EUREKA. Main d'oeuvre au rabais pour certains, concurrence déloyale pour d'autres, les travailleurs détachés sont au cœur des débats. Alors que le CESE vient de publier un rapport cinglant, la loi Macron donne de nouveaux outils pour lutter contre les fraudes au travail détaché au niveau national
Les travailleurs détachés seraient plus de 210 000 en France et ce chiffre, établi par la Direction Générale du Travail tend à croître chaque année. Si les secteurs du BTP et de l'industrie sont les plus touchés, le sujet concerne aussi les agences de travail temporaire. Alain Roumilhac s'exprimait déjà sur le sujet en 2013 et rappelait alors que, bien que le travail détaché soit légal – et encadré par une directive européenne -, il n'en est pas moins épineux, du fait notamment des problématiques de concurrence déloyale qu'impliquent les variations du poids des charges sociales entre les différents pays européens. Le travail détaché, un dumping social ?
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Travail détaché, une réglementation vieille d'une décennie
C'est la directive européenne 96/71/CE, datant de 1996, qui définit et réglemente le travail détaché. Sont ainsi considérés comme détachés :
"Tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d'un État membre autre que l'État sur le territoire duquel il travaille habituellement."
Une définition claire et simple qui les distingue des migrants, qui viennent dans un pays de l'UE pour y chercher du travail, et des expatriés, résidant à l'étranger de façon durable.
Cette définition concerne 3 cas de figure :
- Détachement d'un salarié par son employeur vers un établissement ou une filiale du groupe situé(e) dans un autre Etat appartenant à l'Union Européenne.
- Détachement via un contrat conclu entre l'employeur et une entreprise tierce, située dans un autre pays de l'UE. Le salarié reste alors sous la direction de l'employeur de son pays d'origine.
- Agence de travail temporaire ou bureau de placement louant les services d'un travailleur à une entreprise cliente implantée – ou effectuant des missions – dans un autre Etat membre.
Pourquoi parle-t-on de "concurrence déloyale" ?
Au niveau juridique, des règles obligatoires, dictées par la législation européenne, visent à protéger les conditions de travail de ces salariés détachés. En fait, le principe tient en une phrase : le travailleur doit bénéficier des conditions d'emploi minimales du pays qui l'accueille. Ainsi, en France, les travailleurs détachés doivent toucher le Smic, sont subordonnés au code du travail – y compris en ce qui concerne les congés payés et les heures maximales de travail – et doivent se soumettre aux règles liées à la santé et la sécurité au travail ainsi qu'à la législation protégeant contre les discriminations.
Seule différence, et c'est bien là le centre du débat actuel : les cotisations sociales. Celles qui sont appliquées sont celles du pays d'origine. Or, en Pologne, Roumanie ou au Portugal, les trois pays de l'UE dont viennent la majorité des travailleurs détachés, elles sont bien inférieures à celles que nous connaissons en France… Un décalage qualifié de concurrence déloyale par de plus en plus d'acteurs du secteurs.
C'est le cas par exemple de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) dans un livre blanc publié il y a quelques semaines. Son président, Pierre Vinet, pousse un véritable cri d'alarme : "On est en train de distribuer de l'argent public à de la main-d'œuvre détachée qui ne paye pas ses cotisations sur le territoire national et qui déséquilibre un peu plus tous les systèmes de protection sociale, cela génère du licenciement."
Un constat que partage le président de ManpowerGroup :
"Certaines entreprises françaises, à forte intensité de main d’œuvre, confrontées à une érosion de leurs marges et à une concurrence de plus en plus mondialisée, sont donc tentées de gérer leurs besoins de flexibilité en faisant appel à ces ressortissants de pays de l’Union européenne. Il y a donc un problème de déséquilibre structurel au sein du marché du travail européen, qui repose sur une directive qui n’est plus en phase avec la réalité économique de l’Union."
Autre problème d'importance évoqué par Alain Roumilhac, la fraude "évidemment inacceptable", qui consiste principalement à "déduire du salaire de ces travailleurs des « frais » de déplacement ou d’hébergement, ou encore à les faire travailler au-delà des heures supplémentaires autorisées par la loi."
Que propose la loi Macron ?
Promulguée en août 2015, la loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques d'Emmanuel Macron inclut une série de mesures destinées à lutter contre la fraude trop souvent liée au travail détachée :
- Instauration d'une carte d'identification professionnelle obligatoire. A compter du 1er janvier 2016, tous les employés d'un chantier de BTP devront porter sur eux une carte qui contient des informations sur eux, sur leur employeur ou sur l'entreprise qui utilise leurs services ainsi que sur l'organisme ayant délivré la carte. Cette mesure a d'ailleurs été récemment confirmée par Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue social.
- Engagement de la responsabilité du donneur d'ordre, qui pourra être sanctionné en cas de manquement à son obligation de vigilance sur la conformité administrative des travailleurs employés. L'amende s'élève à 2 000 euros maximum par salarié (4 000 euros en cas de récidive), avec un plafond de 500 000 euros. Si la fraude est avérée, le donneur d'ordre devra également payer les écarts de salaires constatés.
- Suspension des prestations de service qu'exerce le travailleur détaché pour une durée d'un mois en cas d'irrégularité: manque de respect des conditions de sécurité ou défaut de présentation de la déclaration préalable de détachement ou de la carte d'identification professionnelle.
- Renforcement du nombre d'agents et de contrôles de l'inspection du travail pour évaluer les conditions de travail et vérifier les documents obligatoires présentés.
L'application de ces différentes mesures est prévue pour début 2016, les premiers décrets d'application devraient être publiés dans les semaines à venir.
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