Le numérique détruit-il ou crée-t-il de l’emploi ? À ce débat éculé mais pas réglé, doit s’ajouter un questionnement plus fonctionnel : le numérique ne peut-il pas créer…de nouvelles politiques de l’emploi ? C’est en tout cas la question qui a été discutée lors de la 27ème conférence des « Barbares attaquent », tenue en cette fin décembre, en présence de Pierre Cahuc, économiste et chercheur au Centre de Recherche en Economie et Statistiques, Thomas Cazenave, directeur général adjoint de Pôle emploi, et Stéphanie Delestre, fondatrice et PDG de Qapa.fr, une start-up qui propose de matcher par les données compétences des candidats et offres d’emploi des entreprises.
A ce jour, 27 attaques de « barbares » ont déjà été organisées par The Family, un accélérateur de start-up, en partenariat avec l’Institut Montaigne. L’objectif de ces conférences : démontrer et comprendre comment le numérique est devenu ce levier qui change la donne, notamment dans les domaines de l’éducation, des transports, du luxe et même des RH.
Le barbare, c’est d’abord celui… qui fait bouger les choses ?
Mais tout d’abord, pourquoi « barbares » ? En référence à la Grèce Antique puis à l’Empire romain, le terme « barbare », mêlant mépris et peur, désigne celui qui n’appartient pas à la sphère culturelle, notamment parce qu’il parle une autre langue. Mais le barbare est aussi celui qui s’assimile, voire s’assujettit, aux règles de l’Empire… tout en faisant évoluer les institutions. Dans le contexte actuel de l’économie numérique, les barbares sont :
« des milliers de start-ups et les nouveaux géants industriels – Google, Amazon, Facebook, Apple – [qui] s’attaquent à tous les secteurs de l’économie. Ils font levier des outils numériques pour créer de nouveaux modèles d’affaires et neutraliser les entreprises de l’ancienne économie ».
A coup d’idées et technologies de rupture, ils « disruptent » des pans entiers de l’économie, mais aussi des institutions publiques. Sans s’assujettir à leurs règles, les barbares les identifient plutôt comme la cause de bien des maux, et notamment en matière de politiques publiques de l’emploi.
« L’inadaptation des institutions est la dernière cause de l’augmentation du chômage, nous avons changé de paradigme » @Nicolas_Colin #LBA — Institut Montaigne (@i_montaigne) December 16, 2014
L’économie numérique se met en travers des anciennes réponses au chômage. Ex : les carrières sont discontinues et imprévisibles #lba — Eglantine Leroi (@Eglantineleroi) December 16, 2014
Les barbares et le fantôme du modèle fordiste
L’agilité des entreprises « en mode start-up » est donc érigée en nouveau paradigme. Face à elle, les barrières réglementaires, pré carré des entreprises traditionnelles, qui bloquent non seulement l’économie mais aussi le marché de l’emploi. L’agilité réside donc dans la capacité à répondre et réagir aux besoins en compétences des organisations, qui sont en perpétuelles tension. Pour Oussama Ammar, les nouveaux emplois ne sont pas simplement des métiers, mais correspondent à une somme de fonctions ayant pour but de réaliser les missions de l’entreprise.
« On passe d »un monde où le capital est le savoir à un monde où le capital est l’assimilation de savoirs différents » @daedalium #LBA — Institut Montaigne (@i_montaigne) December 16, 2014
Pour Thomas Cazenave, les institutions savent s’adapter à ce perpétuel changement. Le directeur général adjoint de Pôle emploi prend ainsi l’exemple du dispositif d’indemnisation du chômage, qui s’est ajusté progressivement au marché du travail avec l’introduction des droits rechargeables. Une preuve, selon lui, que l’institution en question a bien pris conscience de l’imbrication entre activité et inactivité.
Et si finalement, le monde que décrivaient Nicolas Colin et Oussama Ammar n’avait jamais vraiment existé ? Pierre Cahuc rappelle en effet, que le monde fordiste, tel que décrit et érigé comme un contre-modèle poussiéreux, n’a jamais vraiment eu cours : aux Etats-Unis par exemple, le monde du travail a toujours été très instable ; une instabilité qui, contrairement aux idées reçues, déclinerait depuis le début de la crise en 2008. Par définition donc, l’économie de marché est en perpétuel mouvement, rappelle Pierre Cahuc. En ce sens, proclamer une agilité synonyme de mouvement ne va pas changer la donne.
Être agile ne suffit pas
Ce qui va alors changer profondément, c’est la nature de l’emploi. Si les entreprises du numérique vivent bien l’absence de prédictibilité, elles ont de plus en plus de mal à documenter leurs besoins en terme de compétences. Trouver la bonne compétence pour le bon poste, c’est par exemple ce que propose Qapa : identifier les compétences manquantes, tant au niveau des annonceurs que des demandeurs d’emplois, et faire se rencontrer, « matcher », les besoins.
"La notion de métier est en train de disparaître, ajd ce sont des missions mobilisant des compétences changeantes ds le tps" @daedalium #LBA
— Institut Montaigne (@i_montaigne) December 16, 2014
Pour ce faire, Oussama Ammar préconise notamment de faire de Pôle emploi une plateforme, mettant ses données à disposition de ceux qui ont des solutions. Domaine dans lequel Pôle emploi s’engage, avec la création à venir d’un « emploi store », où les données de l’organisme seront accessibles et disponibles pour permettre aux start-up de créer des nouveaux services.
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Si tout le monde s’accorde sur le constat que c’est bien la création d’emploi qu’il faut avant tout dynamiser, chacun envisage des solutions différentes. Et si le numérique peut apporter des solutions novatrices et adaptées à des domaines spécifiques, l’ériger comme unique remède à tous les maux peut, au contraire, limiter toute démarche de réflexion et d’action en profondeur, comme de dialogue entre les acteurs. Le risque : créer une démarcation trop nette entre ceux qui sont moteurs ou engagés dans le digital et ceux qui n’y sont encore dans des stratégies d’attente.
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