:
Newsletter
HReview
Découvrez nos articles.
Retour à la liste
Partager sur :
code du travail

CDD, CDI : obsédée par la forme, la France néglige-t-elle les réalités du marché du travail ?

Il y a quelques semaines, le ministre du Travail Michel Sapin a affiché un objectif : il faut que le CDI « redevienne la norme ». En creux : c’est le CDD qui le serait devenu. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, a dans la foulée mis en avant un chiffre jusqu’ici peu connu – et qui  dérange : actuellement, la durée moyenne des CDD est inférieure ou égale à une semaine. Pour en finir avec cette situation, certains préconisent la mort du CDD et l’avènement d’un « CDI pour tous ». Cette obsession française de la forme juridique du contrat de travail ne passe-t-elle pas à côté de l’essentiel ?

Les CDD : plus de trois quart des embauches. Explosion du nombre de contrats très courts.

Déclarations d'embauche 2010 - ACOSS

La dernière enquête de la DARES affirme qu’aujourd’hui, « les trois quarts des recrutements se font en CDD ». En cela, cette enquête conforte les données de l’ACOSS (l’organisme collecteur des cotisations URSAFF), qui révèlent que, en 2010, plus de 80% des contrats de travail signés (hors intérim) étaient des CDD, et près des deux tiers (64%) duraient moins d’un mois.

Cette réalité est bien antérieure à la crise : la progression des CDD de moins d’un mois est sans doute un des traits les plus marquants de l’évolution des recrutements depuis 2000. Alors qu’ils représentaient moins de la moitié des embauches en 2000, ils en constituaient quasiment les deux tiers en 2010.  Les contrats de moins d’un mois ont donc progressé de plus de 88%, et le nombre de CDD de moins d’une semaine a plus que doublé (+ 120,2 %).

Taux d'embauche hors interim 2000-2011

Une hyper-précarité permanente ?

En période de forte incertitude économique, l’horizon des entreprises se raccourcit et embaucher en CDD courts leur parait moins risqué. Résultat : « Aujourd’hui, on a une classe de travailleurs qui sont en situation d’hyper-précarité, qui enchainent une semaine de travail au maximum, suivi d’un semaine de chômage, trois jours de travail, quatre jours de chômage  […] donc une hyper-précarité permanente », explique Philippe Askenazy, économiste du travail au CNRS. A l’entendre, la crise aidant, le travail se « précariserait » inexorablement et l’emploi stable deviendrait progressivement une exception.

 

Les CDI représentent toujours la norme, et de loin : 86% de l’emploi

L’analyse statistique permet une conclusion  bien différente : on constate en effet que la progression des formes « atypiques »  d’emplois – que sont le CDD ou l’intérim – s’est interrompue il y a plus de 10 ans en France. Depuis 2000, la part des CDI est restée stable : cette forme de contrat représente toujours 86% des emplois, contre 10% pour les CDD, un peu plus de 2% pour le travail temporaire et un peu moins de 2% pour l’apprentissage. Mieux : loin de progresser, le nombre de CDD de plus d’un mois et de missions d’intérim est lui aussi resté stable ces dix dernières années

En réalité, le premier facteur de développement de l’emploi hors CDI depuis début 2000, c’est la progression de l’apprentissage. Pas vraiment une façon « précaire » d’entrer sur le marché du travail !

Stabilité du CDI et du CDD depuis 2000
Evolution des formes d'emploi en France depuis 2000 - Cliquez pour agrandir

Comment expliquer, alors, cette perception commune d’un marché du travail qui se serait précarisé ? Au-delà de l’illusion de l’effondrement du CDI, elle s’appuie – à raison – sur trois facteurs qui se cumulent :

  • la hausse du chômage, première forme d’insécurité ;
  • l’abus dans l’usage des stages ;
  • la progression des formes de « sous-traitance en chaîne ».

Les contrats d’usage, le bug des années 2000

Surtout, la progression spectaculaire des contrats de très courte durée provient de la très forte croissance des « contrats d’usage ». Les contrats d’usage sont des CDD dérogatoires (sans durée maximale, ni délai de carence, ni indemnité de précarité) dans des activités « par nature temporaire » où il est « d’usage constant » de ne pas recourir au CDI. Les secteurs concernés par le CDD d’usage, qui ne représentent que 12 % de l’emploi salarié environ, recouvrent à eux seuls 57% des contrats de moins d’un mois en 2010 et ont contribué à près des deux tiers de leur progression entre 2000 et 2010.

L’explication de cette évolution est simple : depuis 2003, une jurisprudence favorable a limité les risques de « requalification ». Les CDD d’usage se sont ainsi multipliés dans de nombreux secteurs d’activité, extrêmement variés : sont ainsi concernés le secteur du déménagement, de l’hôtellerie-restauration, de l’enseignement…mais aussi celui du sport professionnel, des spectacles ou de l’audiovisuel.

Signature contratFinalement, il n’y a donc pas de « précarisation » généralisée : le CDI est toujours largement la norme et il y a toujours autant de personnes concernés par les CDD … mais leurs contrats sont de plus en plus courts ! Faut-il alors en finir avec le CDD, comme le suggère l’Institut Montaigne ? Mettre en place un « contrat unique », comme le demandent notamment les auteurs de « La Machine à Trier » ?

Protéger les individus, pas les postes

Sans doute, se focaliser ainsi sur la forme du contrat – comme si le statut juridique était l’alpha et l’omega de la sécurité – néglige ou simplifie quelque peu la réalité du marché travail. Un CDI à temps partiel est-il, par exemple, plus sécurisant que l’enchaînement de missions d’intérim ? Et puis, il faut « cesser d’avoir de la flexibilité une vision honteuse »explique dans Le Monde Charles de Froment, auteur d’un rapport récent sur la flexibilité pour le compte de l’Institut de l’Entreprise. Car « la flexibilité, ce sont d’abord les clients, les consommateurs, le fonctionnement du marché qui l’imposent aux entreprises : saisons touristiques, pics d’activité dans le commerce au moment des fêtes, remplacement de salariés absents … Contrairement à ce qu’affirment, en creux, les projets de création d’un « contrat unique » de travail, ces emplois ne peuvent être transformés demain en CDI. Il faut accepter leur existence, et proposer les conditions d’une flexibilité soutenable pour les salariés en contrats courts ou dans des CDI fragiles. »

L’enjeu, aujourd’hui, ne serait donc pas de protéger les postes mais de donner aux entreprises la souplesse dont elles ont besoin pour évoluer dans un environnement économique incertain, tout en sécurisant les parcours professionnels des individus ; car toutes les formes de flexibilité ne se valent pas. C’est en dessinant une flexibilité responsable qu’une « flexisécurité à la française », moderne et équilibrée, verrait ainsi le jour.

 

>>> En savoir +

  • Etude de la DARES sur les mouvements de main d’oeuvre en 2011 (pdf).
  • Etude de l’ACOSS : « Les déclarations d’embauche entre 2000 et 2010 : une évolution marquée par la progression des CDD de moins d’un mois » (pdf).
  • Rapport « Flexibilité responsable : dépasser le dualisme du marché du travail » de Charles de Froment pour l’Institut de l’Entreprise (pdf).
  • Rapport « De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle » de Pierre Cahuc et Francis Kramarz (pdf).
Partager sur :

Autres articles pouvant vous intéresser