La Bretagne, ses champs à perte de vue, ses élevages de porcs, son industrie agroalimentaire… cette image d’Epinal a vécu. La région a changé : en quelques décennies, elle est aussi devenue une terre du numérique. La Bretagne est un modèle de politique industrielle : elle a su transformer des territoires en souffrance en véritables leaders de l’innovation technologique, reconnus à l’international. Chronique d’une success story.
« La crise qui vient » frappe le pays du plein-emploi
Aujourd’hui, l’emploi est en crise en Bretagne, les grandes difficultés rencontrées par des géants comme PSA ou Doux sont révélatrices. Avec 8,7% de demandeurs d’emploi, la Bretagne se situe au-dessous de la moyenne nationale. Elle s’en sort plus honorablement, mais jusqu’à quand ? En Bretagne, le chômage progresse aujourd’hui deux fois plus vite qu’ailleurs. La région a bien résisté à la crise, mais celle-ci semble en train de la rattraper.
En un an, Pôle emploi a vu le nombre d’inscrits sur ses listes augmenter de 22,6 %, soit la quatrième plus forte hausse au niveau national ! Même Vitré, « pays du plein emploi », est durement touché. La crise qui vient prophétisée par l’économiste Laurent Davezies serait-elle en train de devenir une réalité ?
Géographie de l’emploi : la Bretagne, colosse aux pieds d’argile
La Bretagne a longtemps été une région très attractive. Au cours des années 2000, elle a gagné plus de 160 000 habitants, parmi lesquels de nombreux actifs qualifiés. Trois forces expliquaient ce dynamisme :
- L’industrie, notamment l’agro-alimentaire qui représentait à lui seul un tiers des emplois.
- Le secteur tertiaire, porté par l’essor des services marchands, créant une forte demande en nouveaux métiers : professions informatiques, études techniques, etc.
- Le BTP, qui a connu un boom incroyable.
La Bretagne est une terre de contrastes. Le sud et l’est ont été les deux grands bénéficiaires du dynamisme pré-crise, le bassin rennais et le littoral morbihannais ont attiré le plus grand nombre d’actifs, et avec eux une forte croissance de l’économie résidentielle et des services aux entreprises. On ne peut pas en dire autant de l’ouest, moins dynamique sur le plan démographique (vieillissement de la population) comme sur celui de l’emploi : son économie reposait sur des activités industrielles traditionnelles (agroalimentaire, navale, électrique et électronique), en difficulté aujourd’hui.
Les bassins qui ont le plus souffert de la crise sont justement ceux dont l’économie était dominée par l’industrie, surtout au nord et à l’est, marqués par une forte spécialisation industrielle (Lannion, Carhaix). La force de la Bretagne allait devenir sa faiblesse… Si un redressement prochain de l’industrie est probable, il sera trop timide pour inverser la tendance à la baisse de l’emploi.
Les régions du sud, davantage tournées vers le tertiaire et à l’activité plus diversifiée, ont été plutôt épargnées. Ce sont désormais les services qui tirent l’économie bretonne, ils représentent 63% des besoins en main d’œuvre – une proportion qui ne cesse d’augmenter.
La crise a accéléré la reconfiguration du paysage régional tout entier, d’une économie marquée par le dynamisme industriel, à une économie dominée par les services, plus fragile. Mais la Bretagne ne l’a pas attendue pour préparer l’avenir : c’est dès les années 50 qu’elle identifié ses faiblesses pour amorcer une véritable politique de revitalisation.
JPG, MPG, MP3 : des inventions made in Breizh
Aujourd’hui, le numérique est un puissant levier de création d’emploi. Avec plus de 42 000 emplois dans ce domaine, la Bretagne est le deuxième pôle français, elle a acquis une renommée mondiale.
Saviez-vous que c’est en Bretagne que sont nés les célèbres formats JPG, MPG, et MP3 ? La réussite du numérique breton trouve son origine en 1959, avec l’implantation à Lannion du CNET (Centre National d’Études et Recherche en Télécommunications), devenu en 2000 France Télécom R&D. Cette décision est issue du mouvement de revendications économiques breton, qui donna naissance au CELIB (Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons), qui a initié un programme d’action régionale visant la revitalisation d’une Bretagne en perte de vitesse. L’identité bretonne est à l’origine de cette reconversion, poussée par Pierre Marzin, directeur du CNET et originaire de Lannion, ainsi que René Pleven, président du CELIB, plusieurs fois ministre, et originaire lui-aussi des Côtes d’Armor. Ce mouvement a permis à l’industrie électronique de fleurir dans la région, tout comme les activités tertiaires : afflux de fournisseurs et de nouveaux services, implantation de laboratoires, d’usines… Suivront en 1966 l’installation du Centre de Météorologie Spatiale de Lannion, puis dans les années 1980, les réseaux numériques ATM… La « vocation électronique » de la Bretagne était née.
Le numérique breton doit tout à la politique de décentralisation, les grands groupes français (France Télécom, Alcatel, Thales, Sagem…) ont représenté l’essentiel des emplois de la filière jusque dans les années 1980. Mais ces moteurs ont été éphémères : dépendants de l’Etat qui s’est progressivement désengagé, fragilisés par la concurrence dans un contexte de mondialisation naissante, dépassés par les entreprises de la Silicon Valley quand vint l’avènement de l’Internet… Aujourd’hui, beaucoup de ces groupes sont en restructuration, ou se sont internationalisés : la « locomotive publique » n’a plus vraiment de prise, il faut inventer autre chose.
Renaissance et mutations du numérique breton
Prenant la relève, c’est l’apparition d’un tissu très dense de PME – dont beaucoup ont été créées par des salariés des grands groupes qui s’étaient installés sur le territoire – caractérisées par une forte culture de l’innovation, qui a permis le renouveau du numérique breton. Aujourd’hui, près de 800 entreprises de moins de 20 salariés font vivre la filière. Grâce à ces jeunes pousses rassemblées notamment dans des pôles de compétitivité où la recherche est en ébullition (3500 chercheurs de haut niveau sur le territoire), le numérique breton a progressé de manière spectaculaire : entre 2005 et 2010, le secteur a connu une croissance de plus de 25% ! Moins impactées par la crise, les PME ont créé plus de la moitié (52%) des emplois du bassin en 2012. Résultat : en dix ans, la Bretagne est devenue un leader des réseaux très haut débit, de la TNT et de la 3D.
Aujourd’hui, les technopoles incarnent cette renaissance numérique de la Bretagne. Emanation de France Télécom-Orange, le pôle Images & Réseaux regroupe les acteurs de l’innovation : universités, centres de R&D, PME, entreprises… Multipliant les partenariats, il facilite des projets de R&D, avec un véritable effet multiplicateur sur l’emploi : en son sein, l’Institut de recherche B-Com « doit générer la création de 2 000 emplois directs », assure Vincent Marcatté qui le préside. Autre technopole, Rennes Atalante rassemble, lui, 80 % d’ingénieurs et de techniciens. Les entreprises de la filière numérique représentent 76 % de ses emplois, et ont contribué à hauteur de 76 % de la croissance d’emplois en 2011. Rennes Atalante crée environ 700 emplois par an et en compte aujourd’hui 20 000.
Ce technopole le montre, c’est grâce au numérique que Rennes a su préserver son dynamisme. Avec un taux de chômage de 7,9 %, la capitale bretonne s’en sort très honorablement aujourd’hui. Elle est un moteur d’emploi durable en recrutant surtout pour des postes permanents, souvent liés aux NTIC (ingénieurs, cadres études R&D). Le contraste est fort avec l’ensemble de la région, où près de la moitié (46%) des emplois sont saisonniers…
Les bassins les mieux préservés de Bretagne sont ceux qui se sont lancés dans la révolution numérique. Puissants à Rennes ou Lannion, ils ne sont pas légion pour autant. Ces pôles sauront-ils irriguer de leur dynamisme la région tout entière ?
La suite :
- « Voyage au pays des synergies : numérique et redressement productif en Bretagne »
- Le débat mardi 19 février à Rennes : « Se réapproprier l’ambition numérique : la Bretagne dessine l’emploi de demain »
Pour en savoir + :
- La Bretagne face à la crise (Frédéric Pellet, INSEE)
- La Bretagne face aux mutations économiques (David Levy, Octant/INSEE)
- Innovation : la Bretagne tire son épingle du jeu (Frédéric Pellet, Octant/INSEE)
- Enquête « Besoins de main d’oeuvre » 2012 (CREDOC/Pôle Emploi)
- Vocation électronique de la Bretagne : première séance (AHTI – Association pour l’histoire des télécommunications et de l’informatique)
- Vocation électronique de la Bretagne : vidéo INA (reportage réalisé par Louis-Marie Cohic)
- Bretagne : une locomotive nommée Orange (Stanislas du Guerny, L’Usine Nouvelle)
- Site web du technopole Image & Réseaux
- Site web du technopole Rennes Atalante
- Bilan emploi 2012 et perspectives, par Rennes Atalante