Le rapport au territoire de ces entreprises est cependant ambivalent : un territoire très dépendant d’une ou de quelques grandes entreprises peut être totalement dévitalisé en cas de restructuration.
Les territoires doivent donc capitaliser sur les richesses générées par les grandes entreprises tout en prêtant attention aux équilibres – c’est l’une des raisons pour lesquelles les régions dont les activités économiques sont les plus diversifiées sont celles qui ont le mieux résisté à la crise.
Un atelier de l’université d’été « Emploi, Compétences et Territoires » portait précisément sur le lien entre grandes entreprises et territoires. La Poste, Vinci, l’association Astrées et son réseau Alizé : tous les intervenants ont montré que le premier lien entre une grande entreprise et un territoire, c’est celui qui la rattache à ses sous-traitants. En dehors du cadre particulier des pôles de compétitivité, beaucoup reste à faire pour faire progresser une vision partenariale des problématiques d’emploi et de compétences.
La connaissance du territoire détermine l’économie des grandes entreprises
Par nature, le lien entre des entreprises comme La Poste ou Vinci et les territoires sont très forts. Si Vinci, au travers de ses filiales, a mis en place une organisation totalement décentralisée (une direction déléguée dans chaque région), avec une très forte autonomie et un ancrage territorial fort, l’organisation du groupe La Poste, elle, reste encore centralisée. En effet, la politique est définie nationalement puis mise en œuvre dans les régions ou départements. Toutefois, une expérimentation est en cours en matière de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) : la stratégie nationale est adaptée dans les régions et les bassins d’emploi. Cette expérimentation est intéressante car, de l’aveu de la Déléguée au développement des Ressources Humaines en Languedoc-Roussillon elle-même, « le développement de La Poste dépend directement du développement économique des régions d’implantation ».
La connaissance du territoire est très importante pour l’économie « intrinsèque » des entreprises :
- Les achats sont déterminés par la connaissance des fournisseurs locaux. Prix d’achat et coûts logistiques (acheminement) varieront très sensiblement selon le fournisseur et son implantation.
- Parce que les politiques de recrutement et de formation sont dictées par l’état des pénuries (ou non) de compétences, une grande entreprise doit « prendre le temps de connaître un territoire » d’après Stéphane Gigou, DRH de Vinci Sud et Président de l’antenne régionale de l’ANDRH. C’est d’ailleurs pour cela, indique-t-il, que les sous-traitants peuvent « mener la danse » lorsqu’ils disposent de compétences rares.
Le lien entre une grande entreprise et un territoire, c’est celui qui l’unit à ses sous-traitants
« Le lien économique entre la majorité des grandes entreprises et les territoires, c’est le lien avec les sous-traitants » selonPhilippe Archias, Directeur des projets France et Europe de l’association ASTREES (qui vise à dessiner des « réponses durables » aux transformations du travail et de l’emploi). Son étude, menée pour le compte de la Commission européenne et de l’ANACT a montré que, dans ce domaine, les engagements concrets sont aujourd’hui fort légers. Pour améliorer la pérennité et l’équilibre des liens, plusieurs leviers ont été identifiés par l’étude d’ASTREES, et notamment :
- les relations achat devraient être traitées en lien avec la politique RH des entreprises ;
- la mise en place de politiques d’alternance mutualisée, dans les territoires, entre grands groupes et PME sous-traitantes, nécessite des réflexions partagées sur la formation ;
- une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) interentreprises serait utile à tous.
Philippe Archias a déploré la timidité des incitations aux démarches partenariales de développement de l’emploi et des compétences dans les territoires. Par exemple : le cahier des charges des maisons de l’emploi demande d’établir un diagnostic au niveau des bassins d’emploi ou intercommunaux, puis d’opérer un croisement des données territoriales avec celles des filières avant de définir des plans d’action territoriaux. Cela dit, aucun de ces éléments n’est contraignant pour les entreprises. Il regrette aussi que les conseils régionaux ne soient pas obligés de lancer et piloter des actions de formation pour développer les compétences transversales. En la matière, l’action du réseau Alizé est particulièrement intéressante : par le mécénat de compétences, les grandes entreprises mutualisent leurs moyens humains et financiers avec ceux des collectivités publiques et d’autres acteurs économiques locaux, afin de soutenir le développement des PME. Conseil RH, développement commercial, organisation de la production, etc. : les PME bénéficient ainsi de compétences qu’elles n’auraient, sinon, jamais pu « s’offrir ».
Et si toutes les grandes entreprises comprenaient elles-mêmes, sans obligation, tout ce qu’elles ont à gagner en tissant des relations plus étroites avec les territoires et leurs richesses humaines?