ANALYSE. Pour vivre heureux, vivons cachés ? En dépit d’une croissance continue depuis 2012, le management de transition peine encore à se faire connaître en France. Pourtant, en Europe, plusieurs pays précurseurs ne cessent de démontrer les avantages de ces interim managers. Panorama européen d’une pratique en croissance.
Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique : dans ces pays, le management de transition est plébiscité depuis plusieurs années comme l’un des moyens les plus efficaces pour profiter immédiatement, et pour une durée définie, de compétences stratégiques. Faire appel à un manager de transition permet de répondre, avec une grande flexibilité, à des enjeux de transformation de plus en plus fréquents.
En France, le management de transition reste un marché de niche (0,1% des prestations intellectuelles) mais présente un très fort potentiel de croissance pour plusieurs raisons :
- Une tendance qui répond à l’évolution du marché du travail (indépendance, multiplications des expériences…)
- Une croissance continue et soutenue (au moins 4%) depuis 2012
- Des honoraires contenus en raison de l’accroissement du nombre de cabinets ces dernières années
Arrivé à maturité dans plusieurs pays, le management de transition s’est développé selon des modèles différents ; quelles formes prend-il dans les pays d’Europe où il est courant ? Quels sont les modèles à suivre ? Panorama et synthèse des grandes tendances d’une pratique RH qui gagne à être connue.
Allemagne et Royaume-Uni, les marchés les plus matures et les plus structurés
Comparativement au marché français, les marchés britannique et allemand sont les plus avancés. La pratique y est plus identifiée, plus acceptée, le nombre de cabinets et les volumes d'affaires plus élevés. Aujourd'hui, les entreprises de ces deux pays n'ont plus aucune réticence à faire appel à un « extérieur » pour résoudre des problématiques managériales internes.
L'Allemagne : le 1er marché européen
Avec un volume d’affaire annuel de 1400 M€, l'Allemagne est le fer de lance du management de transition. La progression du marché a été fulgurante, passant de 400 M€ en 2004 à plus du triple aujourd'hui. Ce dynamisme, l'Allemagne le doit notamment à l'utilisation fréquente de manager de transition dans l'industrie pour gérer des pénuries ponctuelles de main d’œuvre ou de compétences (17% des missions) ou pour faire le pont entre le départ d'un ancien employé et un recrutement, pratique qu'on appelle aussi management relais (10%) – même si la gestion du changement et des projets de transformations restent le motif le plus fréquent (24%) avec la gestion de crise (19%).
Selon la Dachgesellscaft Deutsches Interim Mangement, l'instance représentative de la profession en Allemagne, il n'y aurait pas moins de 1500 managers de transition actifs aujourd'hui. Autre particularité du marché allemand : les missions y durent 9,2 mois en moyenne, ce qui en fait le pays où elles sont les plus longues, après la Belgique.
Le Royaume-Uni : le plus structuré d'Europe avec plus de 500 cabinets
Marché référent en Europe, tant par son ancienneté que par son niveau de structuration, le Royaume-Uni pesait déjà 700M€ en 2010 et représentait plus de 1200M€ en 2014. Les managers intérimaires ont su se faire une place de choix dans l’industrie et les postes de direction : en 2014, plus de 500 cabinets britanniques revendiquaient cette activité, que ce soit en pure-player ou, plus fréquemment, comme service d'un cabinet généraliste.
Source : Enquête Delville sur le management de transition en France et au Royaume-Uni (2015)
Au Royaume-Uni, la pratique est suffisamment répandue pour que des études se penchent sur son image :
- 54% des Britanniques interrogés connaissent le métier car ils y ont déjà eu recours, contre 35% pour la France.
- Le statut de manager de transition jouit d’une très bonne image : 34% d’avis très favorable contre 27% en France.
- Confortées par un enthousiasme qui ne se dément pas, les entreprises britanniques renouvèlent régulièrement l’expérience : 46% ont déjà eu recours plus de deux fois à un manager d’intérim.
- Très peu sont donc celles qui n’ont pas encore franchi le pas : 36% en Grande-Bretagne pour près du double en France avec 65%.
- Le recours au management de transition est également plus populaire parmi les grandes entreprises britanniques que parmi les françaises.
Expertise, disponibilité et flexibilité : les entreprises des deux pays se rejoignent toutefois sur les principales motivations à l’embauche, et plébiscitent le recours à un manager orienté satisfaction client, grâce à la brièveté des missions qui lui permettent de garder une certaine indépendance et une grande agilité. Signe que la pratique est plus intégrée au Royaume-Uni, la durée des missions y est plus courte que dans l’Hexagone : 55% des managers d’intérim britanniques effectuent une mission inférieure à 6 mois contre 47% en France. Autre point de divergence important, la séniorité du manager de transition : bien plus importante aux yeux des Français qui sont 47% à la désigner comme un plus significatif dans l’intervention des managers d’intérim, contre seulement 17% outre-Manche.
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Concernant les voies de recrutement, le recours au réseau est privilégié en Grande-Bretagne là où les Français délèguent la tâche à un cabinet. En définitive, le marché britannique pérennise des habitudes déjà fortement ancrées en matière de management de transition, là où la France tente de rattraper son retard en capitalisant sur un modèle qui lui est propre.
La Belgique, un véritable potentiel de croissance
En évolution de 8,6% en 2014, le marché belge représente aujourd'hui 81,3 millions d'euros de chiffre d'affaires. La fédération des prestataires de services RH Federgon rassemble 66 cabinets, un nombre qui a presque doublé depuis la crise de 2008. Selon cette fédération, le marché belge réalise une moyenne de 500 missions par an, dont seules 30% ont une durée supérieure à 9 mois.
Dans une étude réalisée en 2008, Federgon dévoile les nombreuses caractéristiques du marché belge de l’époque :
- Le recours au management de transition est particulièrement marqué dans les domaines de la finance (56,6%), des RH (8,7%) et des technologies de l'information et de la communication (7,7%).
- Pour 32%, les missions concernent la gestion du changement, et la gestion de crise à 18%, selon un modèle proche du marché français.
- L’image du management de transition est globalement très positive, autant chez les entreprises qui y ont recours, principalement en raison de son très satisfaisant rapport qualité/prix, que chez celles qui n’ont pas encore franchi le pas.
- Les entreprises d’intérim sont les premiers fournisseurs de manager de transition. Très peu sont les entreprises qui rentrent directement en contact avec ce genre d’intérimaires.
Le dernier point s’explique par le fait que ces cabinets proposent une sélection fine et pertinente des candidats, assurent un suivi durant la mission et sont présents pour en établir le bilan. Le rôle des cabinets d’intérim management est donc déterminant dans le succès du management de transition en Belgique.
Les Pays-Bas, précurseurs malgré eux ?
"Historiquement, deux pays se distinguent en Europe : les Pays-Bas et l’Angleterre" nous expliquait Grégoire Cabri-Wiltzer, président de la Fédération nationale du management de transition. Mais si, en effet, le management de transition a vu le jour dans les années 1970 aux Pays-Bas, il est impossible de donner une estimation fiable du marché aujourd'hui. Christian Brière expliquait, dans son ouvrage Le management de transition : les enjeux d'une pratique en plein développement (2010) : « Les Pays-Bas n'ont jamais été réellement proactifs dans le développement de cette prestation. Ils se sont surtout adaptés à des contraintes juridiques : le droit du travail hollandais est devenu, il y a 25 ans, très protecteur vis-à-vis des salariés, encourageant les entreprises à recruter des indépendants. Le management de transition s'est développé par la force des choses. »
Dans des pays comme les Pays-Bas et les États-Unis, où le statut d’indépendant est très commun, la ligne est difficile à tracer entre dirigeants classiques, dirigeants par intérim et consultants indépendants. En 2010, les estimations les plus prudentes faisaient des Pays-Bas le pays avec la plus forte densité de managers de transition par rapport à la population active, "huit fois plus élevé qu'en Allemagne", soulignait Christian Brière. Certaines études évoquent pas moins de 40 000 managers de transition, mais elles regroupent plusieurs types de travailleurs indépendants… Et beaucoup d'entre eux interviennent davantage "dans les structures publiques, le secteur médico-social et les associations, mais proportionnellement peu dans les structures privées".
En Italie, un développement en demi-teinte pour des raisons culturelles et économiques
Sur le marché italien, le management de transition est moins répandu que dans les autres pays européens. Une des raisons de cette faible maturité est que, comparativement à ses voisins, l’Italie dispose d’une proportion moindre de grandes entreprises complexes. L’économie italienne est, de fait, constituée d’une multitude de petites et moyennes entreprises, dont les dirigeants ne sont pas habitués à travailler avec des managers intérimaires extérieurs.
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Le plus grand challenge de l’Italie est alors de rendre compatible le développement du management de transition avec sa structure de marché. Des coûts généralement plus bas que dans les autres pays européens selon Executives Online devraient participer à cet essor. Par ailleurs, les PME italiennes se font progressivement à l’idée de recourir de manière plus fréquente à des managers intérimaires pour faire face, soit à un manque temporaire de managers dans leur organisation (10%), soit à un manque de compétences disponibles (14%) ou encore, cas le plus fréquent, des projets de conduite du changement (33%).
En conclusion, ce panorama dessine une Europe qui se tourne de plus en plus vers le management de transition. En plus de promouvoir une croissance économique saine, cette pratique innovante est une réponse adaptée à un monde en transformation, où les entreprises cherchent de plus en plus à faire rimer expertise et flexibilité.
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