EURÊKA. Pour améliorer la situation d’un salarié en burn-out, les premières réponses sont évidentes : lui proposer de prendre un congé maladie puis surveiller davantage sa quantité de travail. Mais comment gérer le cas inverse : le bore-out ?
Le bore-out est le syndrome miroir du burn-out, une maladie professionnelle qui n’est pas encore reconnue comme telle. Il fait référence à un syndrome d’épuisement par l’ennui, que ce soit en raison d’une marge trop importante entre les attentes du salarié et ses tâches réelles ou par manque pur et simple de travail. En d'autres termes : est victime de bore-out le salarié qui a le sentiment de "mourir d'ennui" !
Ennui, culpabilité, mépris de soi, angoisse : le bore-out engendre une véritable souffrance, et il peut avoir diverses conséquences pour le salarié, la moindre étant son départ de l'entreprise. Et si, avant même d’être un enjeu de santé au travail, le bore-out était un défi de fidélisation des talents et de gestion des carrières ?
Burn-out et bore-out : causes opposées, résultat similaire
Touchant au tout premier chef les salariés du tertiaire, le bore-out a d’abord été diagnostiqué par deux consultants suisses, Peter Werder et Philippe Rothlin, dans leur livre Diagnosis Boreout paru en 2007. Leur thèse ? C’est l’absence de tâches signifiantes, plutôt que le stress, qui constitue le principal problème d’un grand nombre de travailleurs.
L’épuisement professionnel par l’ennui se caractérise ainsi par le désintérêt vis-à-vis des tâches ou l’absence de tâches, l’absence de défis ressentis, l’impression de fatigue malgré une faible activité et un sentiment de mépris de soi. Être payé mais n’avoir rien à faire n’est pas une situation enviable pour tout le monde, et c’est surtout le salarié très travailleur qui souffre le plus de l’excès de tranquillité.
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Remis au goût du jour en 2011 avec l’étude de Christian Bourion et Stéphane Trebucq, Le Bore-out syndrom publiée dans la Revue internationale de psychosociologie, ce syndrome a des effets assez similaires à ceux du burn-out : l’individu qui y est sujet finit par se sentir honteux et coupable, ce qui contribue à faire de cette situation un tabou dans le milieu professionnel. Dans le pire des cas, l’inactivité et le sentiment de désœuvrement conduisent à une fatigue psychologique telle qu’elle peut mener à la dépression : la « souffrance jusqu’à l’état dépressif grave », comme l’indique Emmanuelle Rogier, psychologue du travail et membre du réseau national Souffrance & travail :
« J’ai déjà eu trois cas cette année. Après le rachat de son entreprise, une comptable a été dépossédée de sa fonction. C’est une femme consciencieuse, très engagée dans son travail, qui se sent attaquée. Elle ne vit pas cela comme de l’ennui, mais comme une mutilation. Elle partait au bureau la boule au ventre, elle a commencé à perdre du poids, des cheveux… Elle ne dormait plus et a été arrêtée. »
Le bore-out, un « chômage partiel » pour cause de transformation des entreprises ?
Bore-out et chômage auraient-ils des points communs ? C’est ce que souligne Christian Bourion, qui explique :
« On croyait qu’il s’agissait de réalités bien séparées ? Eh bien non : plus de 30 % des salariés en poste – toutes catégories confondues – sont en chômage – partiel ou total – à l’intérieur même de leur poste, ce qui constitue un danger bien plus grave et bien plus étendu que l’excès de travail plutôt localisé sur certaines professions. »
Tâches insignifiantes, peu nombreuses, volume d’activités quotidiennes déclarée inférieure à deux heures… l’ennui se faufile là où on ne l’attend pas. Le bore-out « résulte d’un processus non-intentionnel, imputable au fait qu’à cause d’améliorations technologiques, de réorganisations ou de baisse d’activité, certains postes de travail se sont vidés peu à peu de leur contenu, pour se remplir d’inactivité de façon insensée », surenchérit Christian Bourion.
Comment repérer un salarié en situation de bore-out ?
- Baisse de moral, dépression
- Baisse du présentiel : le temps de travail qui s’amenuise entre des pauses cigarettes qui s’allongent, une arrivée tardive et départ précoce
- A l’inverse, face à un manque de volume de travail, le salarié peut faire preuve d’ingérence et s’accaparer le travail des autres
- Dans un autre registre, le salarié peut s’inventer de nouvelles tâches
- Un rythme de travail qui se ralentit pour réussir à occuper le temps de présence au sein de l’entreprise, habitude grandissante de discussion en ligne ou entre collègues
- Un état émotionnel instable qui est marqué par de la fatigue, d’abattement, un manque de concentration et une perte de mémoire.
Comment aider un employé sujet à l’ennui ?
Il n’existe pas de remède miracle ou de recette pour une vie accomplie et heureuse au travail, et l’ennui est aussi une composante naturelle de toute activité. Ne sombrez pas dans la paranoïa en confondant tranquillité et bore-out ! Cependant, si le cas est avéré, il est primordial d'envisager rapidement des solutions :
- Faire un point avec l’employé : sans le culpabiliser, établir avec lui si une réorganisation du travail est possible et si elle pourrait contribuer à améliorer la situation. La verbalisation du problème est déjà un pas vers une solution, mais pourquoi ne pas redéfinir, avec lui, le champ de ses compétences et de ses fonctions ?
- Le congé n’est pas la solution : même si cela paraît évident, c’est parfois la réponse envisagée pour permettre au salarié d’aller mieux. « Mais pour la personne qui souffre de n’avoir rien à faire, l’arrêt maladie conforte un cercle vicieux et accentue le problème, en dépossédant le salarié du peu d’activité qui lui restait », explique Christian Bourion.
- Améliorer la gestion des carrières, favoriser la promotion interne : une situation d’ennui excessif peut être générée par un salarié qui a le sentiment de ne plus progresser et a besoin de nouveaux défis, et c’est un gâchis d’énergie pour l’entreprise. La promotion interne est, par exemple un outil à privilégier par rapport au recrutement d’externe pour éviter des situations de monotonie.
- Stimuler la formation et l’employabilité du salarié : il ne faut surtout pas hésiter à encourager des formations qui favorisent l’employabilité du salarié, sous prétexte qu’il risque de quitter l’entreprise. Au contraire : l’ennui fait courir un risque bien plus grand !
- Ouvrir à d’autres engagements : le champ d’action des entreprises ne cesse de s’élargir, et les salariés peuvent emprunter de nombreux chemins, comme l’engagement auprès d’associations ou dans des dispositifs d’Open Innovation… après tout, l’ennui est parfois le moteur des grandes découvertes !
En 2015, alors que les chiffres du chômage se maintiennent, une nouvelle enquête publiée lors du Trophée du capital humain montre que 79% des Français s’estiment satisfaits de leur situation professionnelle. Un score en progression par rapport à l’an passé. Est-ce le signe d’une déprime salariale en déclin ?
Les plus optimistes aiment à penser ainsi, et interprètent ces résultats comme les prémices d’une troisième ère du management, axée sur la pénétration du numérique, la transparence, l’autonomie et la responsabilité sociale des entreprises.
Crédit image : Office in a Small City, 1953. Edward Hopper (American, 1882–1967)