« Plus de petits boulots, et donc plus de précarité, équivalent à moins de chômeurs. Et l’effet n’est pas seulement statistique. Garder les gens en activité accroît leur chance de retrouver un vrai travail par la suite. »
[encadre]Faut-il ouvrir aux jeunes « ces nouvelles portes d’entrées sur le marché du travail » ou négliger ces « occupations à temps réduit, à salaire minimum et à protection faible » ? Les politiques de l’emploi se frottent nécessairement au dilemme cornélien des petits boulots (ou, outre-Rhin, des minijobs).
Les Allemands ont choisi : ce « tout pour l’emploi » s’est matérialisé avec les quatre lois Hartz, au milieu des années 2000… et ne s’est pas traduit par un « désastre social ». L’inspirateur de ces réformes : Peter Hartz, ancien DRH de Volkswagen n’a pas fini de susciter le débat. L’homme « qui a sauvé des milliers de personnes du chômage » continue à l’alimenter, bien conscient que tout n’a pas été fait pour le chômage des jeunes.
Ce qui a été fait : l’apprentissage, pas une voix de garage
Les bons résultats allemands en terme d’emploi (5,2% de chômage en août 2013) se doublent d’un taux de chômage des jeunes très bas, inégalé en Europe (taux de chômage à 7,7%, à des années-lumière des 56% espagnols et même des 25% français). Le succès est indéniable, malgré :
- « l’effet démographie » : le taux de chômage des jeunes a été divisé par deux depuis 2005, mais il y a aussi aujourd’hui 600 000 15-24 ans allemands de moins qu’en 2005…
- taux de chômage et de décrochage élevé chez les jeunes dans les anciennes régions industrielles.
Du côté de ce qui a déjà été fait : la fluidité du marché du travail, qui vise à réduire la durée des dangereuses périodes hors de l’emploi, est une des clés du succès allemand. La réussite – qui n’a rien d’un miracle – tient aussi du très vaste développement de l’apprentissage. Ce pilier du modèle allemand, système « dual » qui mêle apprentissages théorique et pratique, inspire autant qu’il intrigue. Barack Obama l’a cité dans son discours sur l’état de l’union, et « beaucoup d’Européens ont du mal à imaginer qu’un brevet d’apprentissage puisse avoir autant de valeur que le baccalauréat » note Die Welt.
La garantie jeunes s’exporte
Loin du mépris français pour l’apprentissage, l’Allemagne a choisi d’envisager formation et emploi comme un tout : l’enseignement concret à un métier est un moyen direct de mieux faire coller les formations aux besoins des employeurs. Problème : Die Welt estime que le moment est mal venu de copier l’Allemagne… L’alternance y fournit trop d’apprentis par rapport aux besoins : « l’offre de formation dépend des besoins de l’économie – or, quand les temps sont durs […] ces besoins sont limités ».
Une sorte de « garantie jeunes » s’adresse aux inactifs et aux 30% de « formés » qui ne trouvent pas d’emploi : la réforme « Hartz IV » s’engage à leur assurer une formation, un stage ou un emploi dans les trois mois suivant la sortie de l’enseignement ou la perte de l’emploi. C’est ce modèle allemand que la Commission européenne a imité, au début de l’année, avec la « garantie pour la jeunesse », qui reproduit le même engagement, cette fois dans les 4 mois suivant l’inactivité.
En France, une garantie jeunes vient ce 1er octobre d’être lancée, pour une expérimentation dans dix zones délimitées avant un déploiement prévu sur tout le territoire d’ici 2016. Le dispositif est similaire : elle prend en charge les jeunes « décrocheurs » très éloignés de l’emploi via une allocation tout en les accompagnant par un programme de suivi et de requalification mené par les missions locales.
Qualifications insuffisantes
« Beaucoup de jeunes allemands n’ont pas une formation supérieure (acquise à l’université) suffisante pour combler les besoins en main-d’œuvre très qualifiée de l’industrie et des services allemands, notamment en ingénieurs et médecins. »
Comme le résume Laurence Nayman (CEPII), l’Allemagne continue de subir des pénuries de main-d’oeuvre et se voit « contrainte » d’attirer de jeunes talents européens. Elle accueillera ainsi plus de 2 millions de migrants supplémentaires d’ici 2017 (Métis Europe), principalement depuis pays d’Europe du sud.
À l’est, du nouveau : les propositions de Peter Hartz
Au-delà des mini-jobs, insuffisamment qualifiants, et des filets de sécurité, l’Allemagne n’a ainsi pas tout fait pour l’emploi des jeunes. Et à l’occasion d’une rencontre avec le think-tank En temps réel, Peter Hartz a émis de nouvelles propositions, à destination de l’Allemagne comme de la France. Autant d’orientations inspirantes :
- Diagnostiquer le potentiel des jeunes, au-delà du potentiel scolaire, pour sortir du « tout-diplôme » et mieux détecter les compétences des non-diplômés ;
- Recenser sur un seul et même outil toutes les offres d’emploi et les besoins en recrutement des employeurs, secteur par secteur, à l’échelle locale des bassins d’emploi : la chasse aux emplois non pourvus, lancée au début de l’été en France, ouvre une nouvelle (et révolutionnaire) piste. Peter Hartz précise que mettre ainsi le big data au coeur de l’emploi permettrait aussi aux jeunes de rechercher de manière autonome et active un emploi ;
- Le« social franchising », réseau de compétences pour faire grandir et accompagner les entreprises nouvellement créées ;
- La « flexibilité interne » : le chômage partiel ou la flexibilité du temps de travail, rarement utilisés en France ;
L’incitation à l’embauche et à la formation peuvent enfin être envisagés de manière innovante :
- Un programme d' »europatriés », à l’image de l’Erasmus de l’apprentissage en germes, qui fait le choix de l’investissement – littéral – dans la formation : un fonds public/privé doterait le jeune d’un « bon de formation échangeable ». Ce droit à la formation professionnelle serait « vendu » à l’entreprise qui accepterait de le former. Un dispositif similaire a déjà fonctionné à Volkswagen, sous forme cette fois de bons de préretraites échangeables.
- Un « job floater », ou paquetage embauche-financement : comme le précisent Les Gracques, les demandeurs d’emploi seraient dotés d’« un volume de financement en capital et en crédit destiné à l’entreprise qui l’embauchera ».
L’inversion de la courbe du chômage des jeunes n’est pas encore confirmée, la jeunesse française est toujours plus divisée et les créations nettes d’emploi ne sont pas encore à l’horizon : Peter Hartz rappelle que des outils, nationaux, locaux, européens, plus ou moins novateurs, existent pour répondre à l’urgence d’agir. Dont acte !