ENTRETIEN. Plus des deux tiers des Français n’ont pas confiance dans les institutions bancaires, selon un sondage Ipsos (2014). Et si on changeait la banque ? C’est la question que pose Benoît Legrand, dirigeant d’ING en France dans son dernier ouvrage.
« Changeons la banque », c’est d’ailleurs le titre du livre de Benoît Legrand, paru aux éditions du Cherche Midi, au printemps dernier. Alors que la révolution digitale continue de contraindre des secteurs entiers à transformer leur modèle, comment les métiers de la banque se redéfinissent-ils à l’heure de l’automatisation, quels sont les recrutements stratégiques et les mutations de la relation client ? Benoît Legrand répond aux questions de l’Atelier de l’Emploi.
Pourquoi autonomiser et former ses clients
Atelier de l’Emploi. Comment se positionne ING aujourd’hui face aux acteurs classiques de la Banque, mais aussi aux nouveaux entrants sur le secteur ?
Benoît Legrand. Depuis quinze ans que nous sommes en France, nous accueillons toujours les nouveaux entrants à bras ouverts car nous sommes toujours restés dans une démarche de disruption, et pas de préservation de la tradition ! Nous continuons à casser les codes et à faire bouger le monde de la banque. C’est ça qui nous fait avancer, y compris en souligner les imperfections et les marges de progrès du secteur : quand on voit que 70% des Français disent qu’ils ne sont pas satisfaits de leurs banques et que, en fin de compte, seuls 3% en changent, on se dit qu’il y a un vrai problème autour de la mobilité bancaire en France ! Imaginez : c’est trois fois moins que la moyenne européenne.
Dans votre livre, vous décrivez vos clients comme « autonomes » et « 100% connectés ». Quelle relation client cela implique-t-il ?
Certes, nos clients sont plus autonomes, mais avant qu’ils le deviennent, il leur a fallu lever beaucoup de freins. Le premier pas vers l’indépendance, c’est déjà d’oser changer de banque. Pour l’instant, c’est là que se situe la première étape, parfois difficile à franchir, vers l’autonomie, mais cela est en train de changer. Faisons un parallèle avec le marché de la téléphonie. Remontons quelques années en arrière : les Français étaient très mécontents de leurs opérateurs, mais n’osaient pas en changer car cela leur apportait trop peu de bénéfices… et leur faisait perdre leur numéro de téléphone !
Et puis sont arrivés Free Mobile et la portabilité du numéro et, à partir de là, le mécontentement des Français s’est concrétisé… 10.5 millions d’entre eux sont passés chez Free. Il faut le savoir : à partir du moment où l’on donne l’opportunité de la mobilité, les Français la saisissent. Et je pense que si on leur donne le pouvoir changer de banque en toute simplicité et sécurité, ils le feront, et ils le feront massivement !
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Votre livre a comme sous-titre "une banque qui rend plus autonome". Mais l’autonomie, c’est une question de volonté…et de possibilité. Comment interagissez-vous avec vos clients?
Aujourd’hui, les clients qui ont fait le pas de venir chez nous sont plus d’un million. Ce sont des gens qui ont vraiment pris la décision de prendre leur avenir, et leurs finances, en main. Alors, certes, ils sont sans doute un peu différents, un peu plus courageux avant même d’arriver chez nous, mais dès qu’ils sont là, nous leur donnons tous les moyens et les outils pour rester autonomes, que ce soit via des applications ou des services téléphoniques qui répondent à leurs besoins.
Nous faisons en sorte que l’offre bancaire soit la plus simple et la plus claire possible, de manière à ce qu’ils comprennent comment fonctionne la banque et qu’ils sachent toujours que l’argent qu’ils ont chez nous leur appartient. L’objectif, c’est qu’ils maîtrisent de mieux en mieux leurs finances, y compris en ligne : nous mettons à leur service des moyens concrets comme le ING web café, un espace de discussion en ligne, et y diffusons une culture financière pour les aider à se former comme ils le souhaitent. Au final, c’est avec ces clients-là que nous co-créons nos produits. Et cette co-création est déjà une réalité chez nous depuis 2009 !
Récemment, nous avons fait une enquête qui montrait que les utilisateurs de banque mobile avaient gagné en autonomie dans la gestion de leur finance : pour 41% des Français utilisant la banque mobile, et pensent que cette dernière leur a permis d’améliorer la gestion de leurs finances. Plus précisément, pour 15% d’être moins souvent à découvert, pour 14% de ne plus manquer une échéance et pour 11% d’épargner davantage.
On le voit bien, ces utilisateurs gagnent en autonomie et en confiance vis-à-vis de la banque et de la gestion de leurs finance, et au final, à un coût diamétralement moindre. C’est ça le deal entre les clients et nous. Résultat, ils payent en moyenne, chaque année, 17 euros de frais bancaire contre 187 euros dans les banques traditionnelles. De notre côté, chaque employé ING baigne dans un environnement ouvert aux changements, à l’agilité, à l’interactivité pour être, lui aussi, dans la même culture que le client. C’est primordial : empowerment, autonomisation, mais aussi responsabilité. Au final, que ce soit du côté de l’entreprise ou du client, tout le monde va dans la direction de l’autonomisation et d’une nouvelle relation. C’est une co-responsabilité, et tout le monde y gagne !
Vers une transformation du métier du banquier
Selon vous, le secteur bancaire subit plusieurs chocs importants. Comment ces transformations vont-elles avoir un impact sur les métiers et les compétences du secteur?
Le banquier doit apprendre une chose : être beaucoup plus humble qu’il ne l’a été par le passé. Aujourd’hui, le client reprend le pouvoir sur son argent, technologie aidant, et il y a beaucoup de choses pour lesquelles on n’aura plus besoin de son banquier ! Prenons l’exemple du métier du conseiller bancaire : à court terme, il aura besoin d’être beaucoup plus proche de ses clients, de les écouter, de les comprendre et de répondre à leurs besoins plutôt que de leur vendre des produits à tout prix.
A long terme, sans doute la majorité des gens ne souhaiteront-ils plus en avoir du tout… Je sais que ce que je dis peut paraître un peu dur, mais je crois que l’Intelligence Artificielle pourra donner de meilleurs conseils, avec une réactivité imbattable. Aujourd’hui, il est humainement impossible de suivre toute l’activité financière, tous les produits, tous les fonds d’investissements… cette automatisation va se faire doucement, mais sûrement !
Cela peut paraître étonnant dans la mesure où l’un de vos chapitres s’intitule justement "Digital et humain", est-ce que ce n’est pas aussi le rôle des RH de voir comment l’humain et l’I.A pourront travailler ensemble ?
Oui, car l’enjeu de la transformation digitale n’est surtout pas dans le digital, mais dans l’humain. Toutes les entreprises veulent se digitaliser, mais ce n’est pas ça le sujet ! L’enjeu, c’est la relation développée avec le client et la place qu’on lui accorde. Je prends un ou deux exemples pour illustrer cela : si vous commandez un chéquier sur notre application mobile, on va vous demander : “ Est-ce que vous souhaitez le recevoir en recommandé, payant, ou en envoi normal, gratuit ? ” C’est votre choix. Dans une banque traditionnelle, on ne vous le demande pas et votre compte sera débité de 15 euros… et vous vous sentez berné! Là, ce n’est pas de la digitalisation, c’est une culture de la prise en considération des clients. L’enjeu de la numérisation, c’est ça : le client a pris le pouvoir ! Comment l’écouter sincèrement et comment prendre en compte ses besoins pour créer les services qui lui correspondent en utilisant la puissance des nouvelles technologies? Pour répondre à cet enjeu, l’important n’est pas d’avoir les meilleures machines, mais les meilleurs hommes et femmes !
Comment trouvez-vous les perles rares ? Aujourd’hui, vous avez un besoin croissant dans le domaine du digital, pour créer ces nouvelles expériences utilisateurs…
Selon moi, l’expérience utilisateur n’est pas forcément créée par quelqu’un qui est dans le digital. C’est avant tout un chef de produit qui a une expérience des produits bancaires, et qui va chercher à comprendre les besoins du client, en adoptant un état d’esprit d’ouverture et de co-création avec lui. Le chef de produit doit se faire le catalyseur des attentes des clients et non plus penser pouvoir seul connaître les réponses à y apporter. C’est ce genre d’attitude-là que nous cherchons et qui est primordiale dans nos recrutements : la capacité à co-créer en étant soi-même vecteur de changement, pour nous permettre de garder l’avance que nous avons.
Lire aussi : Le secteur bancaire, demain (2/2) : les 4 défis (exigeants) de la digitalisation
Vous déclarez également qu'il n'y a pas d'avenir pour les banques sans Big Data. Comment les banques doivent-elles s'en emparer, et à quelles fins ?
C’est un vrai défi. Comment intégrer l’exploitation des données de manière intelligente dans l’intérêt du client ? Et c’est d’abord un défi en termes de recrutements pour trouver les personnes capables de comprendre les données, et de faire le tri de celles qu’on utilise, et de celles qu’on n’utilise pas – ou pas encore.
Selon vous, à quoi ressemblera la banque de demain ? A la fin de votre livre, vous vous interrogez même sur la possibilité d’une disparition du métier et allez jusqu’à évoquer des « coach financier ».
Dans la banque de demain, ce « coach financier » est un peu un « coach sportif ». Imaginez que vous souhaitiez courir un marathon : votre coach est lié par vos objectifs. Il va vous aider à fixer un programme et à vous y tenir. C’est une sorte de fitness bancaire ! Et quand ça ne marche pas, soit on vire le coach, soit on se remet en cause soi-même. C’est ainsi que je vois les choses : un partenariat dans la durée et rémunéré comme tel, donc le coach est un coût fixe. L’intérêt ? Il ne va pas chercher à vous vendre des produits supplémentaires, parce qu’il n’a pas plus intérêt à vous vendre un produit d’assurance vie ING qu’un plan épargne d’une autre banque. Ce qui devra l’intéresser, c’est de vous aider à atteindre vos objectifs en matière de développement du capital et de sécurité. Ce coach pourra aussi, il faut bien le dire, être une machine !
Comment l’essor de l’intelligence artificielle va-elle avoir un impact sur l’emploi dans la banque ?
Nous allons assister à un essor des conseillers virtuels, c’est-à-dire des I.A que chacun apprendra à gérer. Franchement, il faut avoir la franchise d’admettre que l’emploi dans le secteur bancaire dans les années à venir va diminuer. Prenez l’exemple des Pays-Bas : le nombre d’agences bancaires a été divisé par 2 ces 10 dernières années mais l’emploi dans le secteur financier n’a reculé « que » de 7%. En France, il diminue de 1% ou 2% par an, lentement mais sûrement. C’est un des chocs qui nécessite une vraie transformation du secteur et de certains de ses métiers. Mais chez ING, nous sommes plutôt en développement tout en collant à ces transformations.