ANALYSE. La transformation digitale, sprint ou course de fond ? Avec l’accélération technologique, force est de constater que le rôle des leaders est de plus en plus vital pour accompagner les collaborateurs et garder le rythme de cette révolution « permanente ». Comment contribuer à accélérer la performance de son entreprise ? Comment les organisations peuvent-elles identifier ces « leaders digitaux », les mieux à même de conduire le changement ? Jean Giboudeaux (Right Management), Marilyn Kronenberg (Sanofi) et Valérie Migrenne (Société Générale) analysent les grandes tendances à l’œuvre en matière de leadership.
Le Congrès HR’ fêtait sa 35e édition les 4 et 5 avril 2018. A cette occasion, près de 700 décideurs RH de grandes entreprises étaient rassemblés pour échanger avec une centaine d’intervenants, autour de 10 conférences thématiques. A l’honneur cette année, les thèmes de l’agilité, de la transformation et de l’intelligence collective, qui sont au cœur des défis RH auxquels les entreprises seront confrontées en 2018.
Dans le cadre d’une session autour des grandes évolutions de la culture managériale et du leadership à l’ère du digital, Jean Giboudeaux, Directeur Général de Right Management, a présenté les conclusions du dernier livre blanc de Right Management « From C-Suite to Digital Suite », où comment se transformer rapidement pour faire la différence face à la révolution digitale. Pour croiser les regards, Marilyn Kronenberg, Head of Executive Education, Sanofi et Valérie Migrenne, Directrice de la Gestion des talents stratégiques et des cadres dirigeants, Groupe Société Générale, étaient invitées à partager leurs expertises de terrain.
Pas de transformation digitale sans nouveau leadership
Les grands groupes internationaux sont aujourd’hui confrontés à un contexte sans précédent. Certes, la majorité des secteurs d’activité ont déjà connu, au cours des précédents cycles économiques, maintes transformations, mais la révolution digitale actuelle se distingue par la rapidité de déploiement et d’exécution qu’elle exige.
Face à ce défi inédit, les entreprises n’ont d’autre choix que de travailler à l’intégration de trois dynamiques de transformations distinctes, analyse Jean Giboudeaux : celle de la culture d’entreprise qui doit inclure l’ensemble des effectifs ; ensuite, celle qui concerne l’organisation en elle-même ; et enfin, celle qui engage le leadership.
Dans le cadre d’une réorganisation d’ampleur initiée il y a deux ans, le groupe Sanofi a pris conscience de l’importance d’intégrer pleinement ces trois dimensions, abonde Marilyn Kronenberg. « Nous avons fait le constat que la manière dont nos leaders pilotaient devait complètement changer », explique-t-elle. Une exigence qui va alors de pair avec une refonte organisationnelle profonde : l’organisation traditionnelle, relativement verticale, caractérisée par des silos et des strates hiérarchiques peu agiles, n’est pas en mesure d’accompagner la transformation radicale rendue nécessaire par le contexte de bouleversement que vit l’industrie pharmaceutique, comme tous les autres secteurs.
Une situation également identifiée par le groupe Société Générale, comme l’explique Valérie Migrenne. Alors que le secteur se transforme et voit se multiplier les nouveaux entrants, le groupe se doit de mener efficacement sa transformation, pour être en mesure de répondre aux nouveaux besoins de ses clients. Sans pour autant sacrifier sa culture d’entreprise, insiste Mme Migrenne. C’est ainsi que la Société Générale a fait le pari de faire « bouger sa culture » sans perdre de vue son ADN, grâce à ses leaders et ses managers.
Les qualités d’un leader moteur de la transformation
S’il semble clair que le leadership doit évoluer pour endosser pleinement son rôle de vecteur de la transformation, la révolution numérique n’a pas profondément modifié le socle de qualités indispensables attendues chez les dirigeants. L’étude « From C-Suite to Digital Suite » de Right Management le confirme : 80% des compétences actuelles des leaders resteront pertinentes dans le futur. Et pour cause : il s’agit de l’adaptabilité, de la vivacité intellectuelle (brightness), de la détermination (drive) et de l’endurance. Toutes ces compétences « humaines », ou soft skills, n’ont rien perdu de leur importance, bien au contraire, souligne Jean Giboudeaux. Toutefois, il faut y ajouter la capacité à apprendre et à désapprendre, la learnability, qui devient essentielle dans un environnement changeant.
D’autres compétences s’avèrent cruciales à mesure que les modes de travail se transforment au sein des organisations. Chez Société Générale, ce sont désormais 27 business units qui structurent l’entreprise. Un changement organisationnel profond qui implique notamment une interdépendance plus forte entre les collaborateurs. Dans ce contexte, les managers et les leaders sont clairement en posture d’enablers de la transformation, explique Valérie Migrenne. C’est en les responsabilisant et en leur donnant le pouvoir de changer les choses que ces enablers peuvent agir, selon le motto « Better ask for forgiveness than permission ».
Le travail collaboratif et transversal s’impose aussi comme la nouvelle norme chez Sanofi, souligne Marylin Kronenberg, impliquant que se déploie une forme différente de leadership, tournée vers la collaboration inter-équipes. Autre rupture de taille, la valorisation de la prise de risque et de l’échec. « Oser oser et oser se confronter à l’échec sont des concepts très nouveaux chez Sanofi », explique Mme Kronenberg. « Oser prendre des risques est une capacité essentielle pour les leaders de demain », abonde Jean Giboudeaux.
Le constat est le même chez Société Générale, où on a travaillé sur l’acceptation de l’échec en lien étroit avec l’innovation. Un startup call a été lancé en interne, rencontrant un engouement exceptionnel auprès des équipes, se souvient Valérie Migrenne. La dynamique de test and learn était initiée, avec, pour les porteurs de projets et leurs sponsors (dirigeants et managers), l’obligation de prendre en compte la possibilité d’un échec, tous les projets ne pouvant être sélectionnés.
Changer de regard sur les potentiels
Selon Jean Giboudeaux, beaucoup de leaders et de dirigeants se disent aujourd’hui inquiets concernant l’avenir : ils estiment notamment ne pas disposer d’un pipeline de leaders suffisants pour mener les transformations en cours et à venir. Est-ce à dire que trop peu de collaborateurs disposent du potentiel pour devenir des digital leaders ?
Pas forcément, estime Valérie Migrenne, qui considère en revanche nécessaire un changement dans la façon d’identifier les potentiels en entreprise. « Il faut refuser de s’enfermer dans des modèles ou des préconceptions et rester souple, ouvert et mobile », explique-t-elle. Jean Giboudeaux confirme, à son tour, que l’identification des potentiels est aujourd’hui un enjeu majeur pour toutes les organisations. D’où l’importance de recourir aux bons outils d’assessment ! Les techniques d’évaluation ont profondément évolué, permettant à la fois de repérer plus efficacement certaines compétences, notamment comportementales, et d’en identifier de nouvelles. ManpowerGroup propose notamment aux entreprises des innovations RH tels que la Digital Room ou le DigiQuotient, avec une approche volumique et exhaustive.
« Le digital n’est finalement qu’un moyen parmi d’autres dans la transformation en cours », abonde Marylin Kronenberg. « Le cœur de métier des dirigeants aujourd’hui, c’est bien la transformation à tous les étages », conclut Valérie Migrenne. Après des années de lourds investissements dans le digital, il est temps pour les entreprises de changer de braquet, estime Jean Giboudeaux. A l’instar de certaines organisations à l’avant-garde, les soft skills, qui feront les leaders et les managers de demain, doivent dès aujourd’hui être considérées comme un poste d’investissement prioritaire pour le présent, comme le futur.