Avoir grandi avec un fax n’a pas fait de vous un spécialiste en relations commerciales. Ni avec un Minitel un as de la télématique. Alors pourquoi les digital natives, ces personnes nées avec le numérique, devraient-ils nécessairement être des experts en réseaux sociaux ? Cela semble couler de sens. Et pourtant, c’est l’un des clichés les plus récurrents lorsque certains parlent de la (pseudo) génération Y. Tous les digital natives seraient à l’aise avec les codes de n’importe quelle plateforme sociale, navigueraient habilement entre texte, vidéo et image, réseauteraient pertinemment et effectueraient toujours une veille efficace… Une idée reçue à laquelle Ryan Holmes, PDG de HootSuite, un outil de gestion des réseaux sociaux, a voulu tordre le cou dans un article du Financial Post.
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Poster un selfie sur Facebook : une compétence professionnelle, vraiment ?
Ryan Holmes ne le conteste pas : les digital natives sont connectés. Ils postent des photos de leurs vacances sur Facebook, commentent des émissions télé en direct sur Twitter, « procrastinent » sur Tumblr et, parfois, publient des photos des plats qu’ils vont déguster sur Instagram. Mais selon lui, être présent sur ces réseaux à titre personnel ne vous rend pas forcément plus apte à les utiliser dans un cadre professionnel. Les digital natives ne sont pas par essence nés en sachant maîtriser leur identité numérique ou appréhender les mécaniques d’e-réputation, de visibilité et d’influence à l’oeuvre sur le web. Un point de vue que corrobore William Ward, qui enseigne les réseaux sociaux à l’Université de Syracuse :
« Les entreprises engagent des digital natives car elles pensent qu’ils sont bons en réseaux sociaux. Mais quand leurs chefs découvrent qu’ils n’ont pas ces compétences, cela les agace. »
Bac+5 « community manager »
Et pour William Ward, la « génération Y » n’est pas à blâmer pour autant. La faute reviendrait plutôt à des recrutements mal maîtrisés et plus fondamentalement… aux formations peu développées dans le domaine :
« Le vrai problème est que nous nous attendons à ce que les gens aient ces compétences sans leur proposer une quelconque formation ».
Mais c’est en train de changer. Dans de nombreuses universités, des formations spécialisées incluant théorie et pratique des « médias sociaux » se développent. De plus en plus de cursus proposent ainsi des modules particuliers qui se concentrent sur les bonnes pratiques à adopter dans une optique professionnelle. L’INSEEC, par exemple, va jusque revendiquer un « Bac+5 dédié à la gestion des médias sociaux ».
Seulement pour la comm’ ?
Pour Ryan Holmes, ces authentiques compétences, qui n’existaient même pas il y a une dizaine d’années, sont de véritables atouts sur le marché du travail. Et pour les entreprises, elles s’avèrent désormais indispensables. Et pas seulement dans les secteurs où elles sont généralement utilisées (communication, marketing, etc.) : en 2012, un rapport du cabinet de conseil McKinsey affirmait que les réseaux sociaux pouvaient faire économiser 1,3 milliard de dollars aux entreprises américaines.
Messageries internes instantanées, calendriers partagés, applications de brainstorming collaboratives… une multitude d’outils ou d’applications sociales qui, bien ciblées et utilisées, peuvent booster la productivité, limiter les délais ou fluidifier la communication en interne. Aux entreprises, dès lors, de se donner la capacité d’anticiper au plus tôt les nouvelles opportunités business… et de les traduire dans leurs besoins en compétences.
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Ne recrutez pas de community managers !
D’où la nécessité de recruter des personnes possédant ces savoir-faire techniques (hard skills)… mais aussi, de manière peut-être plus cruciale, aux soft skills – pensée critique, résolution de problèmes, créativité – aptes à s’adapter à de nouvelles tâches voire à « évangéliser » les équipes à ces outils et à leurs utilisations.
De la même manière que lorsque l’on se demande si l’entreprise a besoin de data scientists pour tirer profit des opportunités liées aux big data, l’enjeu se situe ici peut-être moins dans le recrutement de communty managers que dans la possession en interne de compétences liées à la capacité à innover ainsi que d’autres liées à la traduction, dans le langage de sa propre culture d’entreprise, des nouvelles opportunités.