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Dominique Turcq : « Le manager peut devenir beaucoup plus stratégique qu’avant »

A nouveau monde, nouveau manager. La société devient collaborative, un vaste mouvement vers moins de hiérarchisation et plus d' »horizontal », auquel les entreprises n’échapperont pas. L’avènement de l’entreprise « 2.0 », agile ou « 100% web, 100% mobile », est communément considéré comme inéluctable. Dominique Turcq, fondateur de l’institut Boostzone et auteur de Le management augmenté. Faire face à la complexité (Boostzone Institute Editions, 2013), donne du corps aux appels parfois théoriques ou incantatoires au renouveau du management.

Le numérique transforme et augmente nos réalités… et les managers aussi ! Les rapports au travail, chamboulés, appellent dirigeants et managers à s’adapter et à tirer parti de ces nouvelles cultures, transparentes et poreuses, collaboratives et collectives : réseaux sociaux d’entreprise« MOOC » (formation en ligne, ouverte et entre pairs) d’entreprisemanagement par la confiance, etc.

Des « Apps » pour customiser le manager

Pour faire face à la surabondance de l’information et à ces nouveaux usages induits par les mutations technologiques, il faut « augmenter le manager » : lui permettre de superposer de nouvelles perceptions à celles déjà existantes,  lui créer un nouveau champ des possibles. Non pas l’enrichir avec plus encore de machines et d’outils, mais lui permettre de s’augmenter comme être humain responsable et maître de sa vie et de son management.

Aujourd’hui, tous les utilisateurs de smartphone choisissent dans des « magasins d’applications » certains logiciels, et pas d’autres, se créant une boîte à outils personnalisée à l’extrême. Personne n’a la même série d’Apps sur son smartphone, chacun recherche celles qui lui conviennent.

Sur ce modèle, par une analogie percutante, Dominique Turcq a imaginé des « Apps » de compétences humaines, comme autant de voies de développement spécifiques à chaque besoin, pour « customiser » les nouveaux managers. Interview.

Dominique Turcq

« Il manque une véritable réflexion sur le développement des hommes »

L’Atelier de l’emploi : Vous encouragez « le  développement de soi-même » du manager en 3 étapes : l' »éveil », les pratiques de mentoring, les dispositifs de « co-« . A quoi correspondent-elles ? 

Dominique Turcq : Il ne s’agit pas d’étapes mais de façons d’acquérir des compétences. Les trois voies peuvent être choisies séparément ou ensemble. Illustrons : chacun sait se servir (plus ou moins) d’Excel, quelques uns ont suivi une formation (éveil donc travail personnel à travers du e-learning, des cours collectifs, etc.), d’autres ont bénéficié d’un mentor, d’un coach, d’un tuteur qui les a suivi et assisté à chaque fois qu’ils rencontraient une difficulté, d’autres enfin ont systématiquement fait appel au « Co- »  c’est à dire qu’à chaque fois qu’ils avaient une question ils ont demandé à un collègue, un forum, une hotline, pas toujours les mêmes.

L’exemple d’Excel est simpliste mais la même chose arrive pour savoir écrire en digital, améliorer ses techniques de gestion de conflit, apprendre à  améliorer ses techniques de synthèse, savoir évaluer un collaborateur, etc. Toutes les Apps que je décris peuvent s’acquérir par n’importe lequel de ces moyens et souvent par une combinaison.

Apps

Comment l’entreprise peut participer à leur mise en oeuvre opérationnelle ?

Le rôle de l’entreprise est crucial sur les trois systèmes de développement, quel que soit le savoir faire concerné car sur le premier elle doit s’interroger sur la pertinence de son système de développement ou de formation ; sur le second elle doit réfléchir à la pertinence et la qualité « institutionnelles » des systèmes de coaching ou de mentoring (incluant le reverse mentoring) qu’elle met en place ; sur la troisième elle doit s’interroger sur la qualité de ses cultures collaboratives internes et externes, sur ses pratiques de co-développement, etc. et finalement sur ses possibilités, nouvelles, de permettre du « HR to ONE » en aidant les managers à choisir leurs Apps et leurs voies de développement.

Toutes ces pratiques s’observent, formellement ou non, dans toutes les entreprises. Mais elles proviennent du passé (notamment les formations) et ne sont pas conçues en fonction du monde sociologique et technologique actuel. Il manque des approches, des philosophies du développement des hommes, une véritable réflexion, des plans de changement, des nouveaux instruments de mesure, etc.

« L’entreprise ne sera jamais seulement horizontale »

Dans une entreprise « horizontale » où le pouvoir serait décentralisé, le manager a-t-il un rôle toujours aussi stratégique ?

[encadre]L’entreprise ne sera jamais seulement « horizontale », les verticalités, les hiérarchies formelles, les silos sont essentiels. Mais toutes ces verticalités sont désormais poreuses, transparentes, ouvertes et permettent à chacun de savoir qui est qui, qui sait quoi et d’approcher les autres plus directement, sans avoir à subir les coûts de transaction qu’imposaient des verticalités étanches.

Le rôle du manager est bien sûr « diminué » dans le sens où il est moins courroie de transmission, courroie d’autorité ou de savoir. Cela peut le mettre très mal à l’aise. Mais il peut aussi voir que son nouveau rôle peut être d’apporter plus de valeur de compétences, de coaching, de réflexion, d’analyse, d’expérience. Fondamentalement s’il sait endosser ce rôle, il est beaucoup plus stratégique qu’avant. Mais pour cela il faut qu’il s’augmente sur plusieurs dimensions, c’est de là que m’est venue la notion d’Apps et de management augmenté.

Quelles « Apps » sont les plus symboliques des mutations que connaît/doit connaître le manager ? Les plus innovantes ? 

Elles sont toutes importantes, toutes symboliques, mais pas toutes essentielles pour chacun. Tout dépend des savoir-faire que maîtrise déjà un manager ou un dirigeant et de ceux qu’il devrait acquérir. C’est cette approche nouvelle des savoir-faire et des développements qui fait la force du concept des Apps que l’on voit bien ici prendre la dimension du « HR to ONE ». Mais nul ne peut savoir facilement seul où commencer et, comme pour les Apps, il faut un travail social et institutionnel pour aider chacun à identifier les Apps dont il a besoin.

ManagerA titre d’exemple une App cruciale comme high-touch low-touch qui consiste à savoir quand une interaction peut être « froide », virtuelle, sans précaution particulière et quand elle doit être « chaude », en face à face, émotionnellement chargée, n’est pas naturelle pour beaucoup. De nombreux « gen Y » ne savent pas se servir d’un téléphone  et envoient des mails au mauvais moment. Inversement d’autres, en général plus âgés, aiment organiser des réunions alors qu’une simple conférence téléphonique aurait suffi.  Savoir percevoir quand être dans une situation high-touch et quand être en low-touch est un vrai savoir faire, d’autant plus délicat qu’il est toujours contextuel.

Aucune des Apps dont je parle n’est fondamentalement innovante prise individuellement ; c’est la compréhension qu’il s’agit d’un nouveau mode de développement des hommes, essentiel pour que l’entreprise crée un avantage compétitif, qui est innovante.

« Une bonne « augmentation » des hommes conduit à un avantage compétitif certain »

Le management augmenté est aussi un levier de motivation pour les salariés et de performance pour l’entreprise. Peut-on penser qu’il aille jusqu’à concourir à l’avènement d’une « entreprise augmentée » ?

Le collaboratif, c’est à dire des hommes travaillant ensemble pour combiner leurs savoirs et leurs différences, quitte à être en rivalité, est toujours source de productivité, d’engagement et d’innovation, donc de compétitivité. Une « bonne » augmentation des hommes conduit à un avantage compétitif certain.

Oui, on peut parler d’ « entreprise augmentée » mais cela devient vite trop abstrait et conceptuel, voire, et c’est pire, incantatoire. On a beaucoup souffert de ce biais avec des mots valises comme l’Entreprise 2.0. Essayons déjà d’aider les hommes à s’augmenter,  les RH à les développer un à un et l’on verra apparaître l’entreprise augmentée…

L’Atelier de l’emploi remercie vivement Dominique Turcq pour sa disponibilité et ses réponses.

> Images : cucchiaio et mhdbadi (sous licence CC)
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