L’état d’urgence est décrété. Après avoir mis fin à la défiscalisation des heures supplémentaires et lancé les « emplois d’avenir », le Gouvernement vient de donner le coup d’envoi des négociations sur le « contrat de génération ». Cette mesure-phare du programme de François Hollande vise à soutenir l’emploi des populations les plus durement frappées par le chômage, les jeunes et les seniors. Les experts considèrent que le dispositif devrait nettement cibler les moins qualifiés et les plus bas salaires pour produire un effet maximal. Mais ils n’en attendent aucun miracle. Du reste, beaucoup se jouera dans les négociations entre partenaires sociaux. Sauront-ils trouver des « compromis positifs » ?
Les générations face à l’emploi : jeunes et seniors, même combat
Sur le front de l’emploi, les jeunes et les seniors sont les plus fragiles. Les maux de la jeunesse sont connus – François Hollande en a fait la priorité n°1 de son quinquennat – mais on a parfois tendance à oublier que les seniors ne sont pas vraiment mieux lotis. Certes, sur un indicateur précis, la France s’est nettement améliorée au cours de la dernière décennie : le taux d’emploi des 55-64 ans a progressé de près de 7 points depuis 2000 ; en quelques années, notre pays a rattrapé une partie substantielle de son retard sur les pays les plus vertueux. Le taux de chômage des seniors continue tout de même de progresser de façon vertigineuse, si bien qu’aujourd’hui trois seniors sur cinq ne sont plus en emploi lorsqu’ils ont l’âge de faire valoir leur droit à retraite.
« En France, une seule génération travaille à la fois ». Le « contrat de génération » entend rendre caduque cette affirmation et mener de front ces deux combats prioritaires de l’emploi : aider les uns à entrer dans la vie active en allongeant la carrière des autres. Dans un sondage paru cet été, la majorité des seniors déclaraient le considérer comme « une vraie solution pour maintenir les seniors dans l’emploi ». Qu’en est-il ?
Une « discrimination positive » fondée sur la taille des entreprises
Les principes du « contrat de génération » sont connus. Il s’adresse aux entreprises embauchant en CDI un jeune de moins de 26 ans tout en conservant un senior de plus de 57 ans, ce dernier étant chargé de former le jeune. La « lettre de cadrage » du ministre du Travail contient deux surprises : contrairement à ce qui avait été annoncé, le « contrat de génération » ne donnera lieu à aucun allègement de charges et, surtout, il sera réservé aux entreprises de moins de 300 salariés. Ces dernières recevront 4.000 euros par an (2000 par jeune pendant trois ans maximum + 2000 par an jusqu’à la retraite du senior), sans que les allégements de charges existants pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC ne soient remis en cause. L’objectif reste néanmoins le même : baisser le coût du travail des jeunes et des seniors.
Le revirement du Gouvernement s’explique par le risque – réel – représenté par des « effets d’aubaine » qui auraient largement limité l’impact de la mesure sur l’emploi tout en pesant lourdement sur les finances publiques. Les syndicats craignaient particulièrement que les grandes entreprises se fassent ainsi subventionnées alors qu’elles auraient de toutes façons embauché des jeunes et maintenu l’emploi des seniors. Et les calculs de l’OFCE, think tank proche de la majorité, ont montré que ces « effets d’aubaine et de substitution » pouvaient coûter 4,5 milliards d’euros aux finances publiques tout en ne créant, stricto sensu, que 48 000 emplois si les aides via les allègements de charges étaient trop généreux. Le Gouvernement a donc choisi la taille des entreprises comme critère de « discrimination positive ».
Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, loue la nouvelle formule : « l’idée de l’aide forfaitaire est intéressante car elle va limiter l’effet d’aubaine ». Les chefs de petites et moyennes entreprises ont eux aussi salué le lancement des « contrats de génération », et la CFDT s’est félicitée de la conditionnalité des aides.
Une formule qui soutiendra l’emploi des plus fragiles ?
La donne va-t-elle radicalement changer pour autant ? Il est permis d’en douter, car la mesure est peu « ciblée ». John Martin, chef de la direction de l’emploi à l’OCDE, indique que « plus ces mesures sont générales, plus les effets d’aubaine sont grands ». Or les entreprises de moins de 300 salariés représentent 2/3 des emplois en France ; la mesure est donc pour le moins générale.
Pour une efficacité maximale contre le chômage, le « contrat de génération » devrait nettement viser les jeunes auxquels les portes du travail sont le plus sévèrement fermées : les moins qualifiés, les plus bas salaires. C’était la recommandation la plus forte de l’OFCE, qui rappelait dans son étude que plus on monte dans l’échelle des qualifications et des salaires, moins le coût du travail est important dans une décision d’embauche. Ainsi, le dispositif le plus incitatif, qui aurait le plus fort impact sur l’emploi, serait destiné aux moins qualifiés ; mais le ministre du Travail n’a évoqué aucun ciblage de ce type. A première vue, on pourrait donc craindre que l’incitation à embaucher, qui détermine l’impact sur la création d’emplois, soit faible. Mathieu Plane estime toutefois que la formule de l’aide forfaitaire va « engendrer une baisse réelle du coût du travail, surtout au niveau du SMIC ». A ce niveau, les employeurs se verront en effet subventionner l’équivalent de plus d’un mois de salaire du jeune.
Nouvelles négociations, nouveau type d’accompagnement : vers des usines à gaz ou des compromis responsables ?
Dans l’esprit de sa « Feuille de route », le Gouvernement confie beaucoup de responsabilités au dialogue social. Les entreprises de plus de 300 salariés doivent désormais négocier sur l’emploi des jeunes et des seniors ainsi que la transmission des compétences — à la place du seul emploi des seniors jusqu’à présent. Elles devront signer des accords avant le 30 septembre 2013, sous peine de pénalités financières.
Le ministre du Travail a aussi demandé aux partenaires sociaux de définir les modalités d’un nouveau type d’accompagnement, distinct du tutorat et de l’apprentissage. Thibault Lanxade, PDG de l’entreprise Aqoba et fondateur de l’association Positive Entreprise, craint que ce nouveau dispositif soit avant tout une nouvelle source de complexité, alors que l’INSEE dénombre déjà pas moins de 7 dispositifs différents rien que pour les 16-25 ans et que le « rapport Larcher » dénonçait la « grande complexité » et « les cloisonnements inhérents à la multiplicité des statuts » du système français de formation. Pour lui, une telle instabilité du droit « décourage les dirigeants à prendre des jeunes dans leur entreprise ». L’association nationale des apprentis de France (ANAF), quant à elle, déplore que le Gouvernement n’ait pas garanti un accompagnement de qualité en s’appuyant sur les vertus de l’apprentissage.
Les discussions entre partenaires sociaux s’ouvrent, le sujet n’est pas clos.
Pour en savoir + :
- La « lettre de cadrage » (pdf)
- L’analyse de l’OFCE
- INSEE : l’emploi par âge
- INSEE : « Les politiques d’accès à l’emploi en faveur des jeunes : qualifier et accompagner » (pdf)
- OIT : « Le dialogue social et la réforme des retraites en période de crise et au-delà : le cas de la France »
- OIT : « La crise de l’emploi dans la zone euro: tendances et réponses politiques » (rapport à télécharger ici)
- L’Atelier de l’Emploi : « Si on perd une génération, c’est tout un pays qui va perdre sa compétitivité » et « Formation-rapport Larcher : Passer d’une gestion du chômage à une dynamique de l’emploi »