ENTRETIEN. Véhicules autonomes, intelligence artificielle, biotechnologies… des transformations majeures sont en cours dans tous les secteurs d’activité. Face à ces bouleversements, des fractures sociales, économiques et politiques se creusent dans nos sociétés. Pour mieux comprendre ce qui se joue sur le marché du travail et dans les entreprises, nous avons recueilli le point de vue de 3 experts.
Dans les entreprises aussi, les compétences font leur révolution. Alors que notre environnement change à toute vitesse, le développement des talents devient une priorité. C’est aussi un défi de taille pour les dirigeants et les professionnels des Ressources Humaines, qui doivent accompagner une transformation profonde et ne pas laisser se creuser les inégalités de formation parmi leurs collaborateurs.
Alors que l’édition 2018 du Forum économique de Davos mettra au centre des discussions la problématique des fractures qui caractérisent nos sociétés modernes, nous avons demandé à Jean-Baptiste Audrerie, psychologue organisationnel et éminent blogueur RH, de nous faire part de son analyse de terrain.
HReview. Comment analysez-vous la fracture des compétences qui caractérise le marché du travail aujourd’hui ?
Jean-Baptiste Audrerie. La plupart des secteurs d’activité se trouvent aujourd’hui dans une phase que je qualifierais de transitionnelle. D’un côté, notre environnement évolue à toute vitesse vers toujours plus de technologie et de l’autre, les nouvelles compétences se diffusent relativement lentement. En résulte un décalage qui contribue à créer une fracture des compétences, pas seulement sur le marché du travail, mais au sein même des organisations.
Alors que les dirigeants ont clairement conscience que leur entreprise a entamé un nécessaire processus de transformation, ils sont nombreux à privilégier l’investissement dans la technologie, alors qu’il faut repenser dans le même temps les métiers et les modes de collaboration. La fracture des compétences ne concerne pas uniquement les compétences techniques, mais aussi les soft skills et les modes de travail.
Un enjeu de taille quand on sait que pour attirer et fidéliser les collaborateurs, il est nécessaire d’investir dans leur formation et dans le développement des talents. Toutes les études le disent ! Et c’est encore plus vrai pour les jeunes générations : pour 74% des millenials, les opportunités d'apprentissage et de développement sont un facteur d’attractivité majeur d’une entreprise.
Si l’organisation veut attirer durablement des talents, elle doit donc adopter une attitude proactive et revoir sa stratégie en matière d’accompagnement et de formation des salariés. L’entreprise, aujourd’hui, doit être conçue comme un lieu d’assemblage des compétences avec un fort degré de collaboration et de co-création. C’est une véritable transformation culturelle !
HReview. Comment les entreprises peuvent-elles mener à bien cette transformation ?
Jean-Baptiste Audrerie. Dans un premier temps, il faut accepter de sortir du schéma du dirigeant « sachant » et au contraire, miser sur l’intelligence collective. A cet égard, le cas des nouvelles technologies est particulièrement intéressant. Aujourd’hui, les collaborateurs en ont bien souvent l’expérience, car ils les utilisent en dehors du travail, dans leur vie quotidienne ou sur des projets menés en parallèle.
Ces compétences, bien qu’elles soient externes, représentent une véritable opportunité à saisir pour les entreprises, à condition d’adapter son référentiel en matière de compétences. Devant un besoin en compétences, 35% d’entre elles font appel à des consultants externes ou se lancent dans un processus de recrutement sans prendre la peine de se poser cette question : n’ai-je pas déjà ce dont j’ai besoin en interne ?
Il faut aussi mener des discussions de carrière régulières et être capable d’anticiper ses besoins, en se rappelant que le cycle de vie d’une compétence est de seulement 5 ans aujourd’hui. Les dirigeants, eux, doivent impulser une vision et s’assurer qu’elle soit partagée par tous. Pour les professionnels des Ressources Humaines, il s’agit d’adopter une posture d’accompagnateur voire de précurseur pour amener ces changements et en faciliter le déploiement pour tous.
Comme je le disais, nous sommes encore en transition. Mais l’apport des sciences comportementales, par exemple, nous permet déjà de connaître et d’accompagner beaucoup mieux les collaborateurs. Une chose est certaine : l’innovation n’est plus la seule prérogative de l’entreprise, elle vient aussi du dehors.
Après trois ans passés en tant que Directeur Marketing B2B chez SPB, cabinet de consulting RH spécialiste de la psychologie organisationnelle, Jean-Baptiste Audrerie est, depuis 2016, Executive Advisor pour IBM Canada, où il intervient auprès d’entreprises RH clientes qui souhaitent mener leur transformation digitale. Il tient également le blog Futurs Talents depuis avril 2013.