de le perdre ». »

Aujourd’hui, les Français se désolidarisent, sont de plus en plus individualistes et repliés sur eux-mêmes-mêmes. Ce basculement s’observe dans l’emploi d’un vocabulaire toujours plus concentré sur la sphère privée et domestique : « la famille », « le chez-soi », « préférer le “fait-maison” au “prêt-à-manger” » sont désormais parmi les expressions les plus rassurantes.

Le « constat généralisé d’une fragilisation du lien social, sous les coups de boutoir d’une individualisation croissante, est répété en boucle par les personnes interrogées », alerte Denis Muzet : des termes comme « solidarité » ou « prendre soin des autres » sont perçus comme secondaires. Les témoignages abondent en ce sens, même lorsqu’il s’agit d’aborder le troc, pratique pourtant basée sur l’échange et la collaboration :

« De manière très sporadique, y’a une solidarité qui existe encore, mais on est très individualiste, on regarde tout le temps à l’échelon qui nous concerne.
Jeune replié sur lui-mêmeL’individualisme a pris le dessus. On se renferme sur les gens qui nous ressemblent et au plus près de nous, pour finir vers soi-même ! »

« La crise a relancé le troc, constate un créateur de meubles dans l’Hérault ; et le troc, c’est à la fois être individualiste sur l’argent qu’on gagne et, en même temps, s’ouvrir aux autres pour les échanges de services. »

Chacun chez soi

« La solidarité et la coopération resteraient perçues comme une belle idée en période favorable, mais comme un luxe quand la conjoncture se dégrade », résume le sociologue. Et ce qui est vrai à l’échelle individuelle l’est aussi au niveau macroéconomique : le salut passerait-il par un nouvel élan du projet européen ? Pas vraiment : les propositions solidarité avec les pays du Sud de l’Europe, intégration solidaire en Europe ou solidarité entre les pays de la zone euro inquiètent plus qu’elles ne rassurent. Dans une « mondialisation » perçue comme inquiétante, l’illusion du repli sur soi vaut à toutes les échelles.

Retrouvez tous les « mots de la crise » analysés par Denis Muzet, illustrés et commentés par lui en vidéo

Les autres mots et leurs billets :

 

 

> Image de « une » issue du flickstream de tangi_bertin (sous licence CC)
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